Il y a 220 ans, l’Anjou vivait à l’heure de la guerre. Le jour même de son installation à Angers où réside l’état-major de son armée, le général Hédouville, successeur de Hoche, proclame l’état de siège de la capitale angevine. Depuis les premiers jours d’octobre, des bandes d’insurgés qu’on appelle désormais « Chouans » sur les deux rives de la Loire ont repris les hostilités.

Chateau de BaugeLe château de Baugé, côté sud, dessin de P. Hawke extrait de Godard-Faultrier,
L’Anjou et ses monuments, tome 1, 1839 (A.D. 49, 11 Fi 2719)
  

Le temps où les Chouans angevins se soumettaient aux autorités républicaines, au début de l’année 1796, est déjà bien loin. Le coup d’État jacobin du 18 fructidor an V (4 septembre 1797) a en effet réveillé leur colère et suscité de nouveaux rassemblements dans toute la moitié occidentale du département de Maine-et-Loire. Laissons les événements qui agitent les Mauges pour nous limiter au Haut-Anjou.

À l’automne 1798, les Chouans de Gaullier (1) et de Coquereau (2) parcourent tout le pays entre les rivières de la Mayenne et de la Sarthe, pour recruter de nouveaux partisans et rançonner les patriotes. La tension s’accroît encore en 1799. On enrôle les jeunes hommes de gré ou de force, on coupe les arbres de la liberté, on abat quelques soldats ou des municipaux, et l’on attaque même des villes, comme Châteauneuf-sur-Sarthe le 24 juin (3). (voir la carte des lieux cités ci-dessous)

Carte MetLÀ la mi-septembre, les chefs chouans rassemblés au château de la Jonchère (4), près de Pouancé, fixent au 5 octobre la reprise des hostilités, mais les premiers affrontements sont signalés dès la fin septembre, notamment le 21 quand d’Andigné, à la tête d’à peine 400 Chouans, met en déroute deux colonnes républicaines entre Nyoiseau et la forêt d’Ombrée, près de Noyant-la-Gravoyère, entraînant d’évacuation du Lion-d’Angers par les Bleus (5). Les Chouans tiennent les campagnes et menacent l’approvisionnement des villes où se cantonnent les troupes républicaines.

Baugé au cœur des combats

L’une de ces troupes sort de Baugé le 31 octobre à midi pour se porter à Fougeré et y déloger la bande de Sans-Quartier (6), qui lui échappe. Elle se dirige le lendemain sur Jarzé pour y surprendre un autre chef chouan, Chambourg (7). Les Bleus « sont accueillis d’abord par quelques coups de fusil ; mais ils ripostent avec avantage, et les brigands prennent la fuite. Un de ces scélérats est tué (8), deux blessés à mort et deux faits prisonniers ; ils ont rapporté à Baugé cinq fusils pris sur eux. Pas un républicain n’a été blessé ; quelques chouans se sont rendus à la suite de cette affaire. Le dévouement et le courage qu’ont montré à cette occasion les républicains de Baugé, sont dignes d’éloges » (9).

La riposte des Chouans ne tarde pas. Les Affiches d’Angers en rendent compte le 24 brumaire an VIII (15 novembre 1799) : « Le 21 de ce mois (soit le 12 novembre), à 8 heures et demie (du soir), les brigands sont entrés dans la commune de Baugé. Ils y sont restés environ 3 heures, y ont voulu piller les caisses nationales qui, heureusement, avaient été vidées trois ou quatre jours auparavant. Ils ont désarmé les citoyens, volé ce qu’ils ont pu trouver de précieux dans leurs maisons, et emmené tous les chevaux qu’ils ont rencontrés. Aucun républicain n’a été tué ; mais plusieurs ont été blessés ; entr’autres le brigadier de la gendarmerie, laquelle a également perdu ses chevaux… »

L’affaire de Baugé est l’une des dernières du soulèvement de 1799. Dès le 15 novembre, d’Andigné propose une suspension des hostilités ; bientôt s’ouvrent des négociations de paix à Angers. Mais le coup d’État du 18 brumaire (9 novembre 1799) a fait passer le commandement de l’armée au général Brune, bien plus sévère qu’Hédouville à l’égard des Chouans. Les insurgés de l’Anjou finiront par signer la paix, à Montfaucon les 18-19 janvier 1800 pour ceux de la rive gauche, à Angers le 4 février suivant pour ceux de la rive droite.
 

