Jacques Cathelineau mourut à Saint-Florent-le-Vieil le dimanche 14 juillet 1793, d’une blessure reçue à la bataille de Nantes le 29 juin précédent. La disparition du premier généralissime des armées vendéennes marqua le tournant de la Grande Guerre de 1793, comme on le voit dans cette pièce musicale du théâtre d’ombres. 

Vendee Episodes lyriques

Nantes bloqué partout allait rendre les armes,
Quand un cri retentit : « Cathelineau n’est plus ! »
Le Vendéen recule, aux belliqueux vacarmes
Succèdent des propos confus.

Il succombe celui qui forçait la victoire.
Il va, dans un suprême adieu
Rendre au ciel cette âme que Dieu
Lui donna pour venger sa gloire !

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Ce poème est extrait de Vendée ! Épisodes lyriques, une pièce du théâtre d’ombres dont les paroles et la musique ont été composées par Auguste Georges Prosper Fragerolle (1855-1920). L’œuvre a de quoi surprendre quand on sait qu’elle fut jouée dans un cabaret de Montmartre, Le Chat noir. Fondé en 1881, l’endroit connut un grand succès à la fin du XIXe siècle et au début du XXe grâce au théâtre d’ombres, qui permit à des artistes de mettre en scène des pièces de leur composition. Parmi eux figuraient Caran d’Ache (pseudonyme d’Emmanuel Poiré), Henri Rivière ou encore Georges Fragerolle qui interprétait ses créations d’une voix de baryton. 

La pièce Vendée ! Épisodes lyriques a été publiée en 1911 et illustrée de plusieurs tableaux des Guerres de Vendée, en ombres chinoises : la forêt, Granville, la trêve, et la mort de Cathelineau en dernière page (consultable sur Gallica). 

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Vendee Episodes lyriques 5

Voici le texte composé par Georges Fragerolle pour la pièce Vendée ! Épisodes lyriques :

INTRODUCTION

Quand l’Europe en quatre-vingt-treize
Menaçait la terre française,
Une province crut qu’il était de son droit
De s’armer pour défendre et l’autel et son Roy.

Nous dirons aujourd’hui, sans haine et sans colère,
Les combats qu’au ravin où chante le hibou
Les Vendéens martyrs de leur foi séculaire
Affrontèrent, souvent vaincus, toujours debout.

PREMIER TABLEAU – SAINT-FLORENT-LE-VIEIL

À Saint-Florent-le-Vieil c’est midi. De l’église
Les fidèles s’en vont. Partout la table est mise ;
C’est le repos, la paix. Quel bruit monte au lointain,
Grandit ? Des cavaliers ont apparu soudain :

« Gens d’ici, disent-ils, le roy n’est plus. Sa tête
Vient de tomber au pied de l’échafaud, la croix
Est mise à bas. Fuyant le trépas qui s’apprête,
Nos prêtres, nos messieurs sont traqués dans les bois.

Il est passé le temps des larmes !
Qu’on prenne une faux, un épieu
Et nous rendrons les armes
Quand on nous rendra notre Dieu ! »

DEUXIÈME TABLEAU – LA RÉSISTANCE

Les humbles aujourd’hui comme autrefois les pâtres
Sont arrivés d’abord. 
Et c’est Cathelineau que la foule idolâtre,
Stofflet, d’autres encor. 

C’est tout un peuple enfin, un peuple qui s’exile
Et quitte ses foyers
Pour errer de longs mois sans arrêt, sans asile
À travers les landiers !

TROISIÈME TABLEAU – LA FORÊT

Or les mages après les vergers, sous le chêne
Où naît l’héroïsme ingénu,
Vont accourir. Dans la nuit incertaine
Chacun s’est bientôt reconnu. 

« Près de nous que viens-tu chercher ?
— Connaissez-moi, je suis Bonchamps.
Dans le château de mes aïeux
Où je vivais des jours heureux,
De loin, j’entendis une voix
Comme un chevalier d’autrefois
J’ai pris mes armes et ma croix.

— Toi qui sembles plus jeune encor
Qui donc es-tu, dernier renfort ?
— Dans mon pays, je suis celui
Qu’on appelle Monsieur Henri.
Et si j’avance, suivez-moi,
Si je recule, tuez-moi.
Si je meurs, si je meurs, enfants, vengez-moi !

— Qui vient là dans le soir mourant
Pour prendre place dans nos rangs ?
Si jeune, quel homme es-tu donc ?
— J’accours et Lescure est mon nom.
En partant gaiement de chez nous,
Les miens et moi, nous avons tous
À la mort donné rendez-vous.

QUATRIÈME TABLEAU – LA PRIÈRE

Et tandis que les gars iront tous à la guerre,
Les filles, les vieux, les mères en pleurs,
Penchés sur la bruyère,
Uniront leurs douleurs
Et les petits, en attendant qu’ils soient en âge
D’aller au combat s’aguerrir,
Diront en les saluant au passage,
Un Pater, un Ave pour ceux qui vont mourir.

