La récente commémoration de la bataille de Torfou nous aurait fait oublier un événement peu connu, et pourtant hautement symbolique pour les Vendéens, qui eut lieu dans la dernière phase des combats : un mois avant son célèbre geste de grâce à Saint-Florent-le-Vieil, Bonchamps appelle au pardon pour mettre fin à un massacre de prisonniers républicains.
Ce curieux tableau de Boislecomte, qui place Cathelineau dans la scène fameuse du Pater de d'Elbée (Salon de 1899), exprime l'attachement des généraux angevins au respect des prisonniers républicains. Bonchamps en a été le plus sublime exemple.
Victorieux à Torfou sur l’avant-garde des Mayençais, le 19 septembre 1793, les Vendéens pour une fois réunis (ils ne l’avaient été qu’à l’attaque de Nantes, le 29 juin 1793) avaient convenu de poursuivre leur offensive vers Clisson, afin d’achever d’écraser cette puissante armée que la République avait lancée contre eux. Hélas, les Poitevins de Lescure et les Maraîchins de Charette s’en détournèrent pour contrer une autre menace ennemie à Saint-Fulgent, le 22 septembre. Ce même jour, les Angevins étaient donc seuls face aux soldats de Mayence, près du château de la Galissonnière (commune du Pallet), pour un dernier affrontement dans cette campagne militaire de septembre. C’est là que se déroula cet épisode du « premier Pardon de Bonchamps ».
Bonchamps arrête le massacre des prisonniers
Les historiens de Monnières (1) et du Pallet (2) ont bien sûr rendu compte de ce haut fait du passé de leurs communes (3). Ils en ont puisé le récit dans les écrits de l’abbé Félix Deniau (4) retranscrit ici :
Les Mayençais opérèrent leur retraite dans le meilleur ordre et avec beaucoup de célérité (…) À peine étaient-ils parvenus à la hauteur du Pallet, que Bonchamps et Talmond fondirent sur eux avec la plus grande impétuosité.
Bonchamps, comptant sur la diversion de Lescure et Charette, comme il avait été réglé à Tiffauges et fidèle au plan qui avait été formé d’attaquer les Mayençais quand ils se mettraient en route avec leur convoi, était parti, le 20 (septembre 1793), de Tiffauges pour Cholet, d’où il revint, le 22, occuper Vallet et La Chapelle-Heulin.
Sitôt qu’il apprit, dans cette journée, par un courrier que « des ambulances se dirigeaient vers Clisson sur Nantes » il attaqua, avec huit mille hommes, les Mayençais près du château de la Galissonnière. Aux premiers coups de feu, les Mayençais croient d’abord qu’ils ont affaire aux divisions combinées de la grande armée vendéenne, et sont dans la consternation. Bonchamps, de son côté, ne se voyant point secouru, est frappé d’étonnement.
Un moment, une certaine hésitation se fait sentir dans les deux partis. Toutefois Bonchamps et Talmond, déguisant sous un visage gai et riant leur tristesse profonde, attaquent, près de la Meredière, l’ennemi avec vigueur et lui enlèvent, après une fusillade de peu de durée, malgré leur infériorité numérique, cinq ambulances du 95e de ligne, pleines de blessés, que les paysans de la division de Lyrot se mettent aussitôt à égorger impitoyablement.
Bonchamps, averti de cette boucherie, arrive pour y mettre fin. « Arrêtez, s’écrie-t-il, que faites-vous misérables ? – Ce sont des infâmes, vocifèrent les paysans, qui ont détruit nos récoltes, brûlé nos métairies et massacré nos femmes, que nous exterminons. » Bonchamps leur réplique : « Dieu, mes enfants, a pardonné à ses bourreaux ; comme lui, pardonnez aux vôtres. » Le massacre cessa.
L’arrivée de troupes fraîches commandées par Aubert du Bayet fit rétrograder la colonne vendéenne. Bonchamps ne s’avoua pas vaincu pour autant, il relança son attaque cette fois à la Louée, du côté de Vertou… en vain. Il lui aura manqué le renfort des Poitevins et des Maraîchins pour porter le coup fatal. Ces cinq jours de combats remportés par les Vendéens sur les Bleus (5) n’en demeurent pas moins un exploit mémorable, auquel le geste éminemment chrétien de Bonchamps ajoute une victoire morale.
- Auguste Bouyer, Recherches historiques sur Monnières, Nantes, 1900 (réédition 2004), pp. 68-69.
- Collectif, Le Pallet, patrie d’Abélard, Le Pallet, 1980, p. 51.
- Il faut également citer Jean-Camille Émeriau, auteur de P’tit Jean le Brigand « à feu et à sang » (auto-édition, 2004, pp. 144-145), qui a placé ce récit dans la bouche de Paul de Gouvello, ancien capitaine d'infanterie, seigneur de la Cormeraie en Monnières, officier dans l'armée de Bonchamps.
- Abbé Félix Deniau, Histoire de la Guerre de la Vendée, Cholet, Pays et Terroirs, réédition de l’édition de 1878, t. II, vol. 2, pp. 610-611.
- Les Vendéens ont été vainqueurs à Coron le 18 septembre 1793 ; au Pont-Barré et à Torfou le 19 ; à Montaigu le 21 ; et à Saint-Fulgent le 22.