L’épisode a été rapporté par Julien-Gabriel Vallée, capitaine de paroisse de Soulaines : le jeudi 17 avril 1794, les soldats de Stofflet mirent la main sur un bien curieux trophée après un combat à Coron : un énorme balai que les républicains avaient apporté de Saumur ! Quelques questions se posent cependant…
(J'avais publié un article à ce sujet le 17 avril 2016, mais comme je ne m'expliquais pas, à l'époque, les contradictions sur l'issue de cette bataille, je l'ai entièrement repris.)
Portrait de Jean-Nicolas Stofflet à Maulévrier
L’anecdote, extraite des mémoires de Julien-Gabriel Vallée (1), est connue depuis fort longtemps, puisqu’on la trouve dans le livre du comte de Quatrebarbes, maintes fois réédité : Une paroisse vendéenne sous la Terreur (2). Elle fut aussi reprise par Edmond Stofflet dans la biographie qu’il fit du général de l’armée d’Anjou :
« Le 17 avril (1794), Stofflet prit sa revanche dans un combat acharné, dont la prise de Coron et la dispersion des Bleus furent le prix. Un incident burlesque égaya la victoire. “L’ennemi, raconte un soldat royaliste (Julien-Gabriel Vallée), avait imaginé de faire venir de Saumur un immense balai de douze à quinze pieds de tour. Il avait été conduit processionnellement dans les villes voisines. Son manche, fait d’un pied de chêne, était entouré de rubans tricolores. Il était hissé debout sur une charrette neuve, qu’il remplissait en entier ; et sur une large banderole, on lisait en gros caractères : Balai pour balayer la Vendée. En voyant après le combat ce singulier trophée, de grandes risées éclatèrent de tous les rangs. Traîné sur la grande place, en face du cimetière, lorsque chacun de nous l’eut examiné à l’aise, il fut brûlé, avec la charrette qui l’avait apporté. Ce combat fut nommé par Stofflet la bataille du balai” » (3).
Dusirat se dit victorieux à Coron
Mais la victoire des gars de Stofflet à Coron fut-elle aussi flamboyante que Vallée veut bien nous le faire croire ? On peut s’interroger en lisant le rapport qu’en fit l’adjudant général Dusirat (4) qui commandait la troupe républicaine engagée dans ce combat, et dont la date diffère d’un jour :
« Le 16 (avril 1794), j’ai pris la route de Vezins pour me rendre à Coron où je devais recevoir des vivres de Doué. J’ai envoyé mon avant-garde vers le Coudray-Montbault pour protéger l’arrivée de mes subsistances. Je prenais moi-même position en deçà de Coron, lorsqu’on m’a annoncé que les brigands nous suivaient de près et en très grand nombre (…) Les chasseurs à cheval et à pied préludaient déjà avec les brigands que j’ai vus au nombre d’à peu près quinze cents, s’avançant fièrement sur la route de Vezins. Je les allais charger sur-le-champ, si je n’eusse craint de compromettre le convoi que j’attendais en quittant la belle position que je venais de prendre. J’ai ordonné à Travot de venir me joindre avec la tête de son avant-garde, et de laisser le reste pour assurer le convoi qui venait d’arriver (…) L’ennemi, intimidé de ma contenance, s’est arrêté, et est resté une ou deux minutes déployé à trois portées de fusil de ma ligne. Il a masqué autant qu’il a pu sa retraite que Travot, à la tête d’un détachement du 7e régiment de chasseurs à cheval et de quelques dragons du 2e, a changée en une déroute des plus complètes » (5).
Dusirat ajoute que 1.500 rebelles venus enlever le convoi ont été dispersés, et que 5 à 6 d’entre eux ont été tués, « parmi lesquels se trouvent deux de leurs chefs ». Il crut même que ce pouvait être Stofflet en personne.
Marche de la colonne de l'adjudant général Dusirat dans les Mauges au début du mois d'avril 1794
Alors qui dit vrai, Vallée ou Dusirat ?
Si les Bleus s’étaient dispersés après ce combat à Coron, comme l’écrit Vallée, ils n’auraient probablement pas poursuivi aussitôt leur marche vers l’intérieur des Mauges. Dusirat, dont les rapports « présentent un exemple rare de franchise et de vérité » (6), signale en effet, qu’après avoir reçu son ravitaillement en pain, il a quitté son camp du Coudray-Montbault le 17 avril pour se porter sur Le May-sur-Èvre et qu’il est allé attaquer les rebelles le 18 à Jallais, bourg qu’il a livré aux flammes, avant de s’établir à Gesté.
Et si cette « bataille du balai » avait eu lieu en réalité neuf jours plus tôt ? Le 8 avril, Dusirat annonce à son commandant en chef, le général Turreau, sans se défausser, qu’il a été battu la veille à Chemillé sur les hauteurs qui dominent au nord le bourg de Saint-Pierre (7). La déroute complète des républicains les entraîna jusqu’à Doué. On peut croire qu’elle fournit aux vainqueurs un butin appréciable, et peut-être même ce trophée en forme de balai, qui dut marquer « cette mémorable journée » (8).
Notes :
- « Et vive le Roy quand même ! » Mémoires inédits d’un soldat vendéen de 1793 à 1815. Mémoires de Julien-Gabriel Vallée (1774-1857), présentés par Jean-Luc Neau, auto-édition, 2015.
- Une partie des mémoires de Julien-Gabriel Vallée a été publiée dans le chapitre VIII de ce livre.
- Edmond Stofflet, Stofflet et la Vendée, 1875, rééd. Pays et Terroirs, 1994, p. 234.
- Pierre-Gabriel Vidalot du Sirat, dit Dusirat (1764-1843), l’un des principaux adversaires de Stofflet dans les Mauges en avril et mai 1794.
- J.-J. Savary, Guerres de Vendéens et des Chouans contre la République française, t. III, pp. 409-410.
- Ibidem, p. 374.
- La même position que les républicains occupaient lors du grand choc de Chemillé, le 11 avril 1793.
- Mémoires de Bertrand Poirier de Beauvais, commandant général de l’artillerie des armées de la Vendée, 1893, p. 279.