En feuilletant la correspondance de M. et Mme de La Bouëre, j’y ai croisé quelques loups qui semaient la terreur dans les Mauges au lendemain des Guerres de Vendée.

La BouereVue du château de la Bouëre à la fin du XIXe siècle (A.D. 85, 11 Fi 4255)
  

Originaire de Touraine, Amand-Modeste Gazeau, comte de La Bouëre (1765-1847) fut l’un des principaux officiers de l’armée d’Anjou. Il fit toutes les campagnes de 1793, à l’exception de la Virée de Galerne, puisqu’il préféra continuer le combat contre les républicains dans les Mauges, d’abord sous le commandement de Pierre Cathelineau, puis sous celui de Stofflet, qui l’estimait (1).

M. de La Bouëre prit cependant ses distances avec son général à la suite de l’exécution de Marigny en juillet 1794, et après l’affaire des bons que Stofflet fit imprimer en octobre de la même année. Il déposa les armes en 1795, à l’époque des négociations de paix entre les Vendéens et les représentants de la Convention, mais fut arrêté à Chemillé après la reprise des hostilités, au printemps 1796. Malgré sa position, il survécut à la guerre.

Il avait épousé à La Fère, en 1789, la demoiselle Antoinette-Charlotte Le Duc (1770-1867), dont les souvenirs publiés en 1890 offrent un tableau unique de la guerre qui embrasa les Mauges de 1793 à 1796 (2). Au temps de la Révolution, le couple vivait au château de la Bouëre, paroisse de Jallais, dont il ne reste plus grand-chose de nos jours.

« Les républicains ne pourront plus dire
que nous sommes arriérés d’un siècle
… »

Leur correspondance conservée à Cholet (3) n’est pas simple à suivre, faute de signatures et parfois même de dates. On y trouve toutefois quelques anecdotes intéressantes, comme cette histoire de loups et d’un âne dénichée dans une lettre « de Labouëre le 4 février 1797 » qui, d’après son contenu, a pu être rédigée par M. de La Bouëre :

« Mr de la Tulais est venu me voir la semaine dernière ; il était escorté de quelqu’un avec qui je fis connaissance il y a quelques années, que je reconnus en entrant. Ils m’engagèrent l’un et l’autre pour une chasse de loup qu’on devait faire le lendemain. Mon goût pour cet amusement m’empêcha d’y aller. Les municipalités sont autorisées à permettre le port d’armes dans ces circonstances… »

La soumission des anciens combattants vendéens s’accompagnait de leur désarmement. Au terme de son interrogatoire à Chemillé, le 9 avril 1796, M. de La Bouëre fut accusé « d’avoir recélé chez lui deux fusils dont un de chasse et l’autre de munition en très bon état » (4). La chasse aux loups devenait le seul moyen pour les habitants des Mauges de se réarmer, du moins provisoirement.

« Ces bêtes sauvages en grand nombre dans ce pays-ci y font assez de dégâts, poursuit l’auteur de la lettre ; elles ont même mangé le seul âne que nous eussions dans le pays, celui du petit Godin de la Poitevinière. À quelque chose malheur est bon, les républicains ne pourront plus dire que nous sommes arriérés d’un siècle, que nous ne sommes pas à la hauteur de la révolution, n’ayant plus d’âne dans la Vendée nous allons nous trouver aussi savants que nos anciens ennemis… » (5) M. de La Bouëre ne manquait pas d’humour.

Quarante brebis mangées par le loup

Plus loin, une seconde missive laconiquement datée de « dimanche matin à huit heures » mentionne une attaque de loups. D’après les premières phrases qui évoquent la tristesse d’ « Astasie » (6) à cause de l’absence de son papa, on comprend qu’elle fut écrite par Madame de La Bouëre à l’attention de son mari :

« Est-il vrai que la Robineau (?) a laissé manger les quarante brebis par le loup ? Je crois qu’il y a de l’exagération. En tout cas ce serait malheureux pour cette malheureuse métayère qui n’est pas déjà trop riche. Pourquoi n’a-t-elle pas une bergère ? »

Ce sont là les seuls loups que j’ai pu débusquer dans cette correspondance, qui nous livre quelques bribes de la vie quotidienne dans les Mauges au lendemain de la Révolution.
  


Notes :

  1. « Stofflet avait pour M. de La Bouëre un certain respect, celui qu’on a pour quelqu’un qu’on sait incorruptible », Souvenirs de la comtesse de La Bouëre, La Guerre de la Vendée, 1793-1796, mémoires inédits, 1890 (rééd. Pays et Terroirs, 1994), p. 201.
  2. Camille Humeau, Le Comte et la Comtesse de La Bouëre pendant la guerre de Vendée, Revue du Souvenir Vendéen n°121 (décembre 1977), pp. 42-50. Sur la restauration de leur chapelle funéraire dans l’ancien cimetière de Jallais, et sur la généalogie de la famille de La Bouëre, on lira : La journée d’assemblée générale du Souvenir Vendéen à Jallais et La Poitevinière, Revue du Souvenir Vendéen n°274 (printemps 2016), p. 27.
  3. Au Musée d’Art et d’Histoire, qui expose d’ailleurs une lettre autographe de Madame de La Bouëre près du portrait de la mémorialiste, que le Souvenir Vendéen a mis en dépôt le 15 septembre 2017 ; et aux Archives municipales.
  4. Souvenirs de la comtesse de La Bouëre…, op. cit., pp. 353-354. Le règlement du général en chef (Hoche), daté du 11 janvier 1796, stipulait que l’habitant « chez lequel on trouvera un fusil payera en grain une amende égale au tiers de son revenu » (ibidem).
  5. A.M. Cholet, 13 J 66, Correspondance 1790-1819.
  6. Diminutif d’Anastasie, troisième enfant du couple, qui vint au monde le 21 octobre 1793, en pleine Terreur (Souvenirs de la comtesse de La Bouëre…, op. cit., p. 94).