Placée aux portes de Nantes, sur la rive gauche de la Loire, la commune de Bouguenais se situe sur la ligne de front pendant les Guerres de Vendée. Sa population en bonne partie acquise à l’insurrection, et très touchée par la répression, compte également des patriotes qui furent eux aussi, mais à un moindre degré, affectés par les malheurs du temps. 

BouguenaisBouguenais (Saint-Pierre) sur la carte de Cassini, XVIIIe siècle
   

Le registre d’état civil de Bouguenais était tenu en l’an II (1793-1794) par le citoyen Mathurin Assailly (1). Cet officier d’état civil s’était réfugié à Nantes lors du soulèvement vendéen. Il avait emménagé dans la maison Prebois, au n°4 quai de la Secherie, d’où il poursuivait ses activités municipales en exil. Sa façon détaillée d’établir les actes d’état civil (2), avec une orthographe plutôt hasardeuse, nous éclaire sur plusieurs morts brutales survenues à Bouguenais en 1794. 

Un frère tué par les troupes de la République ou par les insurgés

La première est datée du « quinze vantos de lan deux » (5 mars 1794). Gratien Boinchaud, laboureur demeurant à Haute-Indre depuis l’insurrection et réfugié à Bouguenais, accompagné de Jean Guilbaut, laboureur, lui aussi réfugié à Bouguenais, tous les deux domiciliés au village de la Bouvre, sont venus lui déclarer « avoire trouvé et bien reconut le sitoyen Jean Moraux, laboureur du village de la Coullodries (Couillauderie) en la(d)itte commune, entairé (enterré) dans une planche de vigne au clos appelé les Miné (les Minais) proche la lande de son dit village, que suivant les apparance ille a été tué et masacré par les brigands et de la porté en entairé dans le simtière (cimetière) de notre commune le huit septembre dernier… » 
   

Bouguenais D an IIDétail de l'acte du décès du 15 ventôse an II
   

La deuxième suit de peu, le « dix huit vantose de la deuxsième année de la République française » (8 mars 1794). Ce jour-là, Mathurin Assailly reçoit la visite de Pierre « Harvoitte » (Hervouet), laboureur âgé de 25 ans, « garçon de confiance de la veuve Antoine Le Sage demeurant à la maison de la Grande-Giaitrie » (Gilleterie) en cette commune, de Raymond Louerat, laboureur âgé de 50 ans, demeurant au village du Rolly, et de Catherine Le Sage, femme de Pierre Bonnet, jardinier demeurant au moulin de Trebentin. Ces habitants de Bouguenais lui déclarent que « François Assailly marchand de vins agé de vingt neuf ans, demeurant dans son vivant aux bourgt de Bouguenais, avait été tué le neuf septembre mil sept cent quatre vingt treize, dans la lande de la Tillondière commune de Bois (Bouaye), distrit de nantes, soit par les troupes de la République ou par les insurgés, dappres que les témoins laiant (l’ayant) biens reconnus et fait apporté dans le simtiere de Bouguenais ou ille a été entairé par Charles Moidon, en présence de sa femme et plusieurs autres… » Ce François Assailly, la victime, n’était autre que le frère de l’officier public. Il était né le 4 juillet 1764 à Bouguenais. 
   

SignatureSignature de Mathurin Assailly
   

La municipalité de Bouguenais passe devant la commission militaire

Un mois après, un nouveau malheur vient frapper Mathurin Assailly. Arrêté avec les autres municipaux de Bouguenais et incarcéré à la prison du Sanitat, il passe devant la redoutable commission militaire Bignon le 8 avril 1794. 

Voici le jugement qui fut rendu : « La Commission militaire révolutionnaire s’est transportée à la maison d’arrêt du Sanitat, où est détenue une partie de la municipalité de Bouguenais, en vertu d’un mandat d’arrêt décerné contre eux (…) pour avoir signé et donné des certificats de civisme à des particuliers de Bouguenais, jugés à mort par la Commission, comme ayant servi parmi les brigands (3) ». 

Renseignements pris, « il résulte qu’il y a plus de négligence dans leur conduite, que d’intention de nuire à la chose publique. En conséquence, la Commission militaire ordonne que les citoyens Clergand (Guiho-Kerlegand), maire ; Augustin-Alexis Gorgette, agent national ; Mathurin Assailly, Jean Lefèvre, officiers municipaux ; Joseph Normand, Jullien Ordreneau, notables de la commune de Bouguenais, réfugiés à Nantes depuis treize mois, seront sur-le-champ remis en liberté » (4). 

Un patriote assassiné en septembre 1794

Mathurin Assailly peut rentrer chez lui car, à partir du mois de mai 1794, ses actes sont établis depuis la maison commune de Bouguenais. La situation semble pourtant encore tendue. Le registre d’état civil indique en effet que le 20 fructidor an II (6 septembre 1794) « sont comparus plusieurs citoyens dans la chambre commune qui nous ont dit quille avet (qu’il avait) été tué un homme proche le village de la Couillodrie (Couillauderie), et que lont supsonet (l’on soupçonnait) que cetait le citoyen Joseph Normand, notable de la ditte commune de Bougenais 

desuite nous avons fait partire un detachement presentemant en garnisont au village des Couët, avaisque (avec) deux commissaire qui sont François Clouet officier municipal et Jean Guilbaut laboureur demeurant au bourgt de Bouguenais, qui se sont transportés aux lieux ou été le cadavre 

à honze heur le détachement et les commissaire étant revenus, nous avons rapportés que cetait effectivement le citoyens Joseph Normand, du village des Bauche lun de nos notable, quil lont visités, il ont vü quil avait reçu plusieurs coups de coutos (couteau) a la taite (tête) et a la gorge, et que selon toute apparence il sest trais fort defendües, sont gilet étant tous déchiré, et que de suitte ille lont fait porté aux lieux ou on a toujour coutume dantairer (d’enterrer) ». 

Ce Joseph Normand était le même notable qui passa devant la commission militaire le 8 avril 1794 aux côté de Mathurin Assailly. 
    


Notes :  

  1. Né le 6 septembre 1761 (baptisé le 7) à Bouguenais, ce marchand de vin devenu officier municipal sous la Révolution était le fils de Jean Assailly (1726-1816) et Rose Bernier (1729-1803). Il se maria le 23 novembre 1784 à Saint-Jean-de-Boiseau avec Anne Fonteneau, dont il a eu deux fils et deux filles. Il mourut le 30 avril 1828 à Bouguenais. 
  2. Archives de la Loire-Atlantique, état civil, Bouguenais, décès an II. 
  3. On connaît la liste de 209 habitants de Bouguenais condamnés à mort par la commission militaire et fusillés les 2 et 3 avril 1794. 
  4. Annales de la Société académique de Nantes et du département de la Loire-Inférieure, t. XXVIII, pp. 134-135.