Les lecteurs de la Revue du Souvenir Vendéen ont découvert récemment que les fossoyeurs de Noirmoutier envoyaient leurs factures après avoir inhumé les cadavres des Vendéens fusillés début 1794 (1). Ce genre de comptabilité macabre se trouve aussi aux Archives du Maine-et-Loire, dans un mémoire de Louis Dupuy, exécuteur des jugements de la commission militaire Félix, qui établit ses tarifs pour sa besogne à la guillotine à Saumur, à Laval, à Angers, aux Ponts-de-Cé et à Doué, en novembre et décembre 1793.

Guillotine  
Une première commission militaire fut créée à Angers le 10 juillet 1793, par les représentants du peuple Bourbotte, Tallien et Turreau, afin de juger tous ceux qui seraient accusés de conspirer contre la République. D’abord présidée par Pierre-Mathieu Parein, un proche de Ronsin, elle fit un passage à Chinon (2), puis s’établit dès le 25 juillet du même mois à Saumur, accompagnée par une guillotine.

Ses premiers jugements, assez modérés, concernaient essentiellement des militaires républicains accusés de vol, d’indiscipline, etc. Mais le rendement de la commission allait s’accroître et ses condamnations se durcir à mesure que les prisons du département se remplissaient de « brigands de la Vendée ».

La redoutable commission militaire Félix

Le 4 octobre 1793, Parein céda sa présidence à Jean-Baptiste Félix (3), révolutionnaire exalté qui enverra à la guillotine plus de 200 condamnés à mort. Cependant « le nombre de personnes fusillées par ses ordres à Avrillé, Doué, Les Ponts-de-Cé et Saumur est environ quinze fois plus considérable » (4).

La tragique campagne d’Outre-Loire de l’armée vendéenne livra en effet aux Bleus un grand nombre de prisonniers, tant combattants que civils, dont le nombre engorgea toutes les prisons des villes de la région. Cette situation s’aggrava encore par l’afflux d’habitants arrêtés lors de la reprise en main du territoire insurgé par les autorités républicaines.

À partir de la fin du mois d'octobre 1793, la commission Félix dut ainsi effectuer son sinistre travail sur plusieurs fronts pour vider les prisons de Saumur, d’Angers, mais aussi de Laval (du 18 au 21 novembre), menant ensuite une expédition sanglante vers Les Ponts-de-Cé (à partir du 1er décembre), Doué (du 6 au 12 décembre) et à nouveau Saumur (à partir du 13 décembre). Elle reviendra à Angers le 31 décembre 1793, pour ne cesser ses activités que le 9 mai 1794.

Louis Dupuy, exécuteur des jugements de la commission militaire

Les condamnations à mort prononcées par cette commission militaire, du moins celle qui devaient être appliquée par la guillotine, étaient mises en œuvre par l’exécuteur Louis Dupuy. Ce bourreau angevin eut à son « actif » des victimes de marque, comme La Planche de Ruillé, ancien député angevin à l’Assemblée constituante ; Guillot de Folleville, prétendu évêque d’Agra et président du Conseil supérieur des Vendéens ; le marquis de Donnissan, père de la future Madame de La Rochejaquelein ; William Bulkeley, le mari de la célèbre amazone ; le chevalier Desessarts, ainsi que de nombreux prêtres et religieux, et des personnes de tout âge et de toute condition sociale, hommes et femmes confondus.

Le mémoire de Louis Dupuy (5) rend palpable la réalité de cette sombre époque. Couché sur une feuille de papier très fin, pliée en deux, il énumère en 24 points le tarif des exécutions. Voici le contenu intégral de ces quatre pages, d’où il ressort qu’une tête de condamné à mort était facturée 50 livres, auxquelles s’ajoutaient 9 livres pour les « porteurs » :
  

1 J 4320Détail du mémoire de Louis Dupuy (A.D. 49, 1 J 4320) :
« d'après l'ordre du citoyen Félix il a mis à mort à Doué… »
  

21 brumaire (11 novembre 1793)

Aux citoyens m(em)bres composant la commission militaire établie près l’armée de l’Ouest

N°1 – Vous expose Louis Dupuis, exécuteur des jugements criminels qu’en vertu du réquisitoire à lui donné, il a suivi la guillotine depuis cette ville de Saumur jusqu’à Laval, et depuis ledit endroit à Angers, aux Ponts-de-Cé et à Doué, et est actuellement de retour dans lad(ite) ville de Saumur ; en est parti les 21 brumaire (11 novembre 1793) 2e mois et de retour le 23 frimaire (13 décembre 1793) 3e mois, ce qui fait 23 jours, ceux d’exécution déduits qui, à raison de 10 livres par jour, font en tout : 230 livres.
N°2 – Le 20 brumaire (10 novembre 1793), veille de partir pour Laval, il a mis à mort en vertu de l’ordre à lui donné par le citoyen Félix président, les nommés Bourgouin (6) et Crochard (7), pour quoi il requiert : 100 livres.
N°3 – 300 livres.

