Le registre paroissial de Boismé (Deux-Sèvres) pour l’année 1789 contient un acte de baptême surprenant, celui de la fille d’un valet de chambre, qui se voit entourée de noms restés illustres dans l’histoire des Guerres de Vendée.
Acte de baptême de Flore Lefèvre le 29 mars 1789 à Boismé (A.D. 79)
On lit sur cet acte de baptême : « L’an mil sept cent quatre vingt neuf et le vingt neuvième jour du mois de mars a été baptisée Flore Joséphine Suzanne Balbine née aujourd’hui du légitime mariage de François Xavier Lefevre, valet de chambre de madame la comtesse de Lescure, et de Louise Charrier. Le parrain a été messire Augustin Étienne Gaspard de Bernard de Marigny, chevallier seigneur de Marigny, lieutenant des vaisseaux du Roi, chevalier novice de St. Lazare et Mont Carmel. La marraine demoiselle Élisabeth Agathe Marie Henriette Michel Desessarts. » Suivent les signatures du père, du parrain, de la marraine et du vicaire de Boismé, l'abbé Pierre Joubert.
Le fidèle serviteur de madame de Lescure
Qui étaient les parents pour mériter un tel honneur ? C’est surtout au père que nous le devons. François-Xavier Lefèvre est né le 6 février 1743 à Saulx (Haute-Saône), lieu mentionné à son décès. Son acte de baptême porte le nom de « Faivre ». Je n’ai pas pu déterminer la date et le lieu de son mariage avec Louise Charrier.
Acte de baptême de Xavier Lefèvre (« Faivre ») (A.D. 70)
Il fut en effet le valet de madame de Lescure comme on l’apprend dans les Mémoires de cette dernière : « Avant la guerre, j’avais fait cacher mon argenterie, qui était très considérable, par un vieux et fidèle domestique nommé Lefèvre ; j’avais pris toutes mes précautions pour faire croire que je l’avais vendue, et je n’avais point d’inquiétude à cet égard. Lors de la première guerre, je lui confiai mes diamants, mais comme il y avait chez moi des domestiques patriotes qui le savaient et ne manqueraient pas de dire que je ne pouvais les avoir remis qu’à Lefèvre, connaissant mon entière confiance en lui, je le priai, en cas d’arrestation et d’interrogation sur cet article, de les livrer et de conserver sa vie pour ses six enfants. Il me répondit d’une manière si précise, que jamais il ne me ferait une pareille lâcheté, que je les repris, et c’est ainsi qu’ils furent perdus. »
La famille Lefèvre victime d’un massacre
Madame de Lescure poursuit son récit : « Quand nous étions à la Boulaye (1), Lefèvre cacha les couverts et tout ce qui était resté à Clisson (2). Il fut pris dans le mois de novembre (1793) et ne voulut rien avouer (…) Pendant que Lefèvre était en prison, les Bleus vinrent à plusieurs reprises à Clisson ; une fois entre autres, on les attendait si peu, que sa femme, ses six enfants, le plus âgé ayant onze ans, sa belle-sœur et un vieux domestique y étaient retournés ; ils furent tous massacrés à coups de sabre, exceptés les eux garçons, dont l’un blessé, qui s’échappèrent ; une petite de six mois fut trouvée saine sous les cadavres et les trois filles, quoique très blessées aussi, se guérirent. J’ai depuis retrouvé ce fidèle et vertueux Lefèvre ; il est rentré à mon service, et maintenant je pleure sa mort qui m’est bien douloureuse. » (3)
Cette mort de Xavier Lefèvre est survenue le 30 mai 1804 (10 prairial an X) au château des Mothes, à La Chapelle-Saint-Laurent ; celle de Louise Charrier, dans les circonstances dramatiques qu’on vient de lire, à la fin de l’année 1793 ou au début de 1794.
Acte de décès de Xavier Lefèvre (A.D. 79)
La petite Flore survit aux malheurs de la Révolution
Parmi les fillettes du couple qui survécurent au massacre figurait donc la petite Flore-Joséphine-Suzanne-Balbine, dont il est question dans l’acte de baptême ci-dessus. Elle se maria (sous le nom de « Fèvre ») à l’âge de 23 ans, le 14 septembre 1812 à La Chapelle-Saint-Laurent, avec Louis Tisserant, un charpentier de 28 ans originaire du Breuil-Bernard. Il n’y eut cette fois aucun nom prestigieux parmi les témoins de cette union.
L’acte de décès de « Joséphine Suzanne Balbine Fèvre » est inscrit à la date du 12 mars 1831 dans le registre de La Chapelle-Saint-Laurent. Elle s’est éteinte dans sa maison de la Charoullière, sur le chemin de Largeasse.
Acte de décès de Flore Lefèvre (« Fèvre ») (A.D. 79)
Le parrain et la marraine tués tous les deux en 1794
Un dernier mot sur son parrain et sa marraine… Augustin Étienne Gaspard de Bernard de Marigny (1754-1794) fut l’un des généraux vendéens les plus célèbres et les plus redoutés. On lira sa notice biographique sur le blog de La Maraîchine normande.
Sa marraine, Élisabeth-Agathe-Marie-Henriette-Michelle Desessarts, était la fille de Pierre-Michel, pauvre gentilhomme dont la famille de Lescure avait fait la fortune (4), et de Marie-Perrine Richard de Messardière (5). Elle connut un destin tragique : son père fut fusillé à Fégréac, où il s’était caché après le désastre de Savenay ; son frère, le fameux « chevalier Desessarts », officier vendéen, arrêté à Montrelais, fut conduit à Angers et guillotiné le 8 janvier 1794 sur la place du Ralliement ; et elle-même subit un sort identique deux jours après.
Sources :
Archives des Deux-Sèvres, état civil de Boismé et La Chapelle-Saint-Laurent
Archives de la Haute-Saône, état civil de Saulx
Notes :
- Paroisse de Treize-Vents. Le château de la Boulaye fut un temps le siège de l’armée de Lescure.
- Le château de Clisson, paroisse de Boismé, demeure de M. et Mme de Lescure.
- Mémoires de madame la marquise de La Rochejaquelein (madame de Lescure s’est remariée en 1802 avec Louis de La Rochejaquelein), réédition Pays et Terroirs 1993, pp. 428-429.
- Ibidem, p. 94.
- F. Uzureau, Un chef vendéen : le chevalier Desessarts, guillotiné à Angers, 1769-1794, L'Anjou historique, 1945, p. 160.
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