Avez-vous déjà vu un acte d’état civil signé par le général Stofflet en personne, l’abbé Bernier et l’état-major de l’armée d’Anjou, mais rédigé en des termes parfaitement républicains ? Eh bien j’en ai trouvé un !
Les signatures de l'acte de décès de Félix-Pierre-René Pihouée, daté d'après le calendrier républicain (A.D. 49, 1 J 5041)
Lorsque la quête des ancêtres conduit dans les communes qui furent touchées par les Guerres de Vendée, il n’est pas rare de se heurter à un obstacle de taille : l’absence de registres paroissiaux ou d’état civil, soit qu’ils ont été détruits, soit qu’ils n’ont pu être tenus en bonne et due forme. Pour pallier ce manque, des sources existent cependant, comme les registres clandestins dans lesquels les prêtres insermentés s’efforçaient de consigner les actes des baptêmes, mariages et sépultures portés à leur connaissance, ce qui n’était pas simple dans la pratique, ni exhaustif dans le contenu, en raison de leurs conditions de vie dans la clandestinité.
On dispose en outre de listes chronologiques des actes « qui ont été perdus ou détruits pendant la guerre civile, à dater du premier janvier 1789 jusqu’au premier vendémiaire an neuf », dressées sur ordre de Bonaparte, ainsi que des reconstitutions d’actes établies au début du XIXe siècle, sans oublier les actes de notoriété, indispensables notamment pour constater le décès d’un conjoint en vue d’un remariage (1), ou celui d’un parent pour en hériter. Bien que parcellaires, ces sources complètent utilement les registres d’état civil que les municipalités patriotes ont tenu tant qu’elles l’ont pu.
L’acte de décès de Félix-Pierre-René Pihouée
On tombe parfois aussi sur des documents isolés qui intéressent autant l’histoire que la généalogie, comme cet acte de décès d’un certain Félix-Pierre-René Pihouée, de Passavant-sur-Layon (2). Signé par le général Stofflet en personne, mais également par l’abbé Bernier et plusieurs membres de l'état-major de l’armée d’Anjou (Belin, Chalon, Guichard, Coulon, Monnier et Lhuillier), il constate que cet homme « est mort en repassant la Loire au mois de février 1794 ». Jusque-là, rien de bien surprenant dans cette pièce qui s’apparente à un acte de notoriété on ne peut plus vendéen.
La surprise tient plus à son expression franchement républicaine, qui s’explique par le fait que l’armée d’Anjou, Stofflet en tête, avait accepté de se soumettre aux lois de la République à la signature de la paix de Saint-Florent-le-Vieil, le 2 mai 1795, comme Charette l’avait fait précédemment à la Jaunaye, le 17 février (3). En contrepartie les Vendéens s’étaient vus accorder la liberté de culte, une amnistie, des indemnités, une dispense de service militaire, l’autorisation de conserver leurs armes sur le territoire qu’ils contrôlaient, etc.
C’est ainsi que l’acte de décès de Félix-Pierre-René Pihouée est daté selon le calendrier républicain et non pas grégorien, « le 23 nivose an 4e de la République française » (13 janvier 1796) ; que le disparu est appelé « citoyen » ; que la mention de « 1793 » y est qualifiée de « vieux style », formule révolutionnaire qualifiant les dates antérieures à l’instauration du calendrier républicain, souvent abrégée en « v. s. » ; et que le pays administré par les insurgés y est désigné sous le nom pour le moins inhabituel de « territoire de la République dit la Vendée » !
Ce type d’expression hybride, que je n’avais jamais rencontré auparavant dans un acte d’état civil, n’a pas fait florès. Le 26 janvier 1796, Stofflet publia une adresse annonçant la reprise des hostilités (4), conscient que ce baroud d’honneur le mènerait à sa perte (5).
Je termine avec quelques détails généalogiques concernant Félix-Pierre-René Pihouée : il est né à Passavant-sur-Layon le lundi 6 janvier 1772, et a été baptisé le lendemain. Il était le fils de François Pihouée, maître chirurgien, et de Marie Coquin (6).
Acte de baptême de Félix-Pierre-René Pihouée (A.D. 49, voir note 6)
Voici la retranscription de son acte de décès :
Nous sousignés habitans des départemens ci-devant insurgés et signataires de la paix, certifions à qui il apartiendra, que le citoyen Félix Pierre René Pihouée né à Passavant départemens de Maine et Loire, a constamment habité le territoire de la République dit la Vendée, depuis l’époque de l’insurrection au mois de mars 1793 (v. s.) jusqu’au passage de la Loire par l’armée des insurgés. Il la suivit, et est mort en repassant la Loire au mois de février 1794. En foi de quoi nous lui avons délivré le présent pour servir et valoir, à ses héritiers ou ayant droit, ce que de raison, auprès des autorités constituées, et supléer aux formalités exigées par la loi.
Fait à Nevi (7) le 23 nivose an 4e de la République française.
(signé) Stofflet, Bernier, Belin, J. Chalon, Guichard, Coulon, Monnier, Lhuillier (il manque des signatures dans le bas inférieur gauche de l'acte qui a été découpé)
Article connexe : Un acte de mariage signé par Stofflet et l'abbé Bernier
Notes :
- Comme on l’a vu avec le cas de la famille Émeriau de Chaudron-en-Mauges.
- L’original se trouva aux A.D. 49 sous la cote 1 J 5041.
- Simone Loidreau, Le traité de la Jaunaye, Revue du Souvenir Vendéen n°190 (mars 1995), pp. 17-18.
- « Plus de paix ni de trêve avec la république : elle a conspiré la ruine du pays que vous habitez… » (Edmond Stofflet, Stofflet et la Vendée, rééd. Pays et Terroirs, 1994, pp. 399-400).
- Cette ultime prise d’armes ne mobilisa plus grand monde dans les Mauges, dont les habitants n’aspiraient plus qu’à la paix. Stofflet fut capturé à la Saugrenière, en La Poitevinière, dans la nuit du 23 au 24 février 1796, sur dénonciation de paysans et non de l'abbé Bernier, puis conduit à Angers où il fut fusillé le 25 février suivant.
- A.D. 49, état civil de Passavant-sur-Layon, BMS 1760-1792, vue 72/214.
- Neuvy-en-Mauges, quartier général de Stofflet et de l’abbé Bernier.
En tout cas le frère de ce Pihouet a épousé en décembre précédant la fille du républicain Louis-Charles Bienvenu de Nueil, mariage auquel assistait le ban et l'arrière ban patriote de la région. Ce qui peut aussi expliquer l'emploi du terme "citoyen" qui se rapporte le plus souvent à des patriotes. Je suis aussi surpris par la date du 2 février 1794. Un peu tardif par rapport au terme de la virée de Galerne.