L'image de la frégate L’Hermione reste attachée à la figure de La Fayette et à la guerre d’indépendance américaine. Mais on oublie souvent que ce navire mena aussi campagne sous la Révolution contre les insurgés de la Vendée, ce qui finira par causer sa perte.
L'Hermione débarque à Nantes en mai 2019 (crédit photo bigcitylife.fr)
La reconstruction de L’Hermione entre 1997 et 2014, selon les techniques anciennes, a permis à chacun de redécouvrir la splendeur de la Marine d’Ancien Régime. Depuis son voyage inaugural vers les États-Unis en 2015, la frégate dite de La Fayette vogue désormais de port en port pour donner tout son éclat aux fêtes maritimes.
On s’attarde peu cependant sur la triste fin de L’Hermione originale, sinon pour dire qu'elle fit naufrage au large du Croisic le 20 septembre 1793. Que faisait-elle à cet endroit à cette époque ? Une pétition adressée par la municipalité de Montoir au président de la Convention et au ministre de la Marine, envoyée onze jours avant le naufrage, nous apprend quel fut le rôle de ce navire dans la lutte contre les insurgés de la Vendée (1).
L’Hermione verrouille l’estuaire de la Loire
On y lit d’abord que L’Hermione se trouvait à ce moment « en station en rade de Maindain à l’entrée de la rivière de la Loire ». Cette rade se situe entre Saint-Nazaire et Saint-Brévin. Les municipaux de Montoir s’inquiétaient car « cette frégate, de concert avec les forces combinées de Paimbœuf, étant parvenu jusqu’à cette heure à conserver en contact ces deux rives, dans ce moment d’insurrection, venait de recevoir du citoyen ministre de la Marine l’ordre de s’en retourner sous cinq ou six jours. Si cet ordre était exécuté, sans être remplacé par une autre frégate, dans le moment le plus critique où nous nous sommes jamais trouvés, cet abandon occasionnerait la perte des pays voisins. »
Les municipaux expliquent ensuite les raisons de leur crainte, de leur « peur panique » comme ils l’écrivent, mais dont ils se défendent. Ils sont en effet pris en étau entre les « brigands » de ce qu’ils appellent « la terre du nord », c’est-à-dire la région rebelle de la Brière (notée « Bruiere » dans la lettre), et ceux de « la terre du midi », autrement dit la Vendée (en l’occurrence le Pays de Retz). Dans cette configuration tolkienienne, la garde de l’estuaire par L’Hermione verrouillait les communications entre les deux rives de la Loire.
Extrait de la pétitition de la municipalité de Montoir (A.D. 44, voir note 1)
La Brière est « depuis un an est en insurrection complète »
« Cette rade sans frégate pourrait bien même procurer la perte entière de la province (mot ajouté en marge) car les habitants mal intentionnés n’attendent que cela pour se lever, pour de concert avec les brigands de la Vendée, qui depuis quinze jours sont vigoureusement chassés, pour se réunir à leurs camarades de la terre du nord par la trouée de Maindain, pour tous ensemble former un noyau de contre-révolution dans un petit pays nommé la Brière à deux lieues de Maindain, pays dont le génie des habitants et la situation du local est le plus propre à les recevoir et depuis un an est en insurrection complète ; pays qui depuis un an n’a jamais obéi à aucune loi, et dont le district de Guérande n’a pu ou voulu le réduire ; que par cette raison serait le plus propre, puisqu’il est entouré de bois et coupé par des chaussées et canaux pleins d’eau, à former ce noyau qui ne tarderait pas à embraser la Bretagne en totalité. De là ils auraient tous les moyens, car les habitants des environs qui s’insurgèrent en mars dernier (2), n’attendent que le moment de prendre leur revanche, pour se porter, après avoir égorgé le peu de patriotes qui les contiennent, sur Vannes, Lorient et Brest, et de là sur tout le reste de la ci-devant (expression ajoutée dans l’interligne) province ; et cette province, une fois debout, comment la réduire ?
