Un imposant monument de fonte se dresse à Mûrs-Erigné, au sommet d'une falaise, tournant le dos à Angers pour faire face à la Vendée. La statue de la République qui orne son sommet rappelle le « sacrifice » de 600 Parisiens « morts héroïquement » le 26 juillet 1793. Les sources (républicaines) offrent cependant une tout autre version des faits.

La Roche de Murs 3Du haut de sa falaise, le monument de la Roche de Mûrs
domine la vallée du Louet depuis 1889.
   

Les Vendéens venaient de remporter à Vihiers, le 18 juillet précédent, une victoire éclatante qui jeta l'épouvante à travers les communes patriotes du Maine-et-Loire. Au soir du 23, un conseil de guerre républicain réuni à Angers décida de mettre la ville en état de siège et d'envoyer 1.500 hommes défendre Les Ponts-de-Cé et la route de Brissac. Le 8e bataillon des volontaires parisiens, dit des Lombards, fut dans le même temps établi à la Roche de Mûrs, une position avancée sur la route de Chalonnes.

Les Vendéens, qui s'étaient montrés dans les communes des environs depuis le 24, lancèrent leur attaque sur Les Ponts-de-Cé le 26, sous le commandement de d'Autichamp, Fleuriot et Scépeaux. La ville fut prise aussitôt et les républicains qui la défendaient, sous les ordres de Duhoux et Descloseaux (1), s'enfuirent à Angers dans le plus grand désordre. Le poste de la Roche de Mûrs n'offrit aucune résistance face à cette offensive vendéenne, les Parisiens préférant fuir, quasiment sans tirer un coup de feu, en se jetant du haut de la falaise. L'historiographie officielle nous les a pourtant présentés comme de valeureux soldats, « morts héroïquement pour la défense de la République ». C'est d'ailleurs ce qui justifia l'érection de ce monument inauguré par M. Guignard, maire d'Angers, le 29 septembre 1889, pour le centenaire de la Révolution française. Alors qui étaient vraiment ces « héros » ?
  

La Roche de Murs 1Le monument de la Roche de Mûrs
  

Pour le savoir, relevons quelques exemples parmi une douzaine de témoignages (2), tous issus de sources républicaines :

  1. « L'ennemi s'est présenté aux Ponts-de-Cé, et les lâches Parisiens qui défendaient la butte d'Erigné (la Roche de Mûrs), l'ont abandonnée sans faire la moindre résistance. Lorsque le général Descloseaux a voulu les rallier, ils ont eu la bassesse d'âme de répondre qu'ils n'étaient pas venus pour se battre. » (Lettre des administrateurs du département de Maine-et-Loire au général Gauvillier, 26 juillet 1793)
      
  2. « L'ennemi a attaqué Les Ponts-de-Cé, le 26. Les avant-postes ont été forcés et ils se sont reployés sur les retranchements après quelques coups de canon, à l'exception du 8e bataillon de Paris qui aima mieux fuir et passer la Loire à la nage, et dont plusieurs furent noyés, ce qui causa d'abord une déroute complète. » (Lettre de la Commission militaire à Saumur, 28 juillet 1793)
      
  3. « Le 26 de ce mois, le poste important des Ponts-de-Cé a été attaqué par les rebelles. Nos avant-postes se sont repliés en assez bon ordre dans les retranchements qui couvrent la tête des ponts. Mais le 8e bataillon de Paris dit des Lombards, au lieu de suivre la même marche, a fui lâchement et s'est jeté dans le bras de la Loire qui est derrière lui et qu'il espérait passer à gué. Il a payé cher sa fuite honteuse : il a presque tout entier péri dans la Loire. » (Lettre des représentants du peuple Richard et Choudieu au Comité de Salut Public, 31 juillet 1793)
      
  4. « Hier matin, les troupes des Ponts-de-Cé, abandonnées par leurs chefs supérieurs qui pourtant devaient y aller, car il y avait un très grand fricot de préparé pour les régaler, les troupes, dis-je, étaient pour la plupart en ribote. Environ 200 étaient postés sur la montagne (la Roche de Mûrs) ; les canonniers étaient ivres. Environ 500 gardaient sept postes assez éloignés les uns des autres. Point de vedettes ; il eût fallu au moins 50 cavaliers pour éclairer, il n'y en avait point. L'ennemi entoure la montagne avec beaucoup d'ordre et fait descendre à coups de canon les troupes, qui abandonnent le camp, fuient de toutes parts, passent la rivière à la nage ; beaucoup s'y noient, beaucoup sont tués, blessés et faits prisonniers. Un bataillon entier ne donne point, se replie en ordre sur Angers ; là les hommes se débandent, se dispersent et fuient du côté de Durtal, Baugé, Saumur, etc. Voilà en substance l'affaire des Ponts-de-Cé. On fait revenir les Parisiens déserteurs et j'en suis bien fâché, car je voudrais qu'ils fussent à cent lieues de nous. » (Rapport d'un administrateur du district de Châteauneuf-sur-Sarthe, rédigé à Angers le 27 juillet 1793 à l'attention de ses collègues)
      

La Roche de Murs DrakeLa Roche de Mûrs et le combat du 26 juillet 1793 d'après T. Drake
(lithographie extraite de l'
Album vendéen d'A. Lemarchand)
  

Voilà donc quelques comptes-rendus de ce qui s'est passé le 26 juillet 1793 à la Roche de Mûrs (3). Ces volontaires parisiens, les héros de 500 livres comme on les appelait (ils percevaient 200 livres en s'engageant et 300 à leur retour) étaient recrutés parmi la lie des faubourgs de la capitale. Indisciplinés, débauchés, ils étaient plus motivés par le brigandage que par la gloire des armes. L'épisode de la Roche de Mûrs en apporte la plus évidente démonstration.

On se demande alors pourquoi le comité républicain d'Angers a tenu à les honorer d'un tel monument en 1889. N'y avait-il donc aucune autre bataille où des Bleus auraient témoigné d'un tant soit peu d'héroïsme… ?
  

La Roche de Murs 2Le Louet, un des bras de la Loire angevine, vu du haut de la Roche de Mûrs
   


Notes :

  1. Un administrateur du district de Châteauneuf a rencontré le général de brigade Descloseaux au soir de la bataille. Voici ce qu'il en dit : « Il (Descloseaux) était tellement ivre qu'il pouvait à peine prononcer. À l'entendre, l'ennemi devait être repoussé à l'instant ; il devait coucher aux Ponts-de-Cé, qu'il voulait prendre avec 200 hommes et s'ensevelir sous les ruines ! Eh bien ! il sort après mille propos soldatesques, monte dans sa voiture (comme à l'ordinaire) et s'en va sur le chemin, s'en revient à l'instant et… couche avec son aide de camp-femme ! Voilà Descloseaux tel que je l'ai vu de mes yeux. » Fût-il mort à la Roche de Mûrs, que ce général eût compté parmi les « héros » du monument.
  2. Documents d'archives extraits de l'Anjou historique n°157, 187, 210 et 215.
  3. On pourrait en citer d'autres, comme celui du représentant Philippeaux qui taxe les héros parisiens de « vils poltrons » dans sa proclamation du 27 juillet 1793 à Angers (Affiches d'Angers, 29 juillet 1793).


Guerre de Vendee juillet 1793 en AnjouCarte des combats de juillet 1793 dans la Vendée Angevine
(en jaune, le territoire insurgé)