(page 2)

N°4 – 200 livres.
N°5 – 100 livres.
N°6 – Plus il a mis à mort dans la ville d’Angers, d’après l’ordre du citoyen Félix président, les nommés Castelnau, Camouins et Beauvais (8), pour quoi il requiert : 150 livres.
N°7 – 450 livres.
N°8 – Plus avoir payé aux porteurs 9 livres par chaque condamné cy : 234 livres (soit 26 condamnés).
Le 16 frimaire
N°9 – 250 livres.
N°10 – Plus le 18 frimaire (8 décembre 1793) et d’après l’ordre du citoyen Félix, il a mis à mort à Doué les nommés Jacquet, Fardeau et Fouquet (9), pour quoi il requiert : 150 livres.

(page 3)

N°11 – 100 livres
N°12 – 100 livres.
N°13 – Payé aux porteurs 9 livres par chaque condamné : 108 livres (soit 12 condamnés).
N°14 – 100 livres.
N°15 – Plus le 25 frimaire (15 décembre 1793) avoir mis à mort à Saumur d’après l’ordre du citoyen Félix, les nommés Lerat huissier et la V(eu)ve Bourjoly (10), pour quoi il requiert : 100 livres.
N°16 – 400 livres.
N°17 – Aux porteurs : 108 livres (soit 12 condamnés).
N°18 – 200 livres.
N°19 – 50 livres.
N°20 – 300 livres.
N°21 – 150 livres.
N°22 – Aux porteurs : 126 livres (soit 14 condamnés).
Total : 4006 livres.

(page 4)

N°23 – Plus le 4 nivôse (24 décembre 1793) avoir mis à mort le nommé Pierre Chauveau, pour quoi il requiert : 50 livres. Plus pour les porteurs : 9 livres.
N°24 : 100 livres. Aux porteurs : 18 livres.
Total : 4183 livres, à déduire 833 livres, (soit) 3350.
J’ai reçu à compte 1800 livres :
– d’abord à Saumur : 600 livres
– puis à Laval : 300 livres
– à Doué : 600 livres
Plus reçu : 300 livres
(soit) 1550.
Reçu pour solde du présent mémoire la somme de 1550 livres, Angers le 12 germinal (1er août 1794) l’an 2 de la République française et indivisible

Signé Dupuy

Signature DupuySigné Dupuy (A.D. 49, 1 J 4320)
  


Notes :

  1. Pierre Gréau, Les « fadettes » de la municipalité de Noirmoutier en 1794, Revue du Souvenir Vendéen n°287 (été 2019), pp. 40-43.
  2. Le premier condamné à mort fut Jacques Payelle, coupable d’avoir crié « Vive le Roi ! »
  3. De son nom complet Jean-Baptiste-Henri-Antoine Musquinet de Saint-Félix, ancien professeur de musique à Paris.
  4. Célestin Port, Dictionnaire du Maine-et-Loire, 1990, t. II, p. 136.
  5. A.D. 49, 1 J 4320.
  6. Michel-François Bourgouin, marchand revendeur à Baugé, convaincu « d’avoir eu des intelligences avec les brigands de la Vendée, d’avoir manifesté publiquement des sentiments royalistes et contre-révolutionnaires dans la ville de Baugé… » (Affiches d’Angers, 28 brumaire an II).
  7. Armand-René Crochard, dit de La Crochardière, de Milon, « ci-devant noble, et décoré de la croix du ci-devant ordre de S. Louis », convaincu lui aussi d’avoir eu des intelligences avec les brigands de la Vendée, d’avoir manifesté publiquement des sentiments royalistes à Baugé (Affiches d’Angers, 28 brumaire an II).
  8. Louis-Joseph-Amable Castelnau, capitaine au ci-devant régiment des carabiniers, pour conspiration contre la République (Camille Bourcier, Essai sur la Terreur en Anjou, p. 81) ; Pierre Beauvais, 50 ans, perruquier à Rablay et officier vendéen (ibidem) ; Camoin, huissier à Chalonnes (ibidem, p. 73) ; exécutés à Angers le 29 novembre 1793.
  9. Pierre Jacquet, 62 ans, marchand de bestiaux, président du comité royaliste de Rablay ; Louis Fardeau, 31 ans, aubergiste à Rablay (Camille Bourcier, op. cit., p. 82) ; Jean-Nicolas Fouquet, officier public (Morts pour leur foi, victimes de la Révolution en Anjou, p. 184).
  10. Guillaume-Charles-Martin Lerat, huissier au Puy-Notre-Dame, et Jacquine Laurandin, veuve Bourjoly, marchande à Cholet, « atteints et convaincus de conspiration envers la nation française » (Affiche d’Angers, 5 nivôse an II).