Touché (aux zygomatiques) par l’infortune de l’arbre de la laïcité d’Angers, Xavier Paquereau s’est penché sur la longue histoire de ce symbole républicain qui peine à s’enraciner sous nos latitudes. Il en a retrouvé une trace dans les Affiches d’Angers : au début de l’année 1794, on célébrait la plantation d’un nouvel arbre de la liberté dans la cité angevine, tandis qu’on condamnait à mort le « brigand » qui avait brûlé celui de Cholet.
Les « brigands » s'apprêtant à abattre un arbre de la liberté en Vendée
(dessin de Jean-Baptiste Lesueur, Musée Carnavalet)
L’affaire de l’arbre de la laïcité d’Angers, attaqué pour la quatrième fois, a été relatée ici. Le complément apporté par Xavier Paquereau figure au bas de l’article, ainsi que sur le blog Chemins Secrets. On y trouve les termes de cette grande cérémonie du 10 février 1794, au cours de laquelle Angers retrouva son arbre de la liberté, dont « la hache infâme des brigands avait déshonoré la tige ». La municipalité saluait aussi la défaite de ces mêmes brigands : « Citoyens, vous avez baigné de leur sang ces murs que leur présence avait souillés » (allusion à l’entrée des Vendéens à Angers le 18 juin 1793, et à l’échec de leur siège les 3 et 4 décembre de la même année).
François Claveleau et l’arbre de la liberté de Cholet
Trois semaines avant cette pompeuse plantation d’un arbre de la liberté à Angers, un homme paya de sa vie le fait d’avoir brûlé celui de Cholet. Il s’appelait François Claveleau. Le 13 janvier 1794, ce « brigand » fut arrêté et conduit à la maison d’arrêt de Cholet (1). Amené devant le comité révolutionnaire de la ville, il subit le même jour un interrogatoire par les soins du citoyen Jacques Macé, l’un de ses membres (2) :
- Quel est votre âge, état, demeure et le lieu de votre naissance ? – J’ai quarante-quatre ans, je suis charron, je demeure à Saint-Pierre de Cholet et je suis né à Saint-Hilaire-des-Échaubrognes (3).
- Pourquoi êtes-vous détenu en prison ? – Je ne le sais pas.
- N’avez-vous jamais suivi les brigands aux batailles ? – Je les ai suivis.
- À combien de batailles les avez-vous suivis ? – À une, et encore j’y étais forcé.
- À quelle bataille étiez-vous ? — À Chemillé.
- Quelle arme aviez-vous ? – Une pique.
- N’aviez-vous point de fusil pendant que vous serviez parmi les brigands ? – Non.
- Avez-vous toujours monté la garde pendant que les brigands étaient maîtres de Cholet (4) ? – Oui, pendant que j’y ai demeuré.
- Savez-vous ce qu’est devenu l’arbre de la liberté que les brigands abattirent à la fin du mois de mars ? – Bidet, voiturier, l’amena chez moi, et je l’ai fait brûler.
- Combien l’avez-vous acheté ? – Je ne l’avais point acheté. Je lui donnai vingt sous pour l’amener chez moi.
- En combien de morceaux était-il coupé ? – En trois ou quatre morceaux.
- N’avez-vous point fait un timon de cet arbre ? – Non, car il était coupé à douze pieds de longueur.
- Qui avait donné des ordres à Bidet pour vous mener cet arbre ? – C’est Six-Sous, canonnier de l’armée des brigands, à qui je l’avais demandé.
- Dans quel temps l’arbre a-t-il été abattu, et quand l’avez-vous demandé à Six-Soux, et en quel lieu ? – Je ne sais pas quand on l’a abattu, je l’ai demandé dans la cour du château.
- Étiez-vous présent quand on l’abattit ? – Oui, j’étais présent, mais ce n’est pas moi qui l’ai abattu.
- Où avez-vous pris la veste blanche à col rouge que vous avez sur vous ? – Je l’ai acheté samedi chez nous pour quarante sous.
- Est-ce un militaire qui vous l’a vendue ? – Oui (5).
