Au bord du premier rond-point sur la route de Beaurepaire, après la sortie des Herbiers, une croix de pierre commémore le passage des Colonnes infernales sur ce territoire au début de l'année 1794. Plusieurs fermes des alentours furent brûlées et leurs habitants massacrés par les soldats républicains. 

Les Herbiers 1La croix près du hameau de la Jaudronnière des Herbiers
  

Aucune inscription n’évoque pourtant ni les noms, ni la date de ce dramatique épisode de l’histoire locale. Cette croix en remplace une plus ancienne, comme l’écrivait Jean Lagniau :

« Il y a une vingtaine d’années, tout le monde pouvait voir encore, sur la route des Herbiers à Beaurepaire, à l’embranchement sur la gauche (1) d’une petite route desservant plusieurs hameaux (2), une petite croix de granit portant l’inscription : “Jacques Coutand et ses enfants. 1802”.

Cette petite croix fut détruite par une tempête et les pierres restèrent plusieurs années parmi les ronces ! Quand, il y a quelques années, on eut l’idée de la restaurer, on s’aperçut que la plupart des pierres avaient disparu. On en construisit quand même une autre pour conserver le souvenir » (3).
  

Les Herbiers 2Détails de la croix
  

Les Bleus dévastent les villages de la Touche et de Chevrion

Ce souvenir, Armand Coutand l’a transmis. Sa famille habitait le hameau de la Jaudronnière depuis la Révolution. Lui-même est né en 1907 et son père en 1847, ce qui laisse penser que ce dernier a pu connaître dans son enfance des survivants des Guerres de Vendée. Voici son récit, retranscrit dans le livre de Philippe Ricot :

« J’ai entendu mon père raconter bien des fois la même histoire. Alors que le village de la Jaudronnière brûlait pendant la guerre de Vendée, notre famille et des habitants du village s’étaient réfugiés sur les revers de la Gautrie, c'est-à-dire du côté de la Peur-au-Blé (4). Ils ont ainsi échappé aux massacres. Par contre, au village voisin de la Touche, des habitants s’étaient cachés dans une grange à foin. Les Bleus les ont découverts et tués en enfonçant leurs baïonnettes dans le foin. La croix de la Grange datant de 1822, située au bord de la route de Beaurepaire, a été construite par ma famille qui a voulu ainsi remercier le Ciel d’avoir échappé aux Bleus » (5).
  

Les Herbiers 4À l'arrière-plan de la croix, les hauteurs des Peux
d'où l'incendie de la Jaudronnière fut visible en 1794
  

Outre le hameau de la Touche, les Bleus investirent celui de Chevrion qu’ils incendièrent. On raconte qu’ils auraient brûlé ses habitants dans un four à pain (6). Abandonné après ces événements, l’endroit fut appelé « Chevrion-Brûlé » ; il a aujourd’hui disparu (7). On distingue d’ailleurs, sur le cadastre de 1839, deux Chevrion : le « Petit », complètement en ruine, et le « Grand » formant l’actuel village de ce nom.
  

Les Herbiers 3L'entrée du hameau de Chevrion
     

Qui commandait les incendiaires ?

À quelle date ces faits tragiques se sont-ils produits ? On sait que la colonne infernale du général Grignon passa aux Herbiers le vendredi 31 janvier 1794, mais c’est plus probablement Amey (8) qui fut le responsable de ces massacres.

Ce général entra dans la ville avec ses troupes (9) le vendredi 24 janvier, et la quitta avant le mardi 4 février. Ce jour-là, en effet, il écrit de Cholet à Turreau, commandant en chef de l’armée de l’Ouest : « Avant mon départ des Herbiers, j’ai fait mettre le feu à la ville, conformément à ton ordre ; aucune maison n’a été épargnée… » (10) On peut donc suivre Jean Lagniau lorsqu’il écrit que les massacres de la Touche et de Chevrion ont eu lieu le dimanche 2 février 1794.