Notes :

  1. Né à Morannes en 1776, Pierre-Marin Gaullier, surnommé « le Grand-Pierre », succéda à « Monsieur Jacques » (Jacques Bruneau de La Mérouzière) à la tête de la division entre Mayenne et Sarthe. Il déposa les armes en 1796, les reprit en 1799 avec le même commandement, au sein de l’armée de Bourmont, et à nouveau en 1815. Il mourut à Bouère en 1817. Lire à son sujet l'article de La Maraîchine normande.
  2. Né à Daon en 1767, Louis-Charles-Paul Coquereau était le frère aîné de Joseph-Juste Coquereau qui a fait l’objet d’une notice ici. Engagé comme volontaire dans le 1er bataillon de la Mayenne, il combattit sur les frontières de l'Est, déserta et rallia les Chouans en 1795. Commandant en second la division de Gaullier, il participa à la campagne de 1799. Il mourut à Daon en 1865 à l'âge de 98 ans.
  3. Denis Bruneau, Avec les Chouans du Haut-Anjou, autoédition, 1994, p. 24.
  4. « Deux cents généraux, chefs de division et officiers subalternes, venus de tous les pays ci-devant insurgés, se réunirent à cet effet, du 15 au 18 septembre 1799, à la Jonchère, proche de Pouancé. Cette maison, qui appartient à M. d’Andigné de Mayneuf, est située dans un pays coupé de bois et d’étangs qui en rendent l’accès très difficile, en sorte que ce lieu est parfaitement convenable pour un rassemblement de cette nature » (Mémoires du général d’Andigné, vol. 1, p. 381).
  5. Mémoires du général d’Andigné, vol. 1, pp. 385-388. Chassin indique la date du 19 septembre pour ce combat (Les pacifications de l'Ouest, t. III, p. 372). Un fait contredit la légendaire cruauté des Chouans : « Plusieurs de leurs blessés (républicains) nous étaient restés entre les mains. Il nous répugnait de les faire périr, ce dont nous avions le droit, puisqu’on ne nous faisait aucun quartier. Nous les fîmes soigner comme s’ils eussent été des nôtres, et nous les renvoyâmes aux Républicains » (Mémoires du général d’Andigné, vol. 1, p. 387).
  6. Pichard, dit « Sans-Quartier », garçon meunier, chouan en 1799, demeurant au village de la Gasnerie en Montreuil (H. la Marle, Dictionnaire des Chouans de la Mayenne, 2005, p. 145).
  7. Probablement issu de la famille baugeoise des Normand de Chambourg. « On peut trouver dans les archives de Maine-et-Loire un jugement rendu par le citoyen Normand-Chambourg, en 1794 (…) Il habitait dans le faubourg Saint-Nicolas, à Baugé, à peu de distance de l’hôtel de J.-P. Marsan. En 1799, un Normand-Chambourg courait la campagne à la tête d’une troupe de Chouans » (J. Renard, Vin de lune et pain de misère, la sénéchaussée de Baugé à la fin de l’Ancien Régime, 1982, p. 42).
  8. Cette mort n'est pas inscrite dans le registre d'état civil de Jarzé.
  9. A.D. 49, Affiches d’Angers, 13 brumaire an VIII. Cette troupe de Baugé était composée d’un détachement de la colonne mobile cantonnée dans cette ville, de plusieurs citoyens de cette commune et de la brigade de gendarmerie.
      

Porte Saint-NicolasUne porte de Baugé (celle de Saint-Nicolas) dessin de P. Hawke extrait de Godard-Faultrier, L’Anjou et ses monuments, tome 1, 1839 (A.D. 49, 11 Fi 2721)
  


Document annexe

Un rapport adressé par la municipalité cantonale de Baugé à l’administration centrale du Maine-et-Loire trois jours après l’attaque de la ville par les Chouans donne bien plus de détails sur cette affaire (1) :

Le 21 brumaire an VIII de la République française une et indivisible (12 novembre 1799), à huit heures demi-quart du soir, au moment où on était occupé à relever les postes de la garde nationale, un coup de fusil s’est fait entendre du côté de la porte dite du Pont-Clouet (2), près la place où dans le moment même l’adjudant-major de la garde nationale donnait le mot d’ordre à la garde montante (n°1 sur le plan de Baugé ci-dessous). Une seconde décharge de plusieurs coups de fusil succède au premier. Alors une partie tant de la garde montante que de celle descendante se retire confusément au poste du Château et riposte par plusieurs décharges.

