Les papiers du comité révolutionnaire de Saumur recèlent des curiosités, comme ce billet appelant à une expérience de boulets inflammables en décembre 1793.

1 L 1270Une expérience de boulets inflammables à Saumur le 4 décembre 1793
(A.D. 49, 1 L 1270)

  

Les républicains n’ont pas manqué d’imagination lorsqu’il s’agissait de concevoir des armes innovantes propres à écraser plus promptement les « brigands de la Vendée ». On se souvient des mines et des fumées soporifiques réclamées à cor et à cri par Santerre au ministre de la Guerre en août 1793 ; ou encore de ce « physicien et alchimiste » qui fit la démonstration aux représentants du peuple à Angers d’ « une boule de cuir remplie, disait-il, d’une composition dont la vapeur, dégagée par le feu, devait asphyxier tout être vivant fort loin à la ronde. On en fit l’essai dans une prairie où se trouvaient quelques moutons (…) et personne n’en fut incommodé » (1).

Antoine-François Fourcroy aurait même été sollicité, à la demande du général Rossignol au Comité de Salut public, afin de mettre à profit « son talent en chimie » pour « parvenir à la destruction des brigands » (2). D’après Crétineau-Joly, le savant ne se serait pas déplacé en Vendée, mais aurait rédigé un rapport dans lequel « il indiquait les moyens à employer pour réaliser le vœu patriotique de Santerre et de Rossignol » (3). Toutefois, personne n’a jamais pu mettre la main sur ce fameux rapport (4) et le seul que Fourcroy ait produit sur la Vendée date de 1800 et ne concerne en rien de supposées armes chimiques (5).

Les boulets inflammables du citoyen Chevalier

À Saumur, l’une des principales places fortes des républicains face à la Vendée insurgée, on expérimenta une arme plus conventionnelle dans les premiers jours de décembre 1793 : les boulets inflammables. Un billet imprimé à l’en-tête du comité révolutionnaire, daté du 14 frimaire de l’an deuxième de la République française (4 décembre 1793), sommait en effet le citoyen Le Blanc, officier municipal de Saumur, et Pineau, membre du Comité, « d’assister ce jour au soir à une expérience de boulets inflammables inventés et offerts à la patrie par le citoyen Chevalier… » (6) Ce dernier était-il un scientifique ou un ingénieur ? Nullement, il est cité comme « artiste » !

L’Histoire attribuera cependant la paternité des boulets inflammables au marquis de Bellegarde, comme l’atteste cette lettre de Lebrun, ministre des Affaires étrangères, adressée à Beurnonville, ministre de la Guerre, le 17 février 1793 : « Le ci-devant marquis de Bellegarde vient de faire, en Angleterre, avec plein succès, l’épreuve de boulets creux remplis de matières inflammables (…) Ces inventions terribles (…) se trouvant être aujourd’hui entre les mains de nos ennemis, il vous paraîtra sans doute juste de les employer pour la défense de la patrie » (7).

Le citoyen Chevalier a-t-il permis à la Révolution de combler son retard technique ? Rien ne le laisse penser, et je n’ai pas trouvé le rapport que Baraux, commissaire national, enjoignait aux citoyens Le Blanc et Pineau de rédiger à l’attention du comité révolutionnaire de Saumur après cette expérience de boulets inflammables.
  


Notes :

  1. L’anecdote est rapportée par l’adjudant-général Savary (J.-J. Savary, Guerres des Vendéens et des Chouans contre la République française, 1824, t. II, p. 51). Jacques Crétineau-Joly laisse entendre qu’il s’agirait de Joachim Proust, pharmacien à Angers (Histoire de la Vendée militaire, 1851, t. Ier, p. 210).
  2. Jacques Crétineau-Joly, op. cit., pp. 331-332.
  3. Jacques Crétineau-Joly, op. cit., p. 209. Cette assertion n’apparaît pas dans la première édition de 1840.
  4. Ni sur beaucoup d’autres documents apparus pour la première fois chez Crétineau-Joly dans les années 1840, comme le rapport de Westermann : « J'ai écrasé les enfants sous les sabots des chevaux, massacré les femmes… » ; la lettre de Merlin de Thionville : « Les brigands n'ont pas le temps d'écrire ou de faire des journaux… » ; ou le mot de Kléber ironisant sur la fuite de Carrier à la bataille de Cholet : « Laissez passer le citoyen représentant du peuple ! Il tuera après la victoire » ; citations recopiées inlassablement par des générations d’historiens, encore récemment, sans qu’aucun (à l’exception d’Alain Gérard) ne se soit posé la question quant à leur source.
  5. Yannick Guillou, L’état de la Vendée fin 1800 : le rapport officiel de Fourcroy, Revue du Souvenir Vendéen n°274 (printemps 2016), pp. 3-11.
  6. A.D. 49, 1 L 1270.
  7. Catalogue d’une collection de livres, brochures et journaux relatifs à la Révolution française (1788-1800), 1859, p. 181.