La commune d’Ardelay a peu imprimé de faits notables dans les annales des Guerres de Vendée, si l'on excepte le massacre du Boistissandeau le 31 janvier 1794. Il faut attendre la dernière tentative de soulèvement, en 1832, pour la voir devenir un véritable repaire de Chouans, de légitimistes et autres réfractaires, au point qu’elle fut même lourdement condamnée par la justice.

CarteLocalisation des lieux cités dans l'article, sur le cadastre de 1838 (A.D. 85, 3 P 007/1)
  

Après les malheurs des veuves d’Ardelay, voici un nouvel épisode de l’histoire de cette commune qui endura décidément bien des tracas engendrés par les Guerres de Vendée. Ceux qui nous intéressent ici ont surgi dans les années 1830, au lendemain de la révolution de Juillet qui a chassé Charles X pour porter Louis-Philippe sur le trône. Les légitimistes placèrent alors leurs espoirs en la personne de Marie-Caroline, duchesse de Berry et bru du souverain déchu. Cette dernière ourdit un projet de soulèvement en faveur de son fils Henri, l’héritier de la branche aînée des Bourbons, d’abord dans le Midi où elle débarqua à la fin du mois d’avril 1832. L’opération échoua piteusement, mais ne dissuada pas son instigatrice de tenter sa chance en Vendée.

La région rebelle avait été en effet très active pour lever des fonds et préparer la révolte dès 1831. Toutefois la présence renforcée de militaires quadrillant le Bocage ruina définitivement tout espoir d’insurrection. Marie-Caroline erra ainsi de cache en cache, dans des paroisses limitrophes de la Vendée et de la Loire-Inférieure (Saint-Hilaire-de-Loulay, Remouillé, Montbert, Legé), achevant son équipée à Nantes où elle se terra du 9 juin jusqu’à son arrestation le 6 novembre 1832.

Petit rappel : depuis la guerre de 1799 et jusqu’à celle de 1832, les autorités civiles et militaires qualifient de « Chouans » tous les rebelles de l’Ouest, y compris ceux des quatre départements de la Vendée insurgée. Avant cette date, l’usage de ce mot se limite à la Bretagne, au Maine, au nord de l’Anjou et à la Normandie.

Les Chouans d’Ardelay en 1832-1833

Que s’est-il passé à Ardelay au cours de cette période ? Bien qu’elle fût située à l’écart des manœuvres des partisans de Marie-Caroline et qu’elle fût étroitement surveillée par les gendarmes des Herbiers, la commune connut toute une année de troubles, de juin 1832 à juin 1833. On peut en suivre les signalements dans les papiers de Jacques-Christian Paulze d’Ivoy (1), préfet de la Vendée à compter du 1er mai 1833 :

  • Le 16 juin 1832, « le grenadier Grosjean en cantonnement aux Herbiers est emmené à Ardelay par le nommé Merlet de cette commune ; comme il sortait ivre d’un cabaret, on lui tire à bout portant un coup de fusil qui l’atteint au bras et au côté et glisse sur le côté. Le réfractaire Coutand, auteur du crime, a depuis été condamné à mort par contumace ».
      
  • Le 16 juillet 1832, le même Coutand et sa bande de réfractaires attaquent la malle-poste près de la forêt du Parc-Soubise, s’emparent de la correspondance, fouille les bagages et vole tout l’argent qui s’y trouve. Guyet (2) est volé, frappé rudement et jeté dans un fossé.
      
  • Le 3 septembre 1832, « une vingtaine de chouans viennent à Ardelay, tirent un grand nombre de coups de fusils sur le drapeau national placé au haut du clocher, ils vont chez le Sr Briant, fils de celui dont ils avaient causé la mort en 1831 (3), veulent le forcer à crier vive Henry V ! et sur son refus le menacent de le fusiller ; ils se firent donner à boire et à manger à discrétion. »
      
  • Le 19 novembre 1832, « le Sr Charpentier, garde national des Herbiers, est rencontré dans la commune d’Ardelay par plusieurs chouans armés, qui le renversent par terre, le frappent à coups de crosse de fusil et le laissent sans connaissance, croyant le laisser sans vie… »
      
