Il a fallu un demi-siècle d’intrigues administratives pour que Cholet arrache enfin à Beaupréau le siège de la sous-préfecture, en 1857. Ce qu’on ignore bien souvent, c’est que les Choletais poussèrent leurs revendications jusqu’à réclamer le rattachement de Mortagne-sur-Sèvre au Maine-et-Loire.

Carte Cholet MortagneCarte routière et hydrographique de Maine-et-Loire, 1899, BnF. En vert, les communes de Mortagne, Évrunes et Saint-Hilaire-de-Mortagne revendiquées par Cholet
  

À peine relevée des ruines de la guerre civile, la cité manufacturière de Cholet manifesta le désir d’accueillir le siège de la sous-préfecture, que l’arrêté consulaire du 17 ventôse an VIII (8 mars 1800) avait fixé à Beaupréau. Le maire Tharreau (1) en fit la demande au Premier Consul dans une lettre du 17 frimaire an XII (9 décembre 1803), considérant que la ville était « la plus considérable de l’arrondissement », que sa population présentait « une garantie pour la sûreté des caisses publiques et archives », et que « dans les guerres précédentes, Cholet a donné au gouvernement des preuves d’un dévouement dont la moitié de ses habitants ont été victimes » (2).

Le Premier Consul ne donna pas suite à cette requête, pas plus lorsqu’il devint Empereur, ou alors si, mais dans les tout derniers jours de son règne. Furieux de voir que Beaupréau s’était rebellé contre lui pendant les Cent-Jours, Napoléon destitua cette ville et transféra sa sous-préfecture à Cholet le 1er juillet 1815, promotion qui ne dura malheureusement que quelques jours, jusqu’à l’effondrement de l’Empire.

Les Choletais lorgnent vers la Vendée et les Deux-Sèvres

Les Choletais ne s’avouèrent pas vaincus et obtinrent le soutien du préfet de Maine-et-Loire (3) qui plaida auprès du ministre de l’Intérieur dans une lettre du 22 janvier 1816 :

« La population agglomérée de Beaupréau est très faible, celle de Cholet est dix fois plus considérable (…) Les chemins qui aboutissent à Beaupréau sont difficiles toute l’année, et impraticables dans la mauvaise saison (…) Cholet est une ville de fabrique, la plus commerçante du département, etc. »

Le préfet ajouta que « Cholet deviendrait topographiquement plus central si plusieurs communes du 3e arrondissement (Vihiers et ses environs), beaucoup trop éloignées de Saumur, devaient faire partie du 4e arrondissement (celui de Cholet) et si, après le vœu bien connu des habitants, beaucoup de communes des Deux-Sèvres et de la Vendée étaient réunies au département de Maine-et-Loire. La Sèvre paraîtra devoir naturellement servir de limite à ce dernier département. L’éloignement dans lequel ces communes se trouvent de leurs chefs-lieux leur fait désirer la réunion au 4e arrondissement de Maine-et-Loire, avec lequel elles ont des relations continuelles de commerce, et cette mesure serait un bienfait pour elles ».

Cerise sur le gâteau, le préfet fit valoir l’attachement de Cholet à la cause royale, rappelant « qu’en tout temps les habitants de cette ville située au centre de l’ancienne Vendée ont donné l’exemple de l’amour et du dévouement le plus absolu pour le Roi » (4). Cette plaidoirie, et cette allusion à l’annexion de communes limitrophes à Cholet, n’eurent cependant aucun effet.

Une nouvelle opportunité se présenta avec la révolution de 1830, bientôt suivie par la tentative d’un ultime soulèvement vendéen en 1832. Cholet joua la carte de la loyauté au nouveau régime de Louis-Philippe face à sa rivale belloprataine campée en plein cœur des Mauges légitimistes… hélas sans plus de succès.

Mortagne résiste à l'appétit de Cholet

Les ambitions choletaises avaient toutefois suscité l’alarme des Mortagnais qui, contrairement à ce que prétendait le préfet du Maine-et-Loire, ne semblaient pas considérer leur rattachement au Maine-et-Loire comme un bienfait. Le 18 décembre 1830, le maire Hullin (5) et toute la municipalité de Mortagne s’adressaient ainsi au ministre secrétaire d’État de l’Intérieur :

« Il paraît que la ville de Chollet sollicite la sous-préfecture de Beaupreau, et en même temps la réunion de quelques communes de la Vendée situées sur la rive droite de la Sèvre (6). La commune de Mortagne est de ce nombre ; la rivière, il est vrai, se trouve entre le département de la Vendée et Mortagne ; mais Mortagne est également séparé de Chollet par le département des Deux-Sèvres ; car pour aller à cette ville nous sommes obligés de traverser une partie de la commune de Saint Bonnet (7) qui dépend des Deux-Sèvres.

Notre position n’est donc pas une raison suffisante pour réunir Mortagne à Chollet ; s’il en était ainsi nous passerions au département de Maine et Loire, et notre commune cesserait d’être un chef-lieu de canton ; elle perdrait la justice de paix qui est le seul établissement qu’elle possède, et deviendrait alors une simple commune rurale. Cependant elle était autrefois dans une situation bien plus avantageuse ; elle était le chef-lieu d’une juridiction fort étendue qui y attirait beaucoup de monde. Aujourd’hui, la guerre de la Vendée a diminué sa population d’un tiers, ses ruines attestent ses malheurs, et si, par la réunion projetée elle perd encore la justice de paix, elle perd tout.

