Le 26 novembre 1882, le Journal des Sables publie une nouvelle stupéfiante : un attentat à la dynamite a visé un notable légitimiste de Rocheservière, Paul de La Roche Saint-André. Et la suite de l’affaire, qui révèle un climat de quasi guerre civile entre royalistes et républicains, n’en est pas moins explosive…
Voici le texte de cet article qui provient d’un journal nantais, L’Espérance du Peuple :
Rocheservière, 15 novembre.
Monsieur le directeur,
L’un de nos amis les plus justement estimés et portant si dignement un nom cher à la Vendée, M. Paul de la Roche-Saint-André, reçut, il y a quatre jours, la lettre anonyme suivante (je respecte l’orthographe) :
« Citoyen de la Roche-Saint-André, nous connaissons ton domicile, tes allures légitimistes, tu passes pour un chef déterminé. Nous connaissons ta bravoure, tu sauras, citoyen, que ta tête est mise à prix ; le poignard ou la dynamite fera ton affaire dans “quelques” jours.
Bande anarchiste de mineurs.
Vive le drapeau rouge !
Ni Dieu ni maître !
Vive la commune ! »
Ces menaces ont été promptement suivies d’exécution. À minuit, M. de Saint-André fut réveillé par le bruit d’un carreau de vitre de sa chambre à coucher qui se brisait ; en même temps, un projectile, mèche allumée, pénétrait dans l’appartement et tombait au pied du lit. M. de la Roche-Saint-André saisit la bombe et la rejeta violemment par la fenêtre ; en même temps, armant son fusil de chasse, il le déchargea par sa fenêtre dans la direction où il entendait fuir les assassins.
Aux détonations de l’arme à feu succédait immédiatement une troisième détonation, celle-là formidable. C’était la cartouche de dynamite qui faisait explosion sur le sol, dans le jardin où M. de la Roche venait de la projeter.
Pendant ce temps, les malfaiteurs s’enfuyaient à la faveur des ténèbres, par-dessus le mur du jardin, et l’on trouvait cloué sur la porte de la maison, dans l’intérieur même de l’enclos, le placard suivant, encadré de rouge et orné de poignards dessinés par une main assez habile :
« Comité révolutionnaire en permanence ici… Ta tête va sauter, citoyen Paul. Elle vaut de l’argent. Elle nous sera payée bien plus cher qu’à tes calotins, qui vont te mettre dans un trou.
Vive la dynamite !
Vive le drapeau rouge !
Tu mourras avant “Chambor”, toi qui l’aime tant. »
P.-S. – Le juge de paix et la gendarmerie ont ouvert immédiatement une enquête. Nous savons aussi que plusieurs notabilités de la contrée avaient reçu, ces jours derniers, des lettres de menace annonçant des explosions à bref délai. Toutes se terminaient ainsi : « Vous et votre Henri V sauterez le même jour et nous ferons manger vos têtes bouillies à tous les calotins de l’endroit. » (« Chambor » dans le texte n’est autre que le comte de Chambord, ou Henri V, l’aîné de la dynastie des Bourbons et le prétendant au trône de France)
Un descendant d’insurgés vendéens
Cet attentat eut bien lieu à Rocheservière dans la nuit du 14 novembre 1882, au n°14 de la rue de Nantes où habitait M. Paul-Marie-Alexandre de La Roche Saint-André. Né à Rocheservière en 1818, il était le fils d’Alexandre de La Roche Saint-André (1785-1852), aide de camp de Louis de La Rochejaquelein et de Suzannet lors de la guerre de 1815, et le petit-fils d’Auguste-Joseph-Alexandre de La Roche Saint-André (1756-1793), maire de Montaigu, qui suivit l’armée vendéenne et périt outre-Loire.
Ce que le journal ne dit pas dans son post-scriptum, c’est que le substitut du juge de paix qui se présenta le lendemain était Félix Noeau, conseiller général du canton, ennemi juré de Paul de La Roche Saint-André. Son enquête menée d’étrange façon – les preuves furent détruites et les auditions ne firent l’objet d’aucun procès-verbal – aboutit à la conclusion que la victime avait organisé elle-même cet attentat !
Cette nouvelle fit encore plus de bruit que la dynamite et se répandit par voie de presse au niveau national. Le député vendéen Armand Baudry d’Asson (photo ci-contre), ami de Paul de La Roche Saint-André, porta l’affaire devant l’Assemblée nationale, protestant avec l’énergie qu’on lui connaît, que le gouvernement républicain se montrait incapable d’assurer la sécurité des citoyens.
La victime finit en prison !
Pendant ce temps, en Vendée, l’affaire prenait un tour invraisemblable, puisque Paul de La Roche Saint-André était déféré au tribunal correctionnel pour outrage à la gendarmerie et condamné à une amende. La peine fut en outre aggravée en appel à quinze jours de prison ! Bien que plusieurs témoignages aient signalé qu’un jeune ouvrier avait été aperçu manipulant des explosifs sur les lieux, Félix Noeau les avait repoussés et même trouvé un alibi opportun à ce suspect, préférant accuser la victime d’avoir tout manigancé pour ridiculiser les agents de la loi.
Lorsque Paul de La Roche Saint-André sorti enfin de prison, il fut accueilli par Armand Baudry d’Asson accompagné par une foule de personnes qui le soutenaient et qui le conduisirent triomphalement à Challans.
L’affaire ne s’arrête pas là, car les véritables auteurs sont encore dans l’ombre. Daniel Garriou est parti sur leurs traces et, s’appuyant sur de nombreux documents d’archives, a reconstitué cette histoire et apporté un éclairage sur ses mystères. Son article est paru dans les actes de la Journée historique de Legé de 2012 (n°16), disponible auprès de l’association des Amis de Legé.
Sources :
- Archives de la Vendée, Bibliothèque numérisée, Périodiques, Presse d’information générale, Journal des Sables (4 Num 41/30)
- Journal des informations cerviéroises, n°119, avril 2013, pp. 4-5