Une lettre échangée entre deux prêtres vendéens en 1798 apporte un éclairage nuancé sur l’attitude du clergé réfractaire après la guerre et la soumission de certains ecclésiastiques aux lois de la République. Ce revirement remonte cependant au synode du Poiré-sur-Vie, en août 1795.
Article de Ouest-France, édition des Sables-d'Olonne, 1er avril 2018
« La lettre est peu connue, personne n'en parlait, et beaucoup d'historiens s'en sont désintéressés », constate Joël Rouillé, qui voit dans cette mise à l'écart un élément troublant dans l’historiographre des guerres de Vendée. Selon lui, le document tordrait le cou à quelques idées communément acceptées sur les ecclésiastiques qui ont vécu les années post-révolutionnaires.
L'écrit produirait un témoignage probant sur leur désunion neuf ans après (le début de) la Révolution, leur éloignement du combat en faveur de la royauté et leur acceptation des règles républicaines. Il montre des prêtres aux idées bien plus pacifiques que l'image qui était donnée d'eux.
La liberté des cultes admise par la République (1)
La lettre ressortie du fonds des Archives départementales par les recherches des deux frères chapelais, Bernard et Joël Rouillé, sur le prêtre Amiaud, curé de La Chapelle-Achard à compter de 1804, mais surtout connu pour son insoumission à la Révolution et son amitié avec le chef vendéen Charette. Sa tombe est toujours bien présente au cimetière communal. À partir de 1795, avec d'autres prêtres, il se convertira peu à peu aux lois de la République.
Le courrier en question, daté du 29 septembre 1798, est une rédaction du Père Moreau, curé du Poiré-sur-Vie, et adressé au chanoine Paillou, exilé en Espagne. Le Père Amiaud aurait collaboré aux échanges avec le chanoine déporté, soutenu par d'autres membres du clergé vendéen.
La correspondance révèle le désarroi d'une élite cléricale désormais prête, après près de cinq années de guerre civile, à s'inscrire pacifiquement dans la République. Depuis 1795, rappelle Bernard Rouillé, « tous les cultes sont libres, juif, catholique, protestant, à condition de reconnaître la République, ce que feront de nombreux prêtres vendéens » (2).
Se détacher de toute attitude partisane
Ces prêtres, pourtant fort engagés contre la Révolution, refusant obstinément d'obéir, certains ayant connu la prison ou la clandestinité, changent de point de vue. La contrainte ne semble pas être l'élément déterminant de leur soumission aux nouveaux principes. « La République ne connaît aucune religion en particulier, elle les tolère toutes ; par conséquent, toutes ces lois sont purement civiles, et comme citoyen je dois m'y soumettre », écrit le Père Moreau, acceptant cette réalité, D'autant que le retour à la Royauté ne semble guère soulever les masses paysannes, « la royauté que l'on tenterait de rétablir en France (…), le pacte social la rejette comme incompatible avec le gouvernement républicain », peut-on lire.
La lassitude d'un conflit sanguinaire l’emporte. Il faut déposer les armes. « J'ai dit comme homme, comme chrétien et surtout comme ecclésiastique, je dois haïr ceux qui occasionneraient la plus grande effusion de sang humain. Or, le rétablissement de la royauté actuelle occasionnerait la perte de plusieurs milliers d'hommes ! Je dois donc haïr tous ceux qui pourraient contribuer », est-il encore écrit dans cette lettre.
Merci à Jean-Claude pour la communication de cet article de Ouest-France
(1) Le titre mériterait d’être nuancé ! La liberté des cultes avait en effet été reconnue en théorie par la loi du 21 février 1795, dans la mesure où leur pratique restait une affaire privée. Mais le coup d’État du 18 fructidor (4 septembre 1797) a relancé de violentes persécutions anticatholiques, marquées en Vendée par l’exécution de l’abbé Mathieu de Gruchy, desservant à Venansault, le 28 novembre 1797, ou encore par la mort en déportation en Guyane, le 8 septembre 1798, de l’abbé Pierre Bregunat, vicaire de Bazoges-en-Paillers.
(2) Ils le feront surtout en raison de la clause du traité de la Jaunaye (17 février 1795) autorisant le libre exercie du culte, et de l'attitude modérée à leur égard du général Hoche, nommé général en chef de l'armée de l'Ouest en août 1795.
Paul Talonneau (ex habitant du Poiré sur vie ) " Le chemin perdu de l' abbé Moreau", 1981, Editeur non précisé mais imprimé chez Delhommeau à La Roche sur yon, en 1981.
Je cite le début du texte de présentation :
" La vision de l' histoire change. Les lecteurs attendent maintenant autre chose que des relations littérales ou manichéennes des événements. Ils veulent désormais entrer dans la compréhension intime des hommes…"
A la lecture de cet ouvrage, tout laisse à penser que Paul Talonneau avait déjà bien exploré les archives et en particulier la lettre dont il est question.
Il a donc tenté d' écrire, dit -il, "un journal intime...avec le quotidien d'une révolution, et les hommes écrasés, et les interrogations de l' Esprit dans le bruit des armes."