Parmi les collections du Musée d’Art et d’Histoire de Cholet, plusieurs objets et documents révolutionnaires évoquent dans une vitrine quelques héros glorifiés par la Ire République : Bara, le canonnier Richer de Noirmoutier, ou encore « le maréchal-ferrant de la Vendée ». Mais qui était ce personnage représenté par une belle gravure ?
La vitrine du Musée d'Art et d'Histoire de Cholet où la gravure du maréchal-ferrant dit de la Vendée est présentée aux côtés d'une statue de Bara
Le cartel nous décrit cette œuvre comme une gravure de Jacques-Louis Coppia (1749-1799), réalisée d’après un dessin de Jacques-Henri Sablet (1749-1803), présentée au Salon de 1795. On lit que les épreuves définitives portent le texte suivant : « Ce brave homme, ayant appris que les chouans avaient attaqué les patriotes très près de sa commune, quitta sa forge, et marcha à leur rencontre sans autres armes que son marteau, en terrassa un grand nombre, et revint après la victoire, chargé des dépouilles de plusieurs de ces brigands ».
Ce maréchal-ferrant est dit « de la Vendée »
mais les montagnes de l'arrière-plan trahissent sa véritable origine.
Tout cela est cependant aussi faux que l’histoire encore plus célèbre de « l'héroïne de Saint-Milhier » que j’ai présentée ici. « Le maréchal-ferrant de la Vendée » a d’ailleurs connu la même trajectoire. Il apparaît la première fois dans le Recueil des actions héroïques et civiques des républicains français compilées en l’an II par Léonard Bourdon (1754-1807). Ce député du Loiret fut chargé par le comité d’instruction publique de la Convention de la rédaction d’un ouvrage destiné à être lu dans les assemblées populaires et les écoles, afin d’édifier l'auditoire par l'exemple des vertus républicaines. On y croise quantité de personnages, le plus souvent des citoyens anonymes ou de simples soldats, qui s’illustrèrent par leur comportement et par leurs actes de résistance aux ennemis de l’extérieur, comme de l’intérieur.
Le maréchal-ferrant luttait en fait contre les Piémontais
Celui qui deviendra « le maréchal-ferrant de la Vendée » apparaît au début du premier Recueil, à la XVIIe notice : « 15 brumaire, l’an second. Dans une des actions qui, en dernier lieu ont été si fatales aux Piémontois, un forgeron quitta son enclume pour voler au combat. Accoutumé à battre le fer avec son marteau, il ne croit pas pouvoir employer une meilleure arme pour battre les satellites du despote sarde : il ajuste à son marteau un long manche, et se jette dans la mêlée. Après la victoire, il a rapporté son marteau teint de sang, et le manche écaillé de coups de sabre : c’étoit Hercule portant sa massue fumante encore du sang des monstres qu’il venoit d’écraser. »
Deux extraits du livre de Léonard Bourdon : le décret de la Convention du 10 nivôse an II (30 décembre 1793) qui ordonne que le Recueil des actions héroïques et civiques… soit envoyé aux municipalités, aux armées, aux sociétés populaires et aux écoles ; et le paragraphe sur le forgeron qui lutta contre les Piémontais (et qui précède celui sur Bara)
Voilà donc l’histoire de ce personnage, qui n’a rien à voir avec la Vendée, ni avec de prétendus chouans. L’action se serait passée le 5 novembre 1793 (15 brumaire an II), quelque temps après que le royaume de Piémont-Sardaigne, membre de la Première Coalition, eut inquiété la République lors du soulèvement de Lyon contre la Convention. Les Piémontais luttaient en effet depuis plusieurs mois pour récupérer la Savoie et le comté de Nice, envahis par les troupes révolutionnaires en septembre 1792, puis annexés comme département du Mont-Blanc le 27 novembre suivant, et des Alpes-Maritimes le 4 février 1793. Il y a plutôt lieu de rechercher ce maréchal-ferrant herculéen du côté du Dauphiné ou de la Provence.
Lorsque la menace sur les frontières s’éloigna à partir de 1794, ces modèles de citoyens remarqués pour leurs actes de résistance contre les Autrichiens (l’héroïne de Saint-Mihier) ou les Piémontais (le maréchal-ferrant) perdirent de leur utilité civique. On les recycla par conséquent sur le théâtre des guerres de l’Ouest, dans des scènes construites à l’identique, mais où l’ennemi de la Révolution prenait les traits du « brigand », indifféremment vendéen ou chouan. Il s’agit là d’œuvres de pure propagande que beaucoup affichent encore aujourd'hui comme si elles représentaient d’authentiques scènes des Guerres de Vendée.
Exemple d'utilisation irréfléchie de ces images de propagande révolutionnaire dans le livre de Jacques Perret, La Terreur et la guerre, Poitevins, Charentais et Vendéens de l'an II, Geste éditions, 1992, pp. 104-105