Notre peur n’est point une peur panique, puisque dans l’attaque qui se fit à Nantes vers la fin du mois de juin dernier (3), tous les chefs de ce côté-ci se réunirent et s’en furent avec ceux de la Vendée. Comme ces chefs sont voisins de cette Brière et que c’était eux qui occasionnèrent et conduisirent l’insurrection qui se fit sentir ici au mois de mars dernier, ne demanderaient pas mieux de saisir l’occasion dans ce moment où on les repousse de la terre du midi pour se sauver en celle du nord avec leurs camarades, jugez quel mal et quel progrès ils feraient, doutant qu’ils ont toute la confiance des paysans de ce côté ici. »
Le départ de L’Hermione provoquerait « la perte de la Bretagne »
« Et sûrement ils y parviendraient très facilement si on parvenait à éloigner de la rade de Maindain, le seul endroit par où ils peuvent passer, la frégate qui les contient. C’est cette frégate qui seule peut avoir et surtout faire observer la police sur cette rivière. C’est elle qui fait venir à son bord toutes les embarcations qui montent et descendent. C’est elle qui a mis en réquisition et qui tient sous sa volée toutes les petites embarcations des deux rives, qui sont au moins au nombre de deux cent, dans la crainte qu’elles ne transportent les brigands d’une terre à l’autre ; sans laquelle frégate, les embarcations tomberaient à la possession des malveillants qui serviraient à les transporter, ce qui dans quinze jours occasionnerait la perte de la Bretagne ; car le port de Paimbœuf, qui est à trois lieues de Maindain, ne pourrait à tous y porter les secours nécessaires.
On assure cependant que le citoyen ministre de la Marine a donné les ordres de substituer à cette frégate un petit navire marchand, mais le petit navire qui n’a que cent vingt (hommes) d’équipage et n’est monté que de dix-huit pièces de petit canon n’est pas de force pour empêcher la jonction des brigands. Ce petit navire n’est pas compétent pour maîtriser la rivière et encore moins pour retenir dans le devoir et sous sa main toutes les embarcations de transport qu’une frégate seule peut à peine contenir parce que les patrons sont remplis de malveillance.
Pour conserver la vie aux patriotes de la terre du nord, pour contenir ce pays, pour écraser complètement les brigands de la Vendée, il faut donc absolument retenir une frégate en rade de Maindain ; de cette précaution salutaire dépend, comme nous venons de le dire, le salut de la province de Bretagne, peut-être même celui de la République entière ; du moins jusqu’à ce que la Vendée soit entièrement purgée, ce qui s’opérera dans quinze jours si la trouée de Maindain n’est pas débouchée. En le faisant, vous conserverez la vie à des milliers de bons patriotes qui, sans cela, courraient les risques de la vie, etc. »
La lettre est signée par Blanchard, maire de Montoir, de sa municipalité y compris l’abbé Galliot, curé de la paroisse.
Si L’Hermione quitta bel et bien l’estuaire de la Loire, son voyage ne la mena pas très loin. Dirigée par un équipage peu expérimenté, conséquence directe des désordres de la Révolution dans cette Marine royale qui faisait la gloire de la France, la frégate s’échoua sur les rochers du Four au large du Croisic et sombra le 20 septembre 1793.
L'Hermione s'échoua sur les rochers du Four au large de la pointe du Croisic.
Notes :
- La pétition de la municipalité de Montoir est consultable sur le site des Archives départementales de la Loire-Atlantique (Délibérations municipales, Montoir-de-Bretagne, 1792-an II, vues 29-30/68). L'orthographe est corrigée afin de (grandement !) faciliter la lecture de ce texte.
- On ne le dit pas assez, mais l’insurrection de mars 1793, qu’on réduit généralement à la seule Vendée, a violemment secoué la rive droite de la Loire, du Segréen jusqu’à la Brière.
- Toutes les forces vendéennes se combinèrent pour attaquer Nantes le 29 juin 1793. La blessure que reçut le généralissime Cathelineau à l’entrée de la place Viarme brisa leur élan.