Parmi les centaines de noms de disparus de 1793 consignés par l’abbé Boinaud dans les registres clandestins de Saint-Pierre de Cholet, figurent ceux d’Antoine Adam, meunier de cette commune, et de son épouse Mathurine Peredy. Disparus pendant la campagne d'outre-Loire certes, mais en poussant la recherche, on peut savoir ce qu’ils sont devenus.

Ceux qui ont passe la LoireLes noms d'Antoine Adam et Mathurine Peredy dans le registre de ceux qui ont passé la Loire et dont on n'a su aucune nouvelle depuis (A.D. 49)
   

Les registres de l’abbé Boinaud (1) constituent une source essentielle pour l’histoire de Cholet pendant les Guerres de Vendée (2). Tenus vaille que vaille depuis mars 1793 – quand l’insurrection vendéenne permit à ce curé insermenté de sortir de la clandestinité – jusqu’à septembre 1797 – date du coup d’État jacobin qui l’y renvoya –, ils s’articulent autour de plusieurs thèmes :

  • Les baptêmes et sépultures d’avril à juillet 1793 ;
  • Le registre contenant les noms de ceux qui sont morts de leur mort naturelle « depuis l’évacuation de Chollet par les catholiques le 16 8bre (octobre) 1793… jusqu’au 24 juillet 1794 », sur les trois paroisses choletaises (Saint-Pierre, Notre-Dame et Saint-Melaine), soit plus de 200 personnes décédées ;
  • Le registre contenant les noms de ceux qui sont allés aux différents combats et qu’on n’a plus vus après les déroutes, de mai à octobre 1793 ;
  • Le registre contenant les noms de ceux qui ont passé la Loire et dont on n’a su aucune nouvelle depuis, soit plus de 700 personnes ;
  • Le registre contenant les noms de ceux que les républicains ont conduits à Nantes lors de leur évacuation de Cholet le 5 mars 1794, ou qu’ils avaient auparavant transportés en d’autres villes, et qui étaient réputés et reconnus pour catholiques ;
  • Le registre contenant les noms de ceux qui ont été massacrés par les républicains en différents endroits suivant le témoignage public, soit 198 noms ; et de ceux qui ont été fusillés publiquement pendant le séjour des républicains à Cholet, soit 21 noms ;
  • Le fil du registre des baptêmes, mariages et sépultures reprend normalement à partir d’avril 1795, époque dite de la pacification, jusqu'à septembre 1797.
      

Saint-Pierre de CholetDétail du martyrologe de Saint-Pierre de Cholet, réalisé en 1936 par le Souvenir Vendéen d'après les registres de l'abbé Boinaud
  

Antoine Adam et Mathurine Peredy, disparus outre-Loire

Dans le registre le plus volumineux, celui rassemblant les noms des Choletais qui ont disparu lors de la Virée de Galerne (du 18 octobre au 23 décembre 1793), apparaissent les dénommés « Anthoine Adam, fariner, âgé de trente ans, et Mathurine Perêdÿ son épouse, âge de vingt quatre ans, de n.d. (Notre-Dame) » (3). On peut même lire par ailleurs que cette dernière aurait été fusillée à Laval le 14 janvier 1794 (4).

Les origines d’Antoine Adam restent obscures ; son acte de baptême n’a pas été consigné dans les registres paroissiaux de Cholet. Mathurine Peredy en revanche, est bien née dans cette ville, le 14 avril 1771, de l’union de Pierre Peredy et Marie Bouet, et fut baptisée le lendemain à l’église Notre-Dame. Faute d’avoir pu mettre la main sur leur acte de mariage, qui eut lieu probablement à Cholet, j’en déduis, au vu de l’âge de Mathurine, qu’il date de 1791 ou 1792, les registres paroissiaux étant perdus pour ces années-là.
  

94 L 24Extrait de l'acte de notoriété attestant la mort au Mans d'Antoine Adam, avec la signature de sa femme Mathurine Peredy (A.D. 49, 94 L 24)
  

Antoine est bien mort au Mans… mais pas Mathurine

On en serait resté là sur leur sort tragique, si un acte de notoriété établi par le juge de paix de Cholet, Pierre-René-Jean-Baptiste Esnault, le 26 thermidor an V (13 août 1797), n’avait pas fait réapparaître Mathurine.

