Après Doué et Cizay-la-Madeleine, les Amis du Pont-Paillat se sont mis en chemin vers Saumur, principale étape de cette journée dédiée à la découverte des prisons au temps des Guerres de Vendée, avec, en point d’orgue, la visite privée de la Tour Grenetière.
La Tour Grenetière, ancienne prison de Saumur
Le rendez-vous avait été pris avec Hélène Genin (1), guide-conférencière passionnée par l’histoire et le patrimoine saumurois. Nous nous sommes retrouvés devant l’Hôtel de Ville, sur la façade duquel on remarque une pierre de la Bastille déjà commentée ici. Hélène nous a fait la surprise de convier « Monsieur de Charette » pour cette visite. Jean-Pierre Savinaud était en effet présent, lui qui a joué le rôle du chevalier en 1986, dans une pièce de théâtre de Marcel Jullian.
Rendez-vous devant l'Hôtel de Ville de Saumur avec Hélène Genin (de dos)
qui m'a remis plein de documents sur l'histoire de Saumur sous la Révolution
(à droite, Jean-Pierre Savinaud, alias « Monsieur de Charette »)
Notre guide souhaitait avant tout nous montrer les impacts de tirs qui constellent la façade est du bâtiment. Compte tenu de l’étroitesse de la rue Bonnemère qui la borde, ces coups de feu n’ont pu être portés qu’à une époque où les maisons situées entre l’Hôtel de Ville et la porte de la Tonnelle n’existaient pas. Datent-ils des guerres de religion ? ou de la bataille de Saumur (9 juin 1793) ? La question se pose, sachant que les derniers combats de 1793 eurent lieu dans ce périmètre entre les Vendéens, qui avaient investi la ville, et les républicains, dont le dernier carré se réduisait autour de la place de la Bilange…
Les impacts de tirs sur le mur de l'Hôtel de Ville (photo La Maraîchine normande)
La Tour Grenetière et les fortifications de Saumur
Hélène nous a ensuite conduits, par la rue du Temple, vers deux vestiges de l'enceinte de Saumur : la Tour du Bourg (2), simple construction cylindrique, inaccessible pour des raisons de sécurité ; et la Tour Grenetière, plus grande et plus intéressante par son architecture et son histoire.
Construite au XVe siècle, sous le règne de Louis XI, cette tour d’artillerie et son enceinte formaient un éperon défensif à l’angle sud-ouest de Saumur, face à la route venant du Pont-Fouchard, sur le Thouet, et à celle menant au Poitou. Haute de 34 mètres, elle repose sur des murs épais de 3,50 mètres et compte quatre niveaux, le dernier couvert par une belle voûte nervurée soutenant la terrasse. Tout laisse à penser qu’il existe une salle souterraine, bien qu’on n’en ait pas trouvé l’accès.
Précédés par Hélène, nous avons gravi l’escalier en colimaçon, qui a l’étonnante particularité d’être en pierre dans sa partie basse, puis en bois massif, afin de visiter ce lieu chargé d’histoire. À chaque étage, de vieilles portes solidement ferrées jusqu’à leur guichet ouvrent sur une salle à peine éclairée par deux ou trois petites fenêtres taillées dans l’épaisseur des murs. Le sol est couvert de madriers disjoints, usés par les siècles.
À gauche, la Tour du Bourg (photo La Maraîchine normande) ; à droite, Hélène Genin et Richard Lueil (Chemins Secrets) devant la Tour Grenetière
Une prison de faux-sauniers
Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, la tour perd son rôle militaire pour devenir une prison pour les « faux-sauniers ». Ces contrebandiers du sel étaient particulièrement actifs en Anjou, pays de grande gabelle fortement imposé sur cette denrée, alors que ses voisins bretons et bas-poitevins en étaient exemptés. Lorsqu’ils tombaient entre les mains des douaniers (les « gabellous »), les faux-sauniers étaient jugés par un tribunal spécial siégeant à Saumur. Et c’est dans les geôles infectes de la Tour Grenetière (dont le nom pourrait venir du « grenier à sel » à proximité) que les condamnés devaient attendre la « chaîne » qui les conduisait une fois par an au bagne ou aux galères.
L’abolition de la gabelle en 1790 vida la tour, pour un temps seulement. Car la tour ne tarda pas à redevenir une prison, très vite remplie en 1793 par l’arrivée de détenus vendéens, dans des conditions sanitaires toujours aussi épouvantables.
La salle du greffe accueillait les détenus au rez-de-chaussée
La porte du deuxième étage (à droite, photo La Maraîchine normande)
Les murs couverts de graffitis laissent deviner ici un moulin, plus loin un bateau ou des figures humaines. Le motif le plus fréquent représente les instruments de la Passion.
Le plan de la Tour Grenetière établi en 1964 (A.M. de Saumur)
« La Tour de Saumur », prison sous la Terreur
Le général Danican y fit une visite au cours de l’été 1793 : « À l’affaire du 5 août 93, l’avant-garde fit 79 prisonniers, qui furent conduits à la tour de Saumur (la Tour Grenetière), où j’eus l’occasion d’aller quelques jours après… Je voulus voir les prisonniers vendéens ; on me fit descendre au fond d’un large tour, où, parmi un tas de moribonds, je vis un homme mort, et un autre qui expirait à côté de lui. Je tombai moi-même suffoqué par le méphitisme ; on m’entraîna hors de la tour… » (Auguste Danican, Les Brigands démasqués…, Londres, 1796, p. 217).
