L’éphéméride des Archives de la Vendée présente aujourd’hui une lettre du général Marceau à Bouchotte, ministre de la Guerre, datée du 23 frimaire de l'an II (13 novembre 1793). Le jeune commandant de l'armée de l'Ouest – par intérim, en attendant Turreau – y livre un récit d’une brutale vérité sur la bataille du Mans et le carnage qui s’en est suivi.

Bataille du Mans
Extrait de la lettre de Marceau :
« Je puis t'assurer que près de trois mille de ces fanatiques mordent en ce moment la poussière, les places, les routes sont jonchées de cadavres… »
 

Le document original consultable sur le site des Archives de la Vendée n’étant pas toujours aisé à déchiffrer, je l’ai retranscrit ci-dessous :

D’après ma dernière, tu as pu voir que nous étions en mesure non seulement d’atteindre l’ennemi, mais encore de le combattre. J’en trouvais l’occasion favorable avant notre jonction avec l’armée venant du Nord.

Hier Westermann, chargé d’harceler et d’éclairer l’ennemi, l’a attaqué avec sa petite avant-garde de la manière la plus vigoureuse aux portes du Mans (les Brigands étaient entrés dans cette ville comme je te l’ai marqué). Son infériorité l’a forcé de ployer un instant devant toute l’armée ennemie qui était embusquée en avant de Pont Lieu.

La colonne aux ordres du général divisionnaire Muller destinée à soutenir Westermann n’a pu résister à la violence du choc de l’ennemi et elle s’est repliée avec assez peu d’ardeur jusque sur la colonne aux ordres du général Tilly qui, prévenue à temps, s’est déplacée, a chargé l’ennemi et l’a bientôt forcé à son tour de fuir jusque dans les retranchements qui avaient été faits pour s’opposer aux desseins de ces scélérats. Rien n’a arrêté l’ardeur des troupes commandées par le brave Tilly. Retranchements, ponts, tout a été franchi et bientôt Westermann à la tête de sa cavalerie et d’une partie de l’avant-garde de Tilly a forcé l’ennemi dans tous ses points et nos troupes victorieuses sont entrées dans Le Mans.

Les Brigands retranchés sur la grande place ont fait pendant toute la nuit une résistance incroyable. Leurs canons braqués sur toutes les issues ont arrêté nos troupes une partie de la nuit, mais rien n’a pu résister à la valeur de nos braves républicains. A la pointe du jour, les Chasseurs francs joints à l’avant-garde de Tilly ont battu la charge et la baïonnette dans les reins ont enfoncé l’ennemi de toutes parts et l’ont forcé de prendre la fuite.

Dix pièces de canons, beaucoup de caissons et de munitions sont restés dans la ville abandonnée et pour te donner une juste idée de la précipitation qu'ils ont mise dans leur fuite, tu apprendras avec plaisir que grande partie des femmes qui les suivaient sont en notre pouvoir et que maintes reliques saintes, crosses, mitres, etc. ont été abandonnées par les scélérats qui à l’aide de ces marques du fanatisme ont égaré bien des milliers d’hommes.

Je te donnerai difficilement le nombre de tués du côté de l’ennemi dans cette affaire que tu peux regarder comme la plus chaude qui se soit passée depuis le commencement de la guerre contre les rebelles, mais je puis t’assurer que près de trois mille de ces fanatiques mordent en ce moment la poussière. Les places, les routes sont jonchées de cadavres et de fusils qu’ils jettent dans leur fuite.

Marceau Bataille du MansExtrait de la lettre de Marceau (signature) : « Je reçois à l’instant une lettre de Westermann qui m’annonce qu’il tue infiniment de Brigands… »
  

C'est à présent que, si l'armée dite du Nord était à ma disposition, je t'assurerais que dans quelques jours les brigands n'existeraient plus mais qu'importe, rien n'arrêtera mon zèle et celui des troupes que je commande. Je poursuivrai sans relâche cette horde scélérate et je prendrai des mesures pour être à l’abri de revers conséquents.

La journée d’aujourd’hui sera autant fatale à l’ennemi que celle d’hier. Demain, si je les atteins, je leur livre bataille et je puis compter sur une continuation de succès à moins de malheur imprévu. L'armée, fatiguée de marches continuelles, montre le plus grand zèle et le plus grand courage. D’Autichamp a été blessé, plusieurs chefs ont été tués. Les écharpes, les crosses, etc., te donneront la conviction de ce que je t'avance.

Ce qui peut ajouter à la satisfaction qu'éprouvera tout républicain lorsqu'il apprendra nos succès, c'est que nous n’avons perdu presque personne. Trente morts et cent cinquante blessés pour les seules victimes de la fureur de ces barbares et je te dis la vérité (souligné dans le texte).

Je ne puis me dispenser de te parler des braves de cette armée qui ont dans cette journée donné des preuves d’héroïsme. Westermann, Tilly, les officiers de leur état-major, mes aides de camp, tous méritent les éloges qu’on peut leur prodiguer. Tous m’ont secondé dans cette affaire d’une manière vigoureuse et je dois dire que c’est à l’intrépidité caractérisée de ce premier (Westermann) que nous devons nos prompts succès. Son courage n’a que peu d’exemple. Deux chevaux ont été tués sous lui, un troisième blessé qu’il le soit lui-même en deux endroits, il n’a point abandonné le champ de bataille et est encore dans ce moment à la poursuite de l’ennemi dont il fait un grand carnage.

Les régiments n°6 ci-devant Armagnac, 31 ci-devant Aunis, ont par-dessus tout montré un grand courage. Toutes les troupes ont fait leur devoir et on doit regarder comme prochaine la destruction totale des scélérats.

Marceau

P.S. Je reçois à l’instant une lettre de Westermann qui m’annonce qu’il tue infiniment de Brigands, qu’il prend tous leurs caissons et déjà plusieurs d’obus et de cartouches sont revenus ici. Ça ira, ou le diable y perdra son latin.

Source : Archives de la Vendée (pièces isolées, 1793)