CINQUIÈME TABLEAU – SAUMUR

Voici Saumur, défendu par Santerre
Dont le sabre levé fit rouler des tambours 
Au pied d’un échafaud, à l’assaut des faubourgs. 
Un instant pour les blancs la fortune est contraire.
La Rochejaquelein paraît. Comme un drapeau,
Au plus épais des bleus, il lance son chapeau :
« Qui de vous, mes enfants, dit-il, me le rapporte ? »
La Vendée à ces mots s’élance, est la plus forte.
Santerre, abandonnant la ville et les faubourgs,
Retourne à Paris sans trompettes ni tambours.

SIXIÈME TABLEAU – MORT DE CATHELINEAU

Nantes bloqué partout allait rendre les armes,
Quand un cri retentit : « Cathelineau n’est plus ! »
Le Vendéen recule, aux belliqueux vacarmes
Succèdent des propos confus.

Il succombe celui qui forçait la victoire.
Il va, dans un suprême adieu
Rendre au ciel cette âme que Dieu
Lui donna pour venger sa gloire !

SEPTIÈME TABLEAU – LA TRÊVE

Pour quelques jours c’est la trêve là-bas ;
Vainqueurs et vaincus semblent las.
Le fusil sur le dos, poussant son attelage,
Le guerrier laboureur songe à ceux qu’au village.
Il doit laisser au premier appel du tocsin.

Penché sur le sillon, il confie à son sein
Le blé fécond qui doit nourrir la maisonnée.
À demain les combats, la rude randonnée ;
Aujourd’hui, c’est la paix, c’est l’austère devoir
Qui lentement s’achève en le calme du soir.

HUITIÈME TABLEAU – GRANVILLE

Dans une marche folle et traversant la France,
Les blancs vont à Granville et, suprême espérance,
Demain seront les maîtres de la mer.
Vers la ville on s’élance aussi prompt que l’éclair.
Mais l’ennemi, qu’on veut surprendre,
Livre au feu les quartiers qu’il ne pourrait défendre.
L’incendie, ô Vendée, arrête ton essor
Comme l’aigle à Moscou devra plier son aile.
Tu vois aujourd’hui la victoire infidèle.
C’est la retraite aussi, plus effroyable encor. 

NEUVIÈME TABLEAU – LA RETRAITE DE LA LOIRE 

Ce n’est pas l’armée en retraite
Qui parfois se tourne et tient tête
À l’ennemi qui la poursuit.
Ce sont des enfants et des femmes
Qui vont fuyant devant les flammes,
À l’aventure dans la nuit.

C’est l’hiver blafard et terrible
Où le fuyard comme une cible
S’offre au fusil des poursuivants,
La neige sous la voûte noire,
Qui met, de Granville à la Loire,
Un linceul au dos des vivants.

Au bord du flanc où l’on arrive,
Plus une barque sur la rive
Pour franchir le gouffre mouvant.
Alors des cadavres sans nombre
S’en iront au fil des flots sombres
Aux profondeurs de l’océan. 

DIXIÈME TABLEAU – ENTRÉE DE CHARETTE À NANTES

Si la grande Vendée est vaincue, au bocage
On lutte encore et l’on reprend courage.
Lassé, pour en finir, Paris s’offre au traité
Qui rend au Vendéen ses biens, sa liberté.

Suivant Canclaux, son capitaine,
La milice républicaine
Pour sceller l’entente prochaine
Défile dans Nantes surpris
Car en tête aussi vient Charette,
Sur qui chaque regard s’arrête
Et que toute la ville en fête
Vient acclamer de mille cris.

Cette paix ne sera qu’un leurre.
Guettant la fortune meilleure,
Le paysan dans sa demeure
Reste embusqué soir et matin.
Sorti de la maison de France,
Un prince, on en a l’assurance,
Va décider par sa présence
Du succès final et certain. 

ONZIÈME TABLEAU – L’ÎLE D’YEU

Ici depuis longtemps on attend, on espère,
C’est la rive pourtant où le Comte d’Artois
Devait débarquer d’Angleterre.
Rien ne vient : tout est bien fini cette fois.
À quoi bon lutter, puisque ceux qu’on aime,
Ceux pour qui l’on meurt restent loin de nous.
Pour les suivre encor nous eussions quand même
Usé nos talons jusqu’à nos genoux.

Charette et quelques-uns restent, mettant leur gloire
À ne survivre pas à leur rêve perdu.
Aux pays qu’arrose la Loire,
Le canon ne sera plus jamais entendu.
Il faut retourner aux champs de nos pères ;
La guerre a détruit nos humbles maisons.
Mais viennent pour nous les printemps prospères,
Nous verrons encore janvier, les moissons. 

DOUZIÈME TABLEAU – PATAY (1870)

Mais si pourtant : ces bruits de guerre,
Quatre-vingts ans plus tard, nous les réentendrons.
Sous l’horizon en feu, fumant comme un cratère,
Et les tambours unis à l’appel des clairons.

Nous reverrons le chaume où les gens du village,
Enfants, femmes, vieillards, empressés d’accourir,
Diront en les saluant au passage
Un Pater, un Ave pour ceux qui vont mourir.

Lorsque pour venger sa querelle
En un fier et suprême assaut,
La France appelant pêle-mêle,
Les siens sous un sanglant drapeau
Verra s’unir les fils des gars de la Moselle
Aux enfants de Charette et de Cathelineau.

FIN