Outre cela, nos relations administratives et autres nous appellent très fréquemment à Bourbon-Vendée ; une médiocre distance nous en sépare ; une belle route et de fréquents moyens de transport nous y conduisent (…) Ce changement (…) pourrait même devenir très nuisible à Mortagne, sans faire aucun bien à Chollet ; au surplus le commerce de cette ville a des relations avec notre commune comme il en a avec toutes les autres qui l’entourent, de quelque département qu’elles soient, soit de la Vendée, soit des Deux-Sèvres.

D’après ces considérations, nous avons lieu d’espérer que la commune de Mortagne continuera d’appartenir au département de la Vendée. C’est l’objet de notre réclamation » (8).

Joie et déception en 1848

La révolution de février 1848 sembla justifier les inquiétudes mortagnaises, car dès le 11 mars le commissaire du nouveau gouvernement républicain dans le Maine-et-Loire arrêta que le chef-lieu de l’arrondissement de Beaupréau et le tribunal étaient transportés à Cholet.

Les membres du conseil municipal de Mortagne n’attendirent pas longtemps pour faire part de leur inquiétude au préfet de la Vendée, auquel ils écrivirent le 16 mars :

« En 1830 et 1832, il fut question que Chollet allait avoir la sous-préfecture de Beaupréau. À cette occasion, il fut également question que Mortagne serait réuni à cette sous-préfecture ; et, dans ce cas, Mortagne devait perdre tous les avantages qui se rattachent aux chefs-lieux de canton. Les habitants fortement émus firent part de leurs craintes à Messieurs le Préfet de Ste Hermine et Paulze d’Yvoy (9) qui accueillirent favorablement leurs réclamations. Nous apprenons en ce moment que Cholet vient d’obtenir cette sous-préfecture et nous venons aujourd’hui réclamer avec instance la faveur de conserver notre titre de Vendéens, ainsi que le chef-lieu de canton… » (10)

La joie des Choletais ne dura toutefois qu’un temps : le décret de transfert de la sous-préfecture fut annulé dès le mois de juin. Forts de leur opportunisme politique à toute épreuve, ils placèrent alors leurs espoirs dans le prince Louis-Napoléon, qu’ils félicitèrent pour son élection à la présidence de la République en décembre 1848 :

« Nous avons espéré que vous ne serez pas insensible aux vœux d’une population placée au centre de cette héroïque Vendée que l’Empereur, votre oncle, appelait “un peuple de Géants”… » écrivait le maire Boutillier de Saint-André (11), qui monta même à Paris défendre la cause de sa ville.

Cholet l’emporta finalement dans le bras de fer qui l’opposait à Beaupréau à coups de lettres déversées à profusion au préfet, aux députés, aux ministres, etc. Par un décret du 16 novembre 1857, la sous-préfecture fut enfin transférée. Les Choletais n’obtinrent rien de plus, ni les communes de l’arrondissement de Saumur qui leur étaient si proches, ni Mortagne et la rive droite de la Sèvre nantaise. Ce n’est qu’en 1973 que leur commune pourra s’étendre plus au sud en fusionnant avec Le Puy-Saint-Bonnet.

La forte personnalité de l’actuel maire de Cholet, Gilles Bourdouleix, faillit provoquer un surprenant renversement de cette situation en 2006 et 2011, lorsque ce dernier lança qu’il songeait « sérieusement à un rattachement avec la Vendée ». Ce coup d’éclat en resta là, mais en dit long sur l’étroite imbrication des communes formant l’ancien cœur de la Vendée de 93.
 


Notes

  1. François-Charles Tharreau (Le May-sur-Èvre 1751 – Cholet 1829), maire de Cholet de 1800 à 1808, puis de 1821 à 1826.
  2. Henry Bodet, Comment Cholet est devenu sous-préfecture, Bull. S.L.A., 1953, pp. 21-44.
  3. Stanislas-Catherine-Alexis de Blocquel de Croix de Wismes (Arras 1778 – Paris 1831), préfet du Maine-et-Loire de 1815 à 1823.
  4. Henry Bodet, op. cit.
  5. Jean-Baptiste-Louis Hullin (Mortagne 27 novembre 1762 – Mortagne 31 mars 1845).
  6. Il s’agissait de Mortagne-sur-Sèvre, Évrunes et Saint-Hilaire-de-Mortagne, communes qui ont fusionné en 1964.
  7. La commune du Puy-Saint-Bonnet s’avançait en effet très en flèche entre le Maine-et-Loire et la Vendée, allant jusqu’à couper la route de Cholet à Mortagne.
  8. A.D. 85, 1 M 231.
  9. Emmanuel de Sainte-Hermine (Évry 1770 – Niort 1850), préfet de 1830 à 1832 ; et Jacques-Christian Paulze d’Ivoy (Paris 1788 – Vendôme 1856), préfet de 1833 à 1841, dont le nom est déjà apparu ici.
  10. A.D. 85, 1 M 231.
  11. Gustave-René-Auguste-Adolphe Boutillier de Saint-André (Cholet 1811 – Cholet 1868), maire de Cholet de 1849 à 1852.