Le Souvenir Chouan de Bretagne a fait état hier d’un billet d’humeur publié sur le blog revolution-francaise.net à propos de l’émission de Franck Ferrand qui, décidément, n’en finit pas de faire parler d’elle.

Revolution francaiseLes auteurs de ce libelle ont beau se parer des habits de l’érudition et de la rigueur historique pour mieux jeter le discrédit sur leurs adversaires – qui, eux, en manqueraient singulièrement – on est quand même en droit de s’interroger sur la solidité de leur démonstration.


Libre à chacun de défendre la mémoire de Robespierre, mais de là à avancer cet intérêt avide « de milliers de personnes » pour des manuscrits de l’Incorruptible au printemps 2011, l’argument laisse perplexe. Toutes proportions gardées, la même fascination pour des aquarelles de Hitler lors de mises aux enchères en 2006 et 2009, et dont les prix dépassèrent largement les 10.000 euros pièce, ne peut en aucun cas plaider en faveur du personnage.

Le postulat qui soutient la défense de Robespierre reprend un schéma depuis longtemps éprouvé : seuls les historiens gravitant autour de la Société des Etudes Robespierristes ont autorité pour débattre du sujet. L’auteur de l’article, Marc Belissa, en fait naturellement partie, aux côtés de plusieurs références citées dans le comité de rédaction du blog, notamment Françoise Brunel ou Florence Gauthier. Tout élément exogène qui se pencherait sur cette question d’histoire est par conséquent perçu comme suspect, sinon ennemi.

L’angle d’attaque est toujours le même : les opposants à Robespierre n’ont pas la qualité d’historiens, et s’ils l’ont, leurs supposées convictions politiques les discréditent. L’un serait de droite, l’autre royaliste… Reynald Secher subit ce feu, comme à l’accoutumée, en premières lignes, mais également la quasi-totalité des intervenants de l’émission de Franck Ferrand. Stéphane Courtois est rabaissé à un « spécialiste des livres noirs », Michel Chamard promu comme « l’incarnation de la tradition française », Jean Artarit qualifié de « psychiatre qui s’égare sur le terrain de l’histoire de la Révolution ». Les représentants d’associations qui défendent la mémoire des victimes de la Révolution ne trouvent pas davantage grâce aux yeux des robespierristes, bien au contraire. C’est regrettable quand on connaît par exemple l’ampleur des travaux de recherches de l’archiviste Dominique Lambert, président de Vendée Militaire.


Il va de soi en revanche que Jean-Clément Martin, membre éminent de la Société des Etudes Robespierristes, dispose de tous les agréments pour s’exprimer sur le sujet, à l'instar des historiens appelés à la barre par M. Belissa, comme Jacques Godechot, élève d’Albert Mathiez, l’un des fondateurs de la Société des Etudes Robespierristes, et qui dirigea la thèse de Claude Petitfrère, lui aussi recommandé par l’auteur de l’article. On n’en finit pas de tourner en rond dans un milieu clos, où la consanguinité ne contribue guère à l’ouverture des esprits.

Le Massacre des Lucs Pierre MarambaudAutre point concernant Jean-Clément Martin : comment peut-on invoquer son livre sur les Lucs-sur-Boulogne, quand le professeur Marambaud, de l’Université de Nice, a démontré par une approche des plus scientifiques la réalité des massacres des 28 février et 1er mars 1794 ? A moins de s’obstiner à refuser tout ce qui émane d’historiens non labellisés par la Société… On pourrait étendre la remarque aux commentaires sur Carrier au sujet duquel ne règneraient que des « incertitudes ». Pour les dissiper, je peux recommander la lecture des travaux d’historiens qui, s’ils n’ont pas reçu l’imprimatur de la Société, ont toutefois amplement contribué à éclairer l’histoire de la Révolution à Nantes.


Sur le fond de la question, « Robespierre, bourreau de la Vendée », la dialectique n’a pas changé non plus. La victimisation de l’Incorruptible, qui n’aurait été ni un tyran, ni un dictateur, ressasse à l’envi la légende thermidorienne. Certes Robespierre n’endosse pas tous les crimes, puisque c’est tout le système révolutionnaire, totalitaire dans son essence, qui a conduit à la politique d’extermination d’une population jugée inassimilable au sein de la communauté nationale. Sa responsabilité est cependant majeure. S’il n’était pas un chef de parti, comme le dit M. Belissa, alors pourquoi sa chute aurait-elle constitué un tel bouleversement dans le cours de la Révolution française ?

Les autres critiques quant à l’émission de Franck Ferrand relèvent davantage de la forme que du fond : la musique choisie avec partialité ou encore l’iconographie contre-révolutionnaire. Comme si les robespierristes découvraient le mal que l’on vous fait lorsqu’on blesse la mémoire de ce qui vous est cher. Qu’ils se rassurent, les Vendéens l’endurent depuis plus de 200 ans.

Pour ce qui est des approximations, des erreurs et des manipulations dénoncées par M. Belissa à l’encontre de l’émission, il vaut mieux être irréprochable pour avancer ce genre d’argument. Or, en la matière, dire à propos de l’Armée catholique et royale : « Il est vrai qu’elle n’a commis qu’un massacre, celui de Machecoul » a doit quoi faire bondir tous ceux qui connaissent un tant soit peu l’histoire de la Vendée. Rappelons qu’à l’époque des massacres de Machecoul, non seulement l’Armée catholique et royale n’était pas constituée, mais qu’elle n’est de toutes façons jamais intervenue dans le Pays de Retz au cours de ses campagnes militaires.


Au terme de toutes les critiques qu’il égrène (approximations, erreurs, manipulations, etc.) M. Belissa y ajoute « une pincée d’anti-totalitarisme », comme si la lutte contre le totalitarisme pouvait être un motif de discrédit. Cette expression résume à elle seule tout le discours des défenseurs de Robespierre, et toute la légitimité de la démarche de ceux qui s’y opposent.