Au printemps 1800, le juge de paix du canton de Beaupréau établit, sur la déclaration d’anciens combattants vendéens, deux actes de notoriété quasiment identiques dans leur contenu. Seuls les prénoms différaient, car il s’agissait de deux frères, morts de leurs blessures des suites de la même bataille.

94 L 10-3 1Extrait de l'acte de notoriété concernant la mort de François-Basile Clabat à la bataille de Gesté, le 1er février 1794 (A.D. 49, 94 L 10-3)
  

Le 19 floréal an VIII (9 mai 1800), trois hommes comparurent devant Jean-François Paumard, juge de paix du canton de Beaupréau, assisté de son greffier, Guy-André Bouchet :

  • Jean-Jacques Ménard, aubergiste à Beaupréau, ancien combattant vendéen ; il sollicita une demande de pension le 1er juillet 1830, mais seule sa demande figure dans son dossier (1).
  • Mathurin Bouët, maçon à Beaupréau. Fils de Paul Bouet et Renée Daburon, il fut baptisé le 4 avril 1766 à Beaupréau, paroisse Notre-Dame. Son dossier de pension (2) nous apprend qu’il prit les armes dès le commencement de la guerre en se portant à Saint-Florent-le-Vieil (soit le 12 mars 1793) et qu’il a servi dans l’armée vendéenne jusqu’à la pacification comme dragon dans la division de Beaupréau. Il a reçu trois blessures au combat : au bras, dans une charge de cavalerie à Saumur (9 juin 1793) ; un coup de feu à la tête, au Bas-Plessis de Chaudron-en-Mauges ; à la lèvre supérieure coupée par le bout de la carabine d’un cavalier, à Luçon (probablement la 3e bataille, le 14 août 1793). Il reprit les armes pendant les Cent-Jours, avec le grade de sergent-major, et participa au combat de Rocheservière (20 juin 1815).
  • François Boré, maçon à Beaupréau. Plusieurs homonymes ont fait des demandes de pension sous la Restauration, mais ils étaient originaires d’autres paroisses et aucun n’était maçon.

Tous déclarèrent que les citoyens François-Bazile Clabat et Pierre Clabat, fils de Jean-René-Joseph Clabat et de Suzanne Monnereau, sont morts à la suite des blessures qu’ils reçurent « à l’affaire qui eut lieu entre Gesté et Villedieu, canton de Montfaucon, le premier février mil sept cent quatrevingt quatorze (vieux-style) ». Le juge de paix consigna la déclaration en deux actes identiques pour les deux frères Clabat (3).

Le premier, Pierre Clabat, né le 17 juillet 1771, fut baptisé le 21 à Cognac, paroisse Saint-Léger ; le second, François-Basile Clabat, né le 13 juin 1772, fut baptisé le lendemain dans la même paroisse. Ils étaient les fils de Jean-René-Joseph Clabat, écuyer, seigneur du Chillou, des Suzelles et du Breuil, et de Suzanne Monnereau.

Quelle était cette « affaire qui eut lieu entre Gesté et Villedieu, le premier février mil sept cent quatrevingt quatorze » ?
  

94 L 10-3 2Extrait de l'acte de notoriété concernant la mort de Pierre Clabat à la bataille de Gesté, le 1er février 1794 (A.D. 49, 94 L 10-3)
  

La triple victoire de Stofflet à Gesté

L’anéantissement de l’armée vendéenne à Savenay le 23 décembre 1793 a donné le champ libre au général Turreau pour mettre en œuvre son plan d’anéantissement de la Vendée au moyen de colonnes (qu’on qualifiera plus tard d’ « infernales ») balayant le territoire insurgé d’est en ouest. Lancées autour du 21 janvier 1794, ses troupes se déchaînent, pillent, incendient et massacrent partout où elles passent. Leurs terribles exactions ont cependant pour effet de provoquer un sursaut de résistance des habitants dont les plus vaillants finissent par rejoindre les chefs encore vivants : Stofflet dans les Mauges, Charette dans le Bas-Bocage, Marigny dans le Bressuirais, Sapinaud dans le Haut-Bocage, etc. Les colonnes de Turreau vont ainsi essuyer leurs premiers revers, cinglants, le 1er février 1794 à Gesté contre Stofflet, et le lendemain à Chauché contre Charette et Sapinaud.

Affecté par la perte de La Rochejaquelein, tué à Nuaillé le 28 janvier précédent, Stofflet a rassemblé ses troupes (environ 1.500 hommes) à Gesté. Au matin du samedi 1er février, il occupe Saint-Macaire où il repousse 3.000 Bleus venus de Cholet, avant de revenir à son point de départ pour déjeuner. En plein milieu du repas, 4.000 soldats républicains commandés par le chef de brigade Robiquet font irruption à Gesté (4). Les Blancs, qui ont évacué précipitamment, sont ralliés par Stofflet, repartent à la charge et infligent une déroute à l’ennemi. Au cours de sa retraite, Robiquet surprend 150 personnes réfugiées dans le bois du Vigneau, près de Beaupréau, et les fait massacrer sur place.
  

