Le nom d’Abel Levenas apparaît dans la longue liste des prêtres morbihannais martyrisés sous la Révolution. Arrêté à Damgan, petite presqu’île à mi-chemin entre le golfe du Morbihan et l’estuaire de la Vilaine, il fut conduit à Lorient pour y être guillotiné le 5 octobre 1794. Une curieuse croix évoque son souvenir.

Kroez er Beleg DamganKroez er Beleg, la croix du prêtre, en mémoire d'Abel Levenas
   

Né à Damgan le 12 janvier 1753, Abel Levenas fit ses études au Collège de Vannes, avant de s’engager dans la marine. Mais ça n’était pas là sa vocation : Dieu l’appelait à son service. Aussi entra-t-il en 1774 au Grand Séminaire de Vannes. Il en sortit trois ans après, fut nommé vicaire de Noyal-Muzillac, puis rentra dans sa paroisse natale pour desservir la chapelle Notre-Dame, dans la frairie de Damgan.

Comme ses confrères d’Ambon, M. Levenas refusa le serment à la Constitution civile du clergé, préférant la clandestinité à l’exil, pour ne pas abandonner sa vieille mère. Quelques familles se dévouaient pour le cacher. Ses activités, bien que discrètes, finirent pourtant par ébruiter sa présence auprès de l’administration républicaine.

Le 25 septembre 1794, un détachement du 16e dragons quitta Vannes de bon matin pour se saisir du prêtre de Damgan. Les perquisitions commencèrent dès l'arrivée des Bleus, d’abord chez sa mère, puis chez une voisine, Mme Quistrebert. En sondant la paille amoncelée au grenier, les soldats surprirent M. Levenas, qui tenta de s’échapper, en vain. Ils l’attachèrent, le hissèrent sur un cheval, et l’emmenèrent à Vannes.

Trois jours après, l’agent national du District, un nommé Jéhanno présent lors de l’arrestation du réfractaire, lui fit subir un premier interrogatoire. On expédia ensuite le captif à Lorient, à pied, pour le remettre au tribunal criminel. Un second interrogatoire eut lieu le 4 octobre dans l’après-midi : M. Levenas n’avait prêté aucun serment, ni ne s’était soumis aux décrets condamnant les réfractaires à la déportation. Comme en outre il était porté sur la liste des émigrés, il méritait la mort, et y fut donc condamné.

L’exécution eut lieu le lendemain, dimanche matin 5 avril 1794, au milieu d’une populace avide de ce genre de spectacle. On dit que trois marins d’Ambon, qui venaient de débarquer, s’approchèrent de cet attroupement au milieu duquel ils reconnurent le prêtre. Saisis d’horreur, ils se jetèrent dans une maison voisine et pleurèrent sur le sort du martyr.

Avant de quitter Damgan sous la garde des soldats républicains, M. Levenas bénit une dernière fois une croix à la sortie du village. On appellera ce petit monument amputé d’un bras Kroez er Beleg ce qui signifie « la croix du prêtre ». Il se dresse toujours là, près d'un rond-point à la jonction des routes d'Ambon (D140) et de Muzillac (D153).

DamganDamgan, à l'embouchure de la Vilaine (carte de Cassini, XVIIIe siècle)