Mais malheureusement ce jour se trouvait celui d’un marché considérable et veille d’une foire conséquente dans la commune de Mouliherne, ce qui nécessitait l’ouverture fréquente des portes ; et les royalistes profitant de cette facilité avaient déjà surmonté la résistance que les gardes devaient leur opposer. Aussitôt les cris de « Vive le Roi » se font entendre au milieu de plusieurs décharges dirigées contre les citoyens qui sortant de leurs maisons cherchaient à se rendre aux postes qui leur avaient été assignés en cas d’alerte. Plusieurs de ces citoyens sont désarmés ou poursuivis.

CarteDéjà les royalistes sont parvenus dans la rue du Courage et celle de la Chaussée ; ils gagnent le carrefour des Quatre-Sections et la place de la Constitution (3). Pendant ce court espace, deux autres colonnes de royalistes font l’attaque et s’emparent des portes dites du Champ-Boisseau et de la Camusière (4), pénètrent dans l’intérieur en dispersant les citoyens qui cherchent à se réunir, par des décharges répétées (n°2 et 3 sur le plan de Baugé). Alors les citoyens voyant l’impossibilité de se réunir tirent leurs coups de fusil sur les royalistes et avisent au moyen de se sauver avec leurs armes.

En ce moment, les royalistes ne trouvant plus de résistance, deviennent maîtres de la commune, y établissent des postes et se portent de suite chez le préposé du receveur général et chez le receveur du domaine national, dont ils défoncent la principale porte à coups de hache, en protégeant cette fracture par plusieurs décharges tant sur ces deux maisons que sur les deux voisines, pénètrent pareillement après pareille fracture dans la cour de la maison de la gendarmerie, font une décharge vers les croisées où ils croient voir quelqu’un, blessent à la tête le brigadier, qui baigné dans son sang ne pouvait continuer sa défense.

Bientôt les fermetures des portes intérieures de la caserne sont enfoncées. Les royalistes pénètrent en dedans des escaliers et corridors et y déploient, sans crainte d’être atteints, leur fureur et leur rage. Les quatre autres gendarmes sentant alors que la défense même la mieux soutenue ne pouvait que les conduire à une destruction complète, prennent le parti de la retraite, qu’ils effectuent en escaladant les murs, sauvant ce qu’ils peuvent emporter de leurs armes. Les Chouans, maîtres de la caserne, en fouillent tous les réduits et s’emparent de cinq chevaux qui étaient dans l’écurie.

Pendant ce temps, la maison du commissaire du Directoire Exécutif près l’administration municipale est assaillie : plusieurs coups de fusil sont dirigés vers les croisées ; les balles pénètrent dans l’intérieur ; la principale porte est entamée et eût été enfoncée sans l’ouverture que la femme de ce commissaire en fait, après s’être assurée que son époux s’était retiré avec ce qu’il avait pu de ses armes dans un lieu assez secret pour n’être pas découvert. L’ouverture de cette porte n’arrête point la fureur des Chouans : les injures les plus grossières sont adressées à celle qui satisfait à la sommation qu’ils avaient faite d’ouvrir cette porte, et elle se voit traîner avec menace au milieu de la cour, après avoir vu sa maison pillée.

Alors toute la ville retentit du bruit des marteaux et sonnettes des portes de chaque habitant, et des coups qui sont frappés pour enfoncer celles qui ne sont pas ouvertes sur-le-champ.

Un morne silence succède à ce bruit et aux jurements qui l’accompagnaient. Les cris de « Qui vive ? » se font entendre de distance en distance : « Bourmont » est la réponse à ce cri. « Qui le demande ? » est l’interrogation faite sur la réponse de « Bourmont », et « Raoul » est la réponse à cette demande (5).

Cependant le local de l’administration est aussi envahi. Deux fois ils s’y portent, pour s’emparer, disent-ils, des munitions et armes qui y sont, mais le bouleversement de tous les papiers (les registres de l’état civil exceptés) et l’enlèvement de vingt-huit fusils en état et une vingtaine hors de servir sans réparations et sept ou huit paquets de cartouches sont le seul fruit de ces premières recherches. Bientôt ils reviennent le pistolet à la main, somment, sous peine de mort, la femme du concierge de l’administration de leur indiquer le lieu où sont cachées les munitions : cette femme toute tremblante leur indique le lieu où elle croit qu’elles sont, et cette troisième fois ils se saisissent de cent vingt-quatre paquets de cartouche qui étaient destinés pour l’usage de la colonne mobile.

