Dans la nuit du 14 au 15 décembre 1793 (du 24 au 25 frimaire an II), une centaine de détenus extraits de la prison du Bouffay périt dans la Loire, vers la pointe de l’île Cheviré. Cette noyade, la plus fournie en témoignages, fut pour cette raison l’événement qui révéla l’horreur de ce mode d’exécution de masse lors du procès de Carrier. 

Robespierre et Carrier
Portraits de Robespierre et Carrier, en médaillons d'une estampe
allemande dénonçant les abominations de la Révolution

Cette noyade impliquait le Comité révolutionnaire de Nantes et son bras armé, la Compagnie Marat, comme si Carrier voulait que chacun endosse une part de responsabilité de ce crime. Malheureusement pour ce dernier, ses comparses déballèrent tout ce qu’ils savaient sitôt qu’on les mit en prison en juin 1794.

Le samedi 14 décembre 1793, à huit heures du soir, le geôlier du Bouffay, Bernard Laquèze, reçut la visite d’un homme portant deux paquets de cordes. Le visiteur lui annonça qu’il allait le décharger de 150 prisonniers. La liste avait été établie dix jours auparavant afin de vider les cachots, et c’est Carrier qui avait décidé de la transformer en noyade.

Un ordre du Comité révolutionnaire fut fourni au geôlier, avec une liste de 155 noms, puis la Compagnie Marat, arrivée vers neuf heures du soir, se mit à l’œuvre après s’être fait servir à boire et à manger. Ils firent ouvrir les portes des cellules, appelèrent les détenus, menaçant de leurs sabres ceux qui n’obéiraient pas. La liste n'était cependant pas complète, car certains condamnés avaient quitté le Bouffay, soit pour l’hôpital, soit pour d’autres lieux de détention. Goullin, membre du Comité, frustré d’en avoir seulement une centaine, y ajouta quinze prisonniers qu’il venait d'envoyer ici le soir même.

Noyades de Nantes
Les noyades de Nantes (estampe allemande du temps)

Après avoir été fouillés et dépouillés de leur dernier argent, les malheureux furent solidement attachés deux à deux, puis liés par une corde. Emmenés vers les quais, ils durent attendre que les charpentiers finissent de préparer la gabare, avant d’embarquer pour leur dernier voyage. Non loin de Trentemoult, au bout de l’île Cheviré, les bourreaux défirent les sabords aménagés dans les flancs du bateau pour le faire couler. Grandmaison, autre membre du Comité, raconta que « les prisonniers soulevaient le pont à demi, et que quelques-uns sautaient dessus et cherchaient les moyens de se sauver. D’autres passaient les mains par les fentes. Ils criaient de toutes leurs forces et les noyeurs affectaient de chanter bien haut pour étouffer les cris des victimes. »

Craignaient-ils que la population ait connaissance de ces exécutions ? Qu’on ne s’y trompe pas, le procédé était notoire, surtout en haut lieu. Comment n’aurait-on pas su, à Paris, quand Carrier s’en faisait lui-même l’écho dans les lettres qu’il adressait à la Convention ? On en trouve la trace jusque dans la correspondance de Camille Desmoulins (édition de 1836, p. 201), en date du 22 décembre 1793 : « Cent quarante prêtres livrés, à la garde de Dieu, aux bateliers de cette rivière (la Loire), ont appris qu’on trouvait des écueils jusque dans le port de la liberté à Nantes. »