Les Archives de la Vendée conservent un rapport sur l’interrogatoire d’un marin de Noirmoutier, capturé par les Anglais en 1793, puis enrôlé dans la flotte des émigrés qui le mena à des expéditions sur les côtes vendéennes en 1795.
Débarquement d'armes sur les côtes de Vendée en 1795
Le 27 brumaire an IV (18 novembre 1795) est conduit devant le citoyen Potier, commandant la place de Noirmoutier, un dénommé Mathurin Martineau, un marin originaire de cette île, qui s’était embarqué en qualité de volontaire sur le corsaire La Didon, pris par les Anglais le 12 mai 1793. Après 21 mois passés en captivité outre-Manche, il fut enrôlé de force dans les rangs des émigrés, embarqua sur un chasse-marée faisant partie de l’escadre anglaise de Quiberon. Dès lors il participa à des expéditions sur le littoral vendéen, dont il rend compte dans son interrogatoire.
Des milliers d'armes et de munitions enfouis à Belleville
Il déclare ainsi qu’il « avait été débarqué sur les côtes de Saint-Jean-de-Monts, avec différentes armes et munitions, consistant en 2.000 fusils, 50 mousquetons, autant de sabres, environ 70 milliers de poudre, plusieurs caisses de mitraille, deux canons de huit en bronze, le tout sous l’escorte de dix-huit émigrés qui avaient pour chef Lefebvre le jeune (1), qui, secondés par les rebelles de l’intérieur, avaient gagné le camp de Charette à Belleville ; qu’il avait entendu dire que nocturnement tous ces effets avaient été enfouis, ainsi qu’environ 40 canons que Charette avait en sa possession ».
Ce débarquement eut lieu le 10 août 1795. Martineau ajouta que parmi les émigrés figuraient les nommés Suzannet, Grand-Maison et Dupin-la-Rivière (2). Il déclara que Charette se trouvait dans un état de détresse, que sa troupe était réduite à 800 hommes poursuivis jour et nuit par les colonnes républicaines.
Interrogé sur les connaissances qu’il pouvait avoir concernant l’armée de Charette, Martineau répondit que Taconnet (3), La Robrie (4) et cinq Anglais s’étaient noyés sur la côte de Saint-Jean-de-Monts (dans la nuit du 17 au 18 février 1795) ; que Lefebvre jeune avait été tué dans un débarquement sur la même côte (le 10 août 1795) ; et Fourage à l’affaire de Saint-Cyr (Saint-Cyr-en-Talmondais, le 25 septembre 1795) ; et que la cavalerie de Charette n’excédait pas 150 hommes.
Charette menace Noirmoutier de représailles
Pour sa défense, Martineau argua qu’il a fait plusieurs tentatives pour rejoindre ses foyers, qu’il y était enfin parvenu à s’évader le 25 courant (soit le 16 novembre 1795) et avait regagné Noirmoutier le 27 (le 18 novembre). Après avoir fait le serment de fidélité aux lois de la République, il fut autorisé à rentrer dans sa famille, sous la surveillance du corps municipal de Noirmoutier.
Son interrogatoire s’achève par quelques renseignements supplémentaires, notamment par des conversations qu’il avait eu avec une domestique de Charette. « Elle lui avait dit que l’intention de son maître était qu’au cas qu’il puisse s’emparer de Noirmoutier (5), il passerait tous les habitants au fil de l’épée, brûlerait toutes les maisons, et inonderait l’île comme un lieu qui lui a toujours été funeste ».
La déclaration de Mathurin Martineau (ci-dessous) est consultable sur le site des Archives de la Vendée sous la cote SHD B 5/12-90.
- Né à Dunkerque en 1759, Louis François Lefebvre avait été nommé capitaine commandant la marine de Noirmoutier après la prise de l’île par Charette, le 12 octobre 1793. Il avait donc été chargé d’organiser une expédition destinée à se mettre en rapport avec l’Angleterre. C’est Joseph de La Robrie qui était porteur des lettres de Charette. Lefebvre laissa derrière lui sa femme, Françoise Marie Ganachaud, qui mourut dans les prisons de Nantes. La biographie de Lefebvre est détaillée en note 10 du Précis des opérations militaires du chevalier Guerry de La Fortinière, Revue du Souvenir Vendéen n°276 (automne 2016), p. 26.
- D’autres noms sont parfois cités par les historiens : MM. de La Voûte et de La Jaille (Muret et Beauchamp), ainsi que Bascher (Bittard des Portes), alors que ce dernier a débarqué sur la côte de Saint-Jean-de-Monts le 10 juillet 1795, avec Jean Brumauld de Beauregard, vicaire général de Luçon, et Mathieu de Gruchy, ancien vicaire de Soullans, Bois-de-Céné et Beauvoir, qui sera exécuté à Nantes le 28 novembre 1797.
- Originaire de Noirmoutier, Mathurin Pierre Taconnet de La Brossardière était un « ancien officier de canonnier gardes-côtes et ancien volontaire à la 3e compagnie d’infanterie de l’armée des Princes, d’où son passage ultérieur en Angleterre et son désir de retrouver son île natale » (Cte de Grimoüard et A. Prate, Joseph de La Robrie en Angleterre pour Charette, 2e partie, Revue du Souvenir Vendéen, n°272, p. 11).
- Joseph de La Robrie (1770-1795) a fait l’objet d’un article très documenté sur sa mission en Angleterre pour Charette, publié dans la Revue du Souvenir Vendéen : 1re partie dans le n°270, pp. 3-14 ; la 2e partie dans le n°271, pp. 3-15 ; la 3e partie dans le n°272, pp. 3-14.
- Charette s’était déjà emparé de l’île le 12 octobre 1793, sans entreprendre de telles représailles, bien au contraire. Sa situation périlleuse à la fin de l’année 1795 explique probablement ces menaces.