Perchée au-dessus de la Loire sur un coteau face à Ancenis la Bretonne, la commune angevine de Liré doit sa renommée à l’un de ses enfants, Joachim du Bellay, l’illustre poète de la Pléiade. Mais elle porte un autre titre de gloire, hélas ignoré, celui que lui a offert son martyre en 1794.

Le Moulin GironÀ l'ouest du bourg, le Moulin-Giron fut le théâtre d'un massacre le 16 mars 1794
   

Les historiens de la Vendée ignorent pratiquement le « petit Lyré » de Joachim du Bellay. Située en première ligne face à la garnison républicaine d’Ancenis, la paroisse relève en 1793 de l’armée de Bonchamps, qui opère tout au long de la rive gauche de la Loire, depuis la Divatte qui la sépare du Loroux, jusqu’aux Ponts-de-Cé aux portes d’Angers. Un combat s’y déroule en avril 1793, lors d’une incursion de la garde nationale d’Ancenis, ce qui a donné des inquiétudes à Bonchamps quant à la fidélité des habitants des Léards, petit port en contrebas du bourg, suspectés d’accointances avec les patriotes de l’autre rive.

Le nom de Liré reparaît le 18 octobre 1793, lorsque l’armée vendéenne battue à Cholet traverse la Loire. Saint-Florent-le-Vieil n’est pas le seul point de passage. On embarque en effet jusqu’à Cul-de-Bœuf, face à Ingrandes, vers l’est ; et à l’ouest jusqu’à Liré, au port des Léards, par lequel Piron de La Varenne a fait passer l’artillerie, après que Talmont eut chassé les Bleus d’Ancenis.

Privées de défenseurs depuis que l’armée vendéenne a fui au-delà de la Loire, les Mauges tombent aussitôt sous la coupe des républicains. Elles vont payer le prix fort pour avoir pris les armes contre la tyrannie. Un plan d’extermination du territoire insurgé et de ses habitants, conçu par le gouvernement révolutionnaire et voté par la représentation nationale, peut enfin être mis en œuvre après l’anéantissement des Vendéens à Savenay, le 23 décembre 1793.

Ce plan prend la forme d’une marche de douze colonnes avançant de front depuis l’est vers le centre de la Vendée rebelle. Ordre est donné par Turreau, commandant en chef de cette « armée de l’Ouest », de piller les ressources et de tout brûler, de passer au fil de la baïonnette tous les habitants qui seront surpris par ses soldats. L’incendie général atteint les bords de Loire à la mi-mars 1794.

Venant de Doué pour rallier Nantes par la rive gauche de la Loire, « bien décidé d’y porter le fer, le feu, la terreur et la mort », le général en chef Turreau fait sa jonction avec Cordelier qui vient de dévaster le Loroux. Leurs colonnes vont ainsi se jeter sur le pays de Champtoceaux
  

Lire en 1794Le 16 mars 1794, les Bleus venus de Saint-Laurent-des-Autels envahissent le territoire de Liré (flèche bleue). Les points rouges indiquent les lieux où ils perpètrent des massacres.
  

Depuis leur campement établi dans la lande près du moulin de la Durandière, les soldats de Cordelier ont ravagé Saint-Laurent-des-Autels le 15 mars. 300 personnes sont tombées entre leurs griffes ; toutes seront fusillées ou égorgées dans leur camp. Le lendemain, les républicains se portent sur Liré, Drain et Bouzillé. Pendant trois jours, ils se répandent par petits groupes dans la campagne, brûlant les taillis et les fourrages, détruisant les récoltes, tuant les bestiaux, incendiant les villages, les fermes isolées et le bourg tout entier, massacrant au fusil, au sabre ou à la baïonnette toutes les personnes qu’ils rencontrent sur leur passage. Ils ne s’arrêtent qu’à la Loire suivant les ordres reçus.

L’abbé Jacques Berthelot, qui vécut dans la clandestinité à Liré en 1794 et 1795, a inscrit dans un registre les noms des victimes des Colonnes infernales, qui débordent même les limites de la paroisse. Plutôt que d’en dresser une liste qui n’aurait d’impressionnant que sa longueur, j’ai préféré reporter sur une carte interactive de la commune de Liré (ci-dessous) les lieux où les soldats républicains commirent ces massacres, avec les noms de leurs victimes. On réalise mieux ce que devait être la marche d’une colonne infernale à l’échelle d’une commune :

Chacun de ces noms pourrait raconter une histoire terrible. Au Petit-Plessis, par exemple, on trouve les noms de Marie Allard, 58 ans, épouse de Joseph Chenouard, avec ses deux filles, Marie, 22 ans, et Renée, 20 ans. Les Bleus avaient d’abord fusillé la mère et l’aînée le long d’un mur de la maison. Trouvant la plus jeune trop belle pour la tuer, ils voulurent l’emmener, mais elle refusa de suivre ses tortionnaires. Ils l’exécutèrent alors dans un champ au bout du chemin qui conduit au village.

Il n’existe pourtant aucun monument, ni aucune inscription rappelant le martyre des Liréens sous la Révolution.
   


Sources :
Robert Brevet, Le petit Liré de Joachim du Bellay… son Histoire, Maulévrier, Éditions Hérault, 1992
Revue du Souvenir Vendéen, n°54, mars 1961, p. 18 ; n°90, mars 1970, pp. 19-21