Carte GesteCarte de la bataille de Gesté, 1er février 1794
  

Occupés à récupérer ce que les Bleus ont abandonné à Gesté, les gars de Stofflet sont surpris par une nouvelle attaque menée cette fois par le général Crouzat et ses 2.000 hommes venus par la route de Nantes. Le renfort apporté par les frères de Bruc et leurs combattants du Loroux leur permet toutefois de repousser les républicains qui se débandent vers Le Doré, laissant sur le terrain convois et munitions aussitôt récupérés par les vainqueurs.

Le général Cordelier a entendu la fusillade ; sa colonne se trouve plus au nord, du côté de la forêt de Leppo. Il ordonne de marcher sur-le-champ en direction de Gesté. Bientôt son avant-garde commandée par l’adjudant général Flavigny pénètre dans le bourg déserté, le traverse, puis poursuit sur la route de Nantes où elle se heurte à quelques bandes de paysans. Les coups de feu avertissent Stofflet de la menace sur ses arrières ; le général angevin cesse alors de poursuivre Crouzat, revient sur Gesté et parvient à écraser tout le corps d’armée de Cordelier qui venait d’y arriver. Ce dernier se replie lui aussi vers Le Doré, tandis qu’une partie de ses troupes fuit vers Montrevault. Flavigny, quant à lui, subit le même sort près de l’ancienne abbaye de La Regrippière ; Cordelier, furieux de sa cuisante défaite à Gesté, l’en rendra responsable.

Cette triple victoire fut totale pour Stofflet ; on crut même que c’était La Rochejaquelein qui commandait. Ses hommes ramassèrent un beau butin en armes, munitions, vivres, sans compter les charrettes de biens pillés, en particulier l’argenterie des églises. Même la voiture de Cordelier fut prise, avec ses papiers d’état-major et ses uniformes (5).

Les Clabat et la Vendée

Comment les deux frères Clabat, morts à la suite de cette bataille de Gesté, ont-ils pu arriver dans les rangs de l’armée de Stofflet ? Leur parcours reste obscur. Ils devaient être considérés comme émigrés, puique leur cadet, Jacques-Étienne Clabat, fera pour eux une réclamation devant le préfet de la Charente, le 23 fructidor an X (10 septembre 1802), en vue d'une amnistie, ce qu’il obtiendra le 21 prairial an XI (10 juin 1803) (6). Or on sait que parmi les 410 Charentais condamnés pour émigration, plusieurs restèrent en France et rejoignirent l’insurrection vendéenne (7), ce qui dut être le cas des Clabat.

Encore une question : Ces deux frères étaient-ils liés à Jean-Félix Clabat du Chillou (8), dont la tombe dans le cimetière de La Gaubretière rappelle, sur un petit panneau, qu’il fut maréchal de camp de l’armée du Centre, et beau-frère de Pierre-Prosper de Boisy, compagnon d’armes de d’Elbée ? Leur parenté demeure en réalité assez éloignée : le grand-père des deux Clabat tués à Gesté en 1794 était frère du grand-père de Jean-Félix.

Clabat du ChillouLa tombe de Jean-Félix Clabat du Chillou et de son épouse, Marguerite-Perrine de Boisy, dans le cimetière de La Gaubretière
  


Notes :

  1. A.D. 49, 1 M 9/260.
  2. A.D. 49, 1 M 9/72.
  3. A.D. 49, 94 L 10-3.
  4. Les effectifs des forces républicaines sont ceux indiqués par l’abbé Deniau (voir note suivante), mais ils paraissent surévalués.
  5. D’après Félix Deniau, Histoire de la Vendée, t. IV, pp. 218-221 (l’auteur indique la date du 2 février, alors que les combats eurent bien lieu le 1er). Lire aussi le rapport de Cordelier : J.-J. Savary, Guerres des Vendéens et des Chouans contre la République française, t. III, pp. 130-133.
  6. Pierre Bureau, Les émigrés charentais, 1791-1814, Presses universitaires de Limoges, 2003, p. 51.
  7. Ibidem, p. 11.
  8. Jean-Félix-Clabat du Chillou de Kerveno, baptisé le 3 septembre 1755 au château de la Charpentrie, paroisse de Saint-Léger à Lamairé, épousa le 21 février 1791, à La Gaubretière, Marguerite-Perrine de Boisy. Il ne fit pas la Virée de Galerne et se joignit à Charette. Il mourut le 2 octobre 1840 à La Gaubretière (Pierre Gréau, Charles Aymé de Royrand et l’armée du Centre, Souvenir Vendéen, 2018).