La plupart des historiens de la Vendée puisent dans l’ouvrage de Savary comme dans un fonds d’archives, sans grande précaution quant à la fiabilité des retranscriptions de l’auteur. Si nombre de documents originaux ont disparu, ceux qui subsistent affichent parfois une différence appréciable. 

CaffinSignature de Caffin au bas de la lettre du 8 pluviose an II (27 janvier 1794)
(A.D. 85, A.D. 85, 1 Num 119 4/15)
   

Né à Vitré en 1753, Jean-Julien Savary fit des études de droit et fut reçu avocat à Rennes, puis au Parlement de Paris en 1780. Il occupait, à la veille des événements de 1789, le poste de précepteur d’Armand d’Escoubleau du Sourdis, au château de l’Étenduère, aux Herbiers. Il y aurait été introduit grâce à René-Marin-Jacques Boutillier de La Chèze, ancien vicaire de Mortagne promu, après 1781, curé de Bourgon, près de Vitré (1). 

Un témoin et un mémorialiste des Guerres de Vendée

Savary prit très tôt le parti de la Révolution et fut élu, le 6 octobre 1790, juge au tribunal du district de Cholet, peut-être sur l’initiative de Marin-Jacques Boutillier de Saint-André, l’un de ses soutiens mortagnais. Présent à Cholet lorsque les insurgés s’emparèrent de la ville, le 14 mars 1793, il fut emprisonné dans le château, mais parvint à s’en échapper un mois après. Élu membre du conseil général de Maine-et-Loire, il fut attaché, dès le mois de mai, comme commissaire civile auprès des armées républicaines pendant toute la Guerre de Vendée. 

« Savary a eu entre les mains, lorsqu’il rédigeait ses notes, tous les documents militaires les plus importants, tous les ordres venus de Paris, tous ceux qui partaient vers les divers généraux, tous les rapports que ces derniers envoyaient. Il les publie tantôt intégralement, tantôt en partie, selon leur importance. Mais certaines pièces ne se trouvent plus au Service Historique de l’Armée de Terre à Vincennes. “Nous supposons que Turreau les fit disparaître lorsqu’il devint lieutenant-général des armées du roi Louis XVIII” observe l’historien Charles-Louis Chassin, partisan convaincu des républicains à la fin du siècle dernier » (2)

C’est en effet à partir de la documentation qu’il a eue entre les mains, que Savary a rédigé son ouvrage monumental en six volumes, Guerres des Vendéens et des Chouans contre la République française, publié de 1824 à 1827 (3), duquel quasiment tous les historiens de la Vendée ont extrait des citations, notamment de Turreau et des commandants des Colonnes infernales. 

Deux versions de la lettre de Caffin du 27 janvier 1794

Certains documents reparaissent cependant, et révèlent des différences avec la version retranscrite par Savary. C’est le cas notamment d’une lettre du général de brigade Caffin au général en chef Turreau, en date du 8 pluviose an II (27 janvier 1794). Obtenue par les Archives de la Vendée, elle a été classée dans les « Pièces isolées », et non dans le fonds du S.H.D. où l’on trouve la correspondance de l’armée de l’Ouest. 

Voici le texte retranscrit par Savary : 

« La tête de ma colonne était déjà sur la route de Saint-Laurent(-sur-Sèvre), lorsque ta lettre, qui m'annonçait la position de l'ennemi, m'a été remise. Le détachement que tu m'as envoyé pour garder les magasins, n'étant que de deux cents hommes, dont la moitié sans armes, j'ai jugé que j'étais obligé de faire rétrograder ma troupe. J'ai été prendre une position sur les routes de Vezin et de Chemillé. J'ai de suite envoyé un piquet de cavalerie à la découverte. À peine arrivé dans les landes Genty (4), il a aperçu l'ennemi et l'a débusqué. Voyant l'ennemi rentré dans le bois et ne connaissant pas sa force, il s'est replié sur la colonne que j'ai fait avancer jusqu'à la lande où j'ai pris position. Un détachement du soixante-dix-septième, envoyé en avant, a reconnu le bivouac des brigands dans le bois à côté de la lande ; il a pris dix-huit chevaux que tu recevras demain matin. Le bois a été fouillé, les brigands n'ont pas paru, leur corps-de-garde a été brûlé ; mais je ne puis te dire leur direction.

Voici une preuve de leur scélératesse : on a trouvé dans leur bivouac un père et le fils massacrés, attachés l'un à l'autre.

Ceci ne m'a pas empêché de faire l'enlèvement des grains, quoique tous les coquins de préposés soient partis. J'ose assurer que si j'avais quitté Maulévrier, l'ennemi aurait égorgé le détachement de deux cents hommes, car il est instruit de tous nos mouvemens, aussi je fais tuer tout ce que je rencontre. » (5)

À présent, la version originale de la lettre de Caffin à Turreau (6) : 

Au quartier général, à Maulévrier le 8 pluviose l’an 2e de la R(épubli)que une et indivisible 

Le général de brigade Caffin, au républicain Tureaux (Turreau) général en chef, à Cholet

Selon ta dernière, tu croyais que j’avais reçu ta première lettre cette nuit, au lieu que je ne l’ai reçue qu’à neuf heures ce matin. 