  • Le 21 novembre 1832, « M. Bléret, maréchal des logis de gendarmerie et deux autres gendarmes venaient d’arrêter au Bois-Joly, commune d’Ardelay, le nommé Monnois (4), réfractaire, lorsqu’en ramenant leur prisonnier ils sont assaillis par les chouans qui font feu sur eux. Le maréchal des logis a le bras percé d’une balle, il engage les gendarmes qui l’accompagnaient à battre en retraite, et lui ne pouvant les suivre tombe dans un fossé où il reste immobile ; les chouans le croyant mort poursuivent les deux autres qui de toutes parts entendaient crier autour d’eux : “Rembarre ! Rembarre !” terme par lequel les paysans s’excitaient à leur barrer le chemin. Ils parvinrent à grand peine à regagner les Herbiers, après avoir été forcés d’abandonner le prisonnier ».
      
  • Le 17 janvier 1833, « six ou sept chouans en armes vont chez Pasquereau, laboureur à la Pillaudière, commune d’Ardelay (5). Autrefois c’était un de leurs amis, mais ils le regardaient comme leur ennemi parce qu’il n’avait pas voulu consentir à ce que son fils, conscrit dans la classe 1831, s’enrôlât dans leur bande. Pasquereau se sauva presque nu au haut d’un grenier. Les chouans le suivent, veulent le faire descendre pour le fusiller, il leur échappe, saute par une fenêtre au risque de se rompre le cou et vient se réfugier aux Herbiers où il est toujours resté depuis avec sa famille, n’osant pas retourner chez lui. Barraud, jeune chouan de 20 ans (6) du même village que Pasquereau, était celui qui était le plus acharné après lui ».
      
  • Le 9 avril 1833, « les frères Renou et Guitton des Herbiers, revenant le soir de la foire du Puybelliard, sont arrêtés par les chouans dans les rues d’Ardelay ; ils sont forcés de donner chacun 5 Fr. »
      
  • Le 12 avril 1833, « les chouans commettent toutes sortes d’excès pendant la nuit chez le Sr Chassaigne (7), au village de la Chabossière, commune d’Ardelay. »
      

Plaque MichelinPlaque Michelin située dans le bourg d'Ardelay, indiquant deux villages marqués par les actions des Chouans en 1832-1833
  

« La mauvaise commune d’Ardelay »

La liste du préfet Paulze d’Ivoy s’arrête là, alors qu’une affaire marquante lui fut signalée le 22 juin suivant par le parquet de la cour d’assises de Vendée et du tribunal de Bourbon-Vendée (8) :

« Un nouvel assassinat politique vient de jeter la consternation dans le canton des Herbiers. C’est sur le territoire de la mauvaise commune d’Ardelay que le crime a été commis. La victime est un n(omm)é Malardeau (9), débitant de tabac à St Paul en Pareds qui passait pour avoir donné d’utiles renseignements aux troupes sur le compte des chouans. Ce malheureux, en allant conduire mercredi soir (le 19 juin) ses chevaux au pacage est tombé sous les coups de quelques scélérats qui étaient embusqués dans un chemin creux. Il a eu le crâne brisé à coups de crosse de fusil, une partie de la substance cérébrale étant sortie. L’un des auteurs présumé de cet assassinat est un n(omm)é Coutant, réfractaire d’Ardelay… »

Le jour même, le préfet transmit la nouvelle au ministre (de la Justice ou de l’Intérieur, le document ne l’indique pas) en reprenant les termes de la lettre du parquet (« J’apprends qu’un nouvel assassinat politique vient d’être commis dans la commune d’Ardelay… »), en précisant toutefois : « Les premiers renseignements qui m’étaient parvenus sur cet événement donnaient lieu de croire que ce n’était que le résultat d’une chute de cheval et que Malardeau n’était que légèrement blessé ; mais (phrase barrée : « le juge de paix s’étant transporté sur les lieux ») le procureur du Roi m’écrit que ce malheureux est tombé sous les coups de quelques scélérats embusqués dans un chemin creux au moment où il conduisait ses chevaux au pacage mercredy soir… » La suite reproduit le texte du parquet.