À 10 heures du soir, ils se présentent chez le président de l’administration municipale, qui longtemps feint de ne point entendre les coups qui sont frappés à sa porte. Mais ayant aperçu de chez lui les perquisitions qu’ils avaient faites dans le local de l’administration où étaient déposées les armes, et jugeant que toute résistance devenait d’après cela inutile, il fit ouvrir par sa domestique, bien déterminé à s’évader s’ils entraient chez lui en furieux. Sommation de remettre ses armes et de délivrer un réquisitoire pour la fermeture d’une voiture à deux chevaux qui lui est adressée. Il se refuse formellement à cette dernière demande ; mais se rappelant qu’il avait en lieu assez apparent un vieux fusil de chasse, il leur en fait la remise. Pendant ce temps, les Chouans établissent ce qu’ils appellent leur quartier général à l’auberge dite de la Boule d’Or (6), y font venir la fille du préposé du receveur général, la sœur du receveur du domaine national, le receveur et le vérificateur de l’enregistrement, chez lesquels ils s’étaient précédemment rendus et qu’ils avaient forcés de leur verser ce qu’ils avaient en caisse. L’arbre de la liberté est abattu, des chants et des cris royalistes se font entendre.

Enfin le rappel est battu, et à minuit les Chouans prennent la route qui conduit à La Flèche.

À minuit et demi, le président de l’administration reconnaissant la voix de quelqu’un de ses concitoyens, s’avance vers le local de l’administration, prend des informations sur les dégâts commis tant chez les citoyens que dans les édifices et caisses publics, cherche à connaître si quelques habitants n’ont point été blessés et s’il n’en reste point qui aient besoin de secours. Il s’informe du nombre et de la force des Chouans, et sonde l’intention de ceux qu’il rencontre et auxquels il croit pouvoir se fier, sur une levée subite des citoyens non désarmés pour marcher à leur poursuite. Mais cette mesure est impossible, ceux qui avaient conservé leurs armes n’ayant pu le faire qu’en les sacrifiant à un détériorement momentané qui ne pouvait être réparé de suite.

Il se rend après cela chez un de ses collègues, et d’après l’examen qu’ils font que toute mesure à exécuter le reste de la nuit est inexécutable, ils arrêtent leur réunion à huit heures du matin pour constater par procès-verbal en forme ce qu’ils pourraient recueillir des faits qui s’étaient passés dans cette nuit malheureuse.

Notes de l'annexe :

  1. Félix Uzureau, Prise de Baugé par les Chouans (12 novembre 1799), L’Anjou historique, 1919, pp. 150-154.
  2. Ancienne porte ouvrant sur la place du Château (voir en illustration le plan ancien de Baugé). Le Pont-Clouet permettait de franchir la rivière de l’Altrée.
  3. D’après André-Jean Girault, la rue du Courage allait du Grand Carrefour (l’actuelle place du Roi René qu’on appelait jadis le carrefour du Malconseil ou Mauconseil) à la place du Château, c’est-à-dire l’actuelle rue Basse (Les chouans dans le Baugeois, pendant la tourmente de 1789 à 1804) ; elle est parallèle à la rue de la Chaussée qui a gardé son nom. Si l'on suit les mouvements des Chouans, le carrefour des Quatre-Sections et la place de la Constitution peuvent correspondre au carrefour du Malconseil et à la place du marché.
  4. À cette époque, la ville de Baugé comptait cinq faubourgs : la Camusière au nord-ouest, sur la route de Cheviré-le-Rouge ; le Valboyer au sud-ouest, sur la route de Beaufort ; Saint-Nicolas à l’ouest, sur la route du Vieil-Baugé ; Saint-Michel au sud ; et le Chamboisseau, le plus grand faubourg, au nord.
  5. On ne présente plus Louis-Auguste-Victor de Ghaisme, comte de Bourmont (1773-1846), commandant en chef l’armée du Maine en 1799. « Raoul » était le nom de guerre d’Augustin-Guillaume-Martin Gaillard, originaire de Rouen, déserteur républicain qui rallia la troupe de « Monsieur Jacques » ; il fut mortellement blessé en 1804 près de Pontoise après la découverte de la conspiration de Cadoudal (H. la Marle, op. cit., p. 77).
  6. Situé au carrefour du Malconseil, actuelle place du Roi René.