La situation s’aggrave pourtant de mois en mois. Le 8 novembre 1793, le Comité révolutionnaire de Saumur signale que plus de 800 prisonniers sont entassés dans cet ensemble carcéral agrandi à trois maisons. Les prisonnières sont placées quant à elles dans la Tour du Bourg (surnommée la « Tour Grenetière des femmes ») et dans une autre maison voisine.
Les cachots sont pourtant régulièrement vidés de leurs occupants que les autorités transfèrent dans l’église Notre-Dame de Nantilly, autre prison saumuroise, ou plus loin, vers Chartres et Bourges, car les détenus sont accusés de manger « le pain des sans-culottes ». Bien sûr, la commission militaire Félix s’emploie à expédier ces malheureux dans l’Au-delà à grand renfort de jugements expéditifs. On lira sur le blog de La Maraîchine normande deux textes qui dépeignent les horreurs de la Tour Grenetière.
La porte du premier étage et le blason de France au sommet de la tour
Les pas de centaines de détenus ont raboté le plancher.
L'escalier en colimaçon, aux marches de pierre et de bois (à gauche),
et la tour vue de la cour de l'école (à droite)
L'église de Nantilly, exutoire de la Tour Grenetière
Au terme de cette visite impressionnante jusqu’au panorama sur la ville depuis la terrasse (photos au bas de cet article), nous nous sommes rendus à Nantilly, faubourg qui vit passer La Rochejaquelein et Stofflet lors de la bataille du 9 juin 1793. Nous ne pouvions manquer la belle église romane dédiée à Notre-Dame, chef-d’œuvre roman du XIIe siècle, agrandi d’une nef latérale gothique au XVe siècle.
Transformée en prison sous la Révolution, elle a servi d’exutoire à la Tour Grenetière. En décembre 1793, 300 Vendéens qui avaient déposé les armes à Angers y furent enfermés. La commission militaire Félix leur rendit visite, procéda à un interrogatoire succinct et les condamna à mort, à l’exception des plus jeunes. L’exécution eut lieu le 26 décembre, au champ des Moulières, aujourd’hui indiqué par le Mémorial des fusillés de Bournan. Ce sera l’ultime étape de notre périple saumurois.
La façade de l'église Notre-Dame
L'oratoire de Louis XI et la statue polychrome de Notre-Dame
Vue sur la Tour Grenetière depuis le parvis de Notre-Dame de Nantilly (à gauche), et l'intérieur de l'église, autre prison saumuroise sous la Terreur
Blancs et Bleus à l'hôtel Blancler
En regagnant les quais de la Loire, nous avons marqué un arrêt sur la place de la Bilange où la guillotine se dressait sous la Terreur. Nous avons également évoqué l’histoire de l’hôtel Blancler, qui accueillit dans ses salons l’état-major républicain tout au long de la guerre, à l’exception des deux semaines du 9 au 25 juin 1793 au cours desquelles les chefs vendéens prirent leur place dans cette élégante bâtisse de style Louis XVI. Celle-ci abrita également, au rez-de-chaussée côté cour, le siège du comité révolutionnaire et de surveillance qui joua un rôle central dans le renforcement de la Terreur en traquant tout individu suspect de rébellion ou d’incivisme.
Nous avons alors pris congé d’Hélène en la remerciant vivement pour cette visite exceptionnelle, avant de repartir en direction de Bournan, cette fois en voiture.
L'hôtel Blancler sur la place de la Bilange
Le Mémorial des fusillés de Bournan
La route de Bagneux mène au sommet d’un coteau dominant la ville, fermement défendu, en juin 1793, par deux redoutes qui constituaient le principal dispositif défensif des républicains. Hélas pour eux, les Vendéens les ont pris à revers…
Le Mémorial des fusillés de Bournan est bien signalé par plusieurs panneaux jusqu’au bois où fut érigée une croix en 1994, en mémoire des Vendéens dont nous avons parlé à Nantilly. Ils furent conduits ici, fusillés sur place et inhumés dans plusieurs fosses toujours visibles à proximité. C’est devant ce monument toujours fleuri que nous avons achevé cette journée d’histoire dont nous nous souviendrons longtemps.
Le monument à la mémoire des 225 Vendéens fusillés en ce lieu
La plaque commémorative sur la croix
L'une des fosses près de la croix
Dernière image de ce « Champ des Martyrs » avant de rentrer…
(1) Hélène Genin propose ses services de guide-conférencière à Saumur, Fontevraud, Angers et dans la vallée de la Loire. Vous pouvez la contacter à cette adresse : helene.pan@wanadoo.fr ou sur son site internet : helene-genin.jimdo.com
(2) Un fonds de dotation a été créé pour sauver et animer la Tour du Bourg. L’histoire du monument et les projets de restauration sont exposés sur le site : www.saumur-tourdubourg.fr
Vues sur la vieille ville de Saumur depuis la terrasse de la Tour Grenetière :
Côté sud, vers Nantilly (on distingue l'église Notre-Dame)
Vers le château avec, au premier plan, d'anciens bâtiments de la prison.
La Tour du Bourg se cache derrrière le clocher de la chapelle.
Vers l'église Saint-Pierre et le château
Côté nord-est, l'Hôtel de Ville émerge d'une mer d'ardoises.
Côté nord-ouest, l'église Saint-Nicolas
Sur la terrasse de la Tour Grenetière, les toitures de l'Hôtel de Ville, de l'église Saint-Pierre et du château pointent au-dessus des créneaux.
Localisation des sites mentionnés dans l'article :