À Saumur, dans le registre de l’an II fut inscrit un étonnant mariage, le « cinquième jour de la troisième décade du mois de brumaire », soit le 15 novembre 1793, entre Joseph Meignan, curé de la paroisse Saint-Jacques, et la demoiselle Anne-Marie Thoreau de La Martinière, ci-devant noble et sœur d’émigrés.

SignaturesSignatures au bas de l'acte de mariage de l'abbé Meignan et d'Anne-Louise Thoreau de La Martinière (A.D. 49, état civil de Saumur, 1793 – an II, vue 46/197).
Outre les mariés, on distingue les noms de personnalités saumuroises : Tramblier, vice-président du district ; Riffault, procureur syndic du district ; Cailleau, maire de la ville ; Mogue, commissaire du Comité de Salut public ; Simon, membre du comité révolutionnaire ; Cailleau le jeune, officier municipal ; et Clavreul, vicaire de Saint-Pierre de Saumur (qui se mariera lui aussi).
  


Le curé en question était certes un modèle du genre révolutionnaire. Joseph Meignan était né à Saint-Denis-d’Anjou le 7 octobre 1759. Nommé vicaire de la paroisse saumuroise de Nantilly en 1788, il prêta le serment constitutionnel, s’inscrivit à la Société des Amis de la Constitution, et transforma son église en « club des sans-culottes ». Farouchement hostile aux Vendéens, il les poursuivit en tant que commissaire civil auprès de l’armée de l’Ouest, depuis leur passage à Baugé le 6 décembre 1793 jusqu’à Savenay, dénonçant partout la modération des autorités. On ne sait ce qu’il devint après la Révolution, sinon qu’il vivait à Angers en 1813 et qu’il demanda à l’évêque de régulariser sa situation canonique (1).

Conforme à ses opinions politiques, l’abbé Joseph Meignan se maria. La cérémonie civile eut lieu le 25 brumaire an II (15 novembre 1793). Le marié est dit « âgé de trente quatre ans, curé de la paroisse de Saint-Jacques de Saumur, domicilié de la section de la Liberté ». La mariée quant à elle se nommait Louise Thoreau, « âgée de quarante deux ans, fille de défunts René Thoreau et de Marie Catherine Gaste (2), originaire de la commune de Saint-Louis de l’île de France (3). Quelques jours plus tard, Joseph Meignan reconnut le fils qu'il avait eu d'elle.

« À cette occasion, la Société populaire et le Comité révolutionnaire font, à frais communs, imprimer un hymne intitulé Le Triomphe de la Raison ou le mariage des prêtres. Meignan est imité par deux de ses collègues saumurois, René Clavreul, vicaire de Saint-Pierre, et Louis-Denis Papin, ancien chapelain de Saint-Pierre. » (4)

Le plaidoyer républicain de la citoyenne Thoreau

La biographie de l’abbé Meignan s’intéresse peu à sa femme, alors que celle-ci mérite qu’on lui prête attention. Issue d’une noble famille saumuroise, Anne-Louise Thoreau de La Martinière était née le 20 novembre 1750 à Port-Louis, sur l’île Maurice. Son père, décédé en 1770 à Meigné-sous-Doué, ancien officier d’artillerie, avait été nommé commandant des troupes des îles de France et de Bourbon (l’actuelle Réunion).

Une partie de sa famille ayant émigré, Anne-Louise Thoreau de La Martinière se fendit d’une lettre enflammée adressée, trois jours avant son mariage, au comité révolutionnaire de Saumur, afin d’assurer son bon républicanisme (mais aussi sa survie) :

Saumur le 22 brumaire de l’an 2ème de la république française une et indivisible,
La liberté ou la mort
Aux républicains composant le comité révolutionnaire établi à Saumur

Citoyens,

La citoyenne Thoreau, fille demeurant en la section de l’Unité de cette ville, vous expose que quoique née malheureusement dans la caste des ci-devant nobles et sœur d’émigrés, elle n’a jamais cessé d’aimer et chérir la révolution française, qu’elle en a fait les ennemis avec horreur, et toujours recherché la connoissance et l’amitié des vrais républicains ; qu’elle a coopéré de tout son pouvoir, soit par son exemple, soit par ses discours, à l’établissement du règne de l’égalité qui a toujours fait ses délices, et pour vous prouver davantage qu’elle est à la hauteur de la révolution, et qu’elle n’a heureusement aucun des vices qu’on reproche avec tant de justice aux ci-devant nobles, elle vous fait confidence et vous certifie que son intention est de s’unir sous très peu de jours par les liens du mariage à un prêtre bon républicain, curé de cette ville.

D’après cet exposé, citoyens, j’ose espérer de votre républicanisme que vous voudrez bien m’excepter de la classe de ceux que la loi ordonne d’arrêter comme suspects et me donner les moyens de me faire connoître vos intentions à mon égard aux commissaires chargés de faire les visites domiciliaires.

Salut et fraternité
Votre consitoyenne
(signé) Thoreau (5)

1 L 1270Extrait de la déclaration de la citoyenne Thoreau (A.D. 49, 1 L 1270)
  


Notes :

  1. C. Port, Dictionnaire historique, géographique et biographique du Maine-et-Loire, t. III, p. 433.
  2. René Thoreau de La Martinière et Marie Gast d’Hauterive, mariés le 9 avril 1742 à Port-Louis, île Maurice.
  3. Entendez Port-Louis, île de France, ancien nom de l’île Maurice.
  4. Site internet Saumur jadis, page sur la déchristianisation.
  5. A.D. 49, 1 L 1270.