Les « premiers renseignements » en question étaient probablement ceux d’un capitaine de gendarmerie qui écrivit au préfet : « Le bruit court que ce sont les chouans qui l’ont assommé (…) ; il serait plutôt à présumer que les blessures proviendraient d’une chute de cheval, vu que cet homme est âgé de 60 ans ». Le procureur du Roi préféra cependant charger d’éventuels Chouans de toute responsabilité. Une lettre du préfet ne laisse aucun doute à ce propos : « Les paroles qu’il (Malardeau) a pu laisser entendre n’ont pu laisser le doute qu’il n’ait été victime de la scélératesse des défenseurs de la légitimité. » Et d’ajouter : « Cet homme qui avait fait les anciennes guerres de la Vendée, avait changé d’opinion depuis la révolution de juillet, il était membre du conseil municipal de sa commune, en cette qualité il avait prêté serment de fidélité à Louis-Philippe ».

Dès le 23 juin, le préfet de la Vendée s’adressa à un général, dont l’identité n’est pas précisée : « Il paraît que ces bandes font de fréquentes apparitions dans les deux communes de St Paul et d’Ardelay (…) J’ai pensé qu’il serait convenable de diriger journellement des colonnes mobiles sur ces deux points, en attendant qu’on puisse s’assurer s’il ne serait pas opportun d’y placer des cantonnements ». La décision ne traîna pas : le 29 juin, un détachement fut envoyé à Saint-Paul-en-Pareds pour surveiller cette commune et sa voisine d’Ardelay.

On remarque, en localisant les lieux cités dans ces différentes affaires, que celles-ci se concentrent dans la vallée du Petit-Lay, qui forme la limite entre les communes d’Ardelay et de Saint-Paul-en-Pareds. D'après le comte de Chabot, leur refuge principal était le moulin de la Motte-Boisseau. « Au moindre signal (…) ils s’égaillaient dans les champs de genêts, puis, l’alerte passée, ils réintégraient le moulin » (10).

À suivre… Ardelay, nid de Chouans (II) : L'affaire Bléret
  

La Motte-BoisseauCe vieux chemin entre la Motte-Boisseau et le village du Bois-Joly fut particulièrement fréquenté par les Chouans d'Ardelay.
    


Notes :

  1. Rapport du préfet Paulze d’Ivoy au ministre de l’Intérieur sur la situation en Vendée en juillet 1833, documents inédits publiés sous l’égide de la Société d’Émulation de la Vendée, La Roche-sur-Yon, 1958 (A.D. 85, 21 J 3). On lira aussi avec intérêt l'article de Roger Huetz de Lemps, L'année critique de Paulze d'Ivoy, préfet et pacificateur de la Vendée (1833), Annuaire de la Société d'Émulation de la Vendée, 1960, pp. 33-58 (A.D. 85, BIB PC 16/39).
  2. Il s’agit probablement de Louis-René Guyet, riche bourgeois des Herbiers et acquéreur de biens nationaux dont il a été question ici.
  3. Il n'y a pas de Briand mort à Ardelay en 1831. En revanche, on trouve un Louis Briand, forgeron taillandier et maire de la commune, décédé le 12 avril 1832.
  4. On ne trouve pas de « Monnois » résidant au Bois-Joly dans le recensement de population de 1820.
  5. Pierre Pasquereau habite dans le village avec son épouse, Jeanne Guilloteau. Il a 59 ans dans le recensement de population de 1820.
  6. On compte quatre fils de Victor Barraud et Angélique Meunier à la Pillaudière, dans le recensement de population de 1820 : Victor a 12 ans, Louis 9 ans, Benjamin 7 ans, Charles 4 ans ; le « jeune chouan » de 1833 était peut-être Benjamin.
  7. Antoine Chassage est un colporteur de 44 ans, d’après le recensement de population de 1820.
  8. Le dossier de cette procédure est conservé aux A.D. 85 sous la cote 1 M 428.
  9. S’il a 60 ans en 1833, comme cela est noté plus bas, il doit s’agir de Rémy-Pierre Mallardeau (Rochetrejoux 1774 – Saint-Paul-en-Pareds 1833), marchand, marié à Saint-Paul-en-Pareds en 1801 avec Marie Chiron.
  10. La Vendée historique, 1910, p. 281. On ne voit pas de moulin à la Motte-Boisseau sur le cadastre de Saint-Paul-en-Pareds, en 1838, ni moulin à eau sur le Petit-Lay, ni à vent sur le coteau. Le comte de Chabot parlait-il du moulin Chaigneau, plus en aval ? Toujours est-il que la ferme de la Motte-Boisseau servait déjà de refuge en 1794 à la famille de Hillerin lorsque les Bleus menaçaient de faire irruption au Boistissandeau.