Déjà la tête de ma colonne était à plus d’un quart de lieue sur la route de St-Laurent, aussitôt que j’ai eu reçu ta lettre sur la position de l’ennemi, je n’ai pas voulu, comme je te l’ai marqué ce matin, abandonner Maulévrier, où les magasins deviennent conséquents à la garde de deux cents hommes, dont 100 armés et 100 qui ne le sont pas, que tu as envoyés hier du 10ème bataillon de la Haute-Saône. 

En conséquence j’ai jugé que j’étais obligé de faire rétrograder ma troupe sur Maulévrier sans m’y arrêter ; j’ai été prendre une position sur les routes de Vezins et Chemillé ; de suite j’ai fait partir un piquet de cavalerie pour aller à la découverte. Sur la même route de Vezins, à peine arrivés, à une lieue et demie environ dans les landes Genty, le même piquet a perçu l’ennemi et les a débusqués ; il y a eu des coups de fusil de tirés de part et d’autre. Voyant l’ennemi rentrer dans le bois prudemment, sans connaître la force de son ennemi, quoique il leur est est paru assez nombreux, se sont repliés au petit pas sur la colonne. 

J’ai aussitôt préféré marcher sur l’ennemi près d’arriver à l’endroit d’où il avait été débusqué ; j’ai fait prendre une position à mon infanterie, j’ai envoyé en avant mon détachement du 77ème régiment d’infanterie avec 20 hommes de cavalerie, ils ont reconnu le bivouac des brigands dans le bois à côté des landes, où ils ont pris dix-huit chevaux des brigands que tu recevras demain matin, et s’il est accordé quelque chose pour la prise des chevaux, je te dénommerai le nom de ceux qui les ont pris. Les brigands n’ont osé paraître ; le bois a été fouillé de toute part et leurs corps de garde brûlés, mais je ne puis te dire leur direction. 

Leur cruauté et scélératesse s’est porté à l’extrême ; on a trouvé dans leur bivouac le père attaché avec le fils qu’ils ont massacrés. 

La nuit approchant, mes volontaires fatigués, après avoir essuyé toute la pluie de la journée et avoir traversé les ruisseaux, j’ai trouvé que je devais revenir à Maulévrier, où j’ai 300 hommes de bivouac.

Ceci ne m’a pas empêché de faire l’enlèvement des grains, quoique tous les coquins de préposés soient partis. 

Je crois avoir fait ce que je devais faire car j’ose assurer que si j’avais quitté Maulévrier, d’après avoir vu la déposition de l’ennemi, il aurait pu égorger les 200 qui étaient ; ils sont instruits de tous nos mouvements, aussi, je fais tuer tout ce que je rencontre. 

S’il faut que je parte demain matin pour Saint-Laurent, j’attends ton ordre et je te prie de me marquer l’heure à laquelle partira l’ordonnance car celle de ce matin que tu m’as envoyée a retardé plus de 6 heures, ce qui est conséquent. 

Finissant ma lettre, je viens de recevoir la réponse de celle où j’étais en position n’ayant pu découvrir le mouvement de l’ennemi, et avec aussi peu de monde, ne pouvant pas garantir tous les chemins, en effet, qui conduisent à Maulévrier qui est mon point principal, j’ai préféré, comme je te l’ai marqué, m’y rendre (pour) m’y garder militairement et les attendre. 

Vive la République, salut et fraternité,

Le général de brigade Caffin

(au bas de la lettre) Comme il n’y a que de l’eau à boire, j’ai fait donner double ration d’eau-de-vie à ma troupe. À ce même instant, j’écris à Boucret (7) aux Épesses. 

(en marge) Je te prie de m’envoyer du papier car je n’en ai plus. Demain matin je ferai éclairer par ma cavalerie.

Si le fond du récit reste le même, il serait tout de même préférable de se référer au texte original qu’à la transcription, ou plutôt le résumé, qu’en a fait Savary. 

A

ALettre de Caffin à Turreau, 8 pluviose an II (A.D. 85, A.D. 85, 1 Num 119 4/15)
   


Notes : 

  1. Biographie de J.-J. Savary en introduction de la réédition de son œuvre par Pays et Terroirs, 2008. 
  2. Pierre Marambaud, Les Lucs, la Vendée, la Terreur et la Mémoire, L’Étrave, 1993, p. 31. 
  3. La dernière réédition a été publiée par Pays et Terroirs en 2008. 
  4. Les landes de Gentil sont aujourd’hui couvertes d’un bois à la charnière des forêts de Nuaillé et de Vezins, sur la commune de Chanteloup-les-Bois. 
  5. J.-J. Savary, Guerres des Vendéens et des Chouans contre la République française, 1825, t. III, pp. 89-90. 
  6. A.D. 85, 1 Num 119 4/15. L’orthographe a été corrigée pour faciliter la compréhension du texte. Caffin écrit : « sans mi à retté » (pour : sans m’y arrêter) ; « se sy ne ma pas empêché » (ceci ne m’a pas empêché) ; « jauze assuré » (j’ose assurer), etc. 
  7. Boucret commande la 3e colonne infernale, qui a reçu l’ordre, le 17 janvier 1794, de partir de Cholet pour se rendre à Châtillon (Mauléon) et aux Épesses. Son second, Caffin, est aussi parti de Cholet pour Maulévrier et Saint-Laurent-sur-Sèvre.