Voici la sentence du comité révolutionnaire :
D’après les informations prises sur la conduite de François Claveleau, il en résulte qu’il a été un des émoteurs (sic) pour exciter à la révolte, faire massacrer nos frères d’armes, et qu’il s’est emparé de l’arbre de la liberté de Cholet ; d’après les délations faites contre lui, il a employé cet arbre à faire un timon de charrette.
Deux jours après son interrogatoire, Claveleau fut adressé à la commission militaire d’Angers. Il faisait partie du douzième envoi du comité révolutionnaire de Cholet à la commission, et ce convoi comprenait en tout 27 personnes.
Le 1er pluviôse an II (20 janvier 1794), Claveleau, extrait de sa nouvelle prison, fut amené devant la commission militaire, qui siégeait dans l’ancienne église des Jacobins. Le président Félix (6), assisté de Loizillon comme secrétaire, l’interrogea comme suit (7) :
- Combien il a enrôlé d’hommes pour former le rassemblement des brigands ? – Il n’en a enrôlé aucun.
- Il en impose, car il est prouvé qu’il était un de leurs principaux racoleurs à Cholet ? – Le fait est faux.
- Combien il a fait massacrer de défenseurs de la patrie lors des combats ? – Il n’en a jamais massacré ni fait massacrer.
- Combien il a acheté l’arbre de la liberté de Cholet ? – Il l’a demandé et on le lui a donné.
- Pourquoi il a demandé cet arbre ? – N’ayant point de bois pour se chauffer, il le demanda à acheter ; on lui dit qu’il pouvait le prendre, et on le lui a fait brûler.
- Il en impose, puisqu’il est prouvé qu’il en a fait un timon de charrette ? – Cela n’était pas possible, puisqu’il était coupé en trois morceaux.
Séance tenante il fut condamné à mort. Voici le libellé de sa condamnation :
- Avoir eu des intelligences avec les brigands de la Vendée,
- Avoir enrôlé pour former le rassemblement des brigands de la Vendée et contribué de tout son pouvoir à faire massacrer un grand nombre de défenseurs de la patrie hors de combat.
- Avoir assisté à la destruction de l’arbre de la liberté de Cholet, en avoir fait un timon de charrette, après en avoir donné vingt sous pour le conduire chez lui.
- Avoir provoqué au rétablissement de la royauté et à la destruction de la république française.
Dans la soirée du 20 janvier 1794, il fut exécuté sur la place du Ralliement. Ce jour-là quatre autres personnes montèrent également à l’échafaud : Geneviève Bouchet, chirurgienne à Beaupréau, Charles-Mesmin Gault, ancien commis greffier du tribunal du district de Cholet, la baronne de Vezins et sa femme de chambre.
Source : François Uzureau, La Vendée historique, 1903, pp. 179-182.
Notes :
(1) Le procès-verbal d’arrestation se trouve aux Archives départementales du Maine-et-Loire, L. 1160.
(2) Le comité révolutionnaire de Cholet se composait alors des citoyens Joseph Clemanceau (président), Rousseau (secrétaire), Macé, Cambon, Roustiau-Houdié, Auteract, Hérault, Duchaînay et Demiaud cadet.
(3) François Claveleau est né en 1750 à Saint-Hilaire-des-Échaubroges. Il s’est établi à Saint-Pierre de Cholet à la faveur de son mariage avec Perrine You en 1786. Le couple eut une fille, Marie Perrine (1789-1886).
(4) C’est le 14 mars 1793 que Cholet fut pris par les Vendéens qui restèrent maîtres de cette ville jusqu’au 17 octobre suivant.
(5) Archives de la Cour d’appel. – L’interrogatoire et celui-ci au-dessous furent signés par Claveleau.
(6) Jean-Baptiste Musquinet de Saint-Félix, sans-culotte parisien et révolutionnaire acharné qui raccourcit son nom en « Félix », présida une commission militaire à Angers (elle fut aussi itinérante), qui envoya à la mort des milliers de Vendéens sous la Terreur.
(7) Archives de la Cour d’appel.
On peut lire sur les Affiches d'Angers (consultables librement sur le site des Archives départementales du Maine-et-Loire), le compte rendu de ces exécutions du 20 janvier 1794 :