Il ne reste plus, pour rappeler ces jours sanglants, qu’une croix muette au bord d’un rond-point.
  

CadastreLes lieux cités dans l'article sur le cadastre ancien des Herbiers (A.D. 85, Sections F et G assemblées). Voir également la carte I.G.N. au bas de l'article.
Le point rouge indique l'endroit où se trouvait le Petit Chevrion

Les Herbiers 5Les villages dévastés par les Bleus le 2 février 1794
  


Notes :

  1. L’aménagement du rond-point a quelque peu éloigné cette croix, qui devait mieux se voir autrefois à l’embranchement de la route Les Herbiers-Beaurepaire et du chemin de la Jaudronnière. Il l'a aussi déplacé du côté droit de la chaussée. Une carte de 1950 consultable sur le Géoportail la montre toutefois sur la gauche. À noter qu’un calvaire se dresse non loin de là, sur le chemin de la Grange. Il a été construit en 1953, en ciment peint, par la famille Rautureau.
  2. La Jaudronnière et la Touche ; près de cet embranchement, un autre chemin mène à la Grange, au Plessis et à Chevrion.
  3. Jean Lagniau, Quelques petits monuments des Herbiers, La Fin de la Rabinaïe, n°199, mars 2003, p. 20. L'article indique deux dates pour la construction de cette croix : 1802 et 1822.
  4. Sur les hauteurs au-dessus du village des Peux ; Jean Lagniau précise : « Ils décidèrent de monter se cacher dans les bois de la Peur-aux-Blés et aussitôt ils firent le vœu d’élever une croix si tout le monde en réchappait. Arrivés sur les hauteurs des Peux, ils virent la Jaudronnière qui était en feu » (J. Lagniau, op. cit.).
  5. Philippe Ricot, Les Herbiers, un gros bourg vendéen au XVIIIe siècle sous la Révolution. Blancs et Bleus durant l’insurrection, Ouest Éditions, 1994, p. 139.
  6. Au sujet du massacre de Chevrion, Philippe Ricot a publié le souvenir d'Alphonse Rondeau : « Quand j'étais enfant, j'avais peut-être 10 ans (il est né en 1903), mon père qui possédait une terre au village de Chevrion Brûlé, m'a raconté une histoire. Pendant la guerre de Vendée, des habitants du village avait été brûlés par les Bleus dans des fours à pains. Je me rappelle encore quand mon père me disait : Ici dans ce four, il y a des gens qui ont été brûlés. Ça m'est resté. Je me souviens de la gueule du four qui était en ruines, il y a de cela environ 75 ans » (op. cit., p. 139). 
  7. Jean Lagniau, op. cit.
  8. François-Pierre-Joseph Amey (1768-1850), général de la Révolution et de l’Empire, passé par l’armée de l’Ouest en 1793-1794. Son nom est gravé sous l’Arc de Triomphe à Paris (1re colonne). Lire à son sujet l'article publié par La Maraîchine normande. Ses exactions aux Herbiers et dans les environs ont été dénoncées par des officiers municipaux dans le livre de Joseph Lequinio, Guerre de la Vendée et des Chouans, paru en octobre 1794 (pp. 103-114). 
  9. D’après Philippe Ricot qui puise dans le livre de Joseph Lequinio (op. cit., p. 107), ces troupes constituées du 1er bataillon de la Réunion (une formation de volontaires parisiens), du 14e régiment d’infanterie, de la 12e formation provisoire d’Angers et quelques autres détachements (un bataillon du Calvados était présent aux Herbiers depuis le 22 janvier 1794), rassemblaient entre 1.000 et 3.000 hommes (Ph. Ricot, op. cit., p. 117).
  10. J.-J. Savary, Guerres des Vendéens et des Chouans contre la République française, t. III, p. 144.
      

CarteCarte des lieux cités dans l'article