Ce jour-là comparurent cinq Choletais rescapés de la campagne de l’armée vendéenne outre-Loire : Jacques Fillon, marchand fabricant (5) ; Nicolas Picherit, maçon (6), René Barbault, Victoire Bremont, Rose Rochais (7), demeurant à Cholet.

Tous affirmèrent « que le C(itoy)en Antoine Adam, meunier habitant de cette commune (Cholet) avant l’insurrection de la Vendée, a passé la Loire avec les insurgés, qu’il a parcouru avec eux les paÿs par où ils ont passé, qu’arrivé au Mans, et au moment où ces derniers furent en pleine déroute, ils virent le d(it) Adam tellement épuisé de fatigue qu’il y a lieu de croire qu’il aura péri quelques instants après son arrivée dans cette commune ».

Nicolas Picherit, Victoire Bremont et Rose Rochais ajoutèrent que « le jour même où ils le quittèrent, on lui avoit appliqué les sangsües, qu’on eut pas le temps de les lui ôter, qu’il perdoit tout son sang, et le laissèrent dans un état d’agonie qui annonçoit sa fin prochaine ».

Cet acte de notoriété fut établi, comme il est écrit par le juge de paix au bas de la page, « pour servir et valoir ce que de raison à Mathurine Peredy, sa femme, qui les a requis de se présenter devant nous ». La veuve du meunier avait donc bien survécu à l’expédition d’outre-Loire, et avait pu rentrer dans sa ville natale. Elle dut probablement demander cet acte confirmant le décès de son époux en vue d’un remariage, mais celui-ci n’eut pas lieu à Cholet. Alors peut-être outre-Loire, si elle avait refait sa vie là-bas ?
  


Notes :

  1. Jean-Pierre Boinaud (le nom est aussi orthographié Boisnaud ou Boisneau) serait né à Châteauponsac (Haute-Vienne) le 28 août 1741, d’après l’indication de son acte de décès (mais son acte de baptême n’apparaît pas à cette date). Il était en charge de la paroisse Saint-Pierre de Cholet depuis 1778, lorsqu’il refusa de prêter le serment constitutionnel en 1791, et qu’il perdit sa charge. Ses deux vicaires, MM. Guitton et Boisdron, suivirent son exemple. Le premier restera caché dans la région, le second périra outre-Loire, lors du désastre du Mans (13 décembre 1793). L'abbé Boinaud retrouva son église en mars 1793, lorsque les Vendéens la rendirent au culte. Après la bataille de Cholet (17 octobre 1793), le curé de Saint-Pierre se réfugia dans la clandestinité. Il y restera durant toute la guerre, passant de métairie en métairie. Il retrouva un temps sa charge, après la paix de 1795. Mais le coup d'État de 1797 relança les persécutions contre les prêtres. Condamné à la déportation en février 1798, il réussit à échapper aux poursuites. Le Concordat de 1801 lui rendit enfin son église. Il demeura au service de ses ouailles jusqu'à sa mort le 22 août 1806 dans sa maison située près de la Porte-Baron à Cholet.
  2. Pour en savoir plus, je renvoie à l’étude que Christian Chambiron a consacré à ces registres dans son livre : Cholet et ses habitants « au temps de la Grand’Guerre », 1793-1795, paru en 2002. D’autre part, ces registres clandestins ont été numérisés et mis en ligne sur le site des Archives du Maine-et-Loire.
  3. A.D. 49, Registre clandestin de Saint-Pierre de Cholet, BMS 1793-1797, vue 153/377.
  4. Christian Chambiron, op. cit., p. 181.
  5. Un homonyme de Jacques Fillon, sabotier originaire du Boupère, dont j’avais parlé en 2016, puisqu’il était l’ancêtre de François Fillon, candidat à la présidentielle de 2017.
  6. Nicolas Picherit, maçon à Cholet, était né à Yzernay le 4 juin 1760, de Louis Pichery, bordier, et Marie Renou. Son dossier de pension nous apprend qu’il prit les armes le 14 mars 1793 à la première bataille de Cholet, et qu’il les a portées jusqu’à la pacification ; qu’il a participé aux affaires de Coron, Vihiers, Chemillé, Doué, Saumur, Torfou, Châtillon, Cholet, Laval, Mayenne, Fougères, Granville, Dol, Pontorson, Angers, Le Mans, et qu’il fut blessé à l’affaire du Bois de Saint-Louis (A.D. 49, 1 M 9/288).
  7. Jeanne-Rose Rochais, née le 18 avril 1776, paroisse Notre-Dame de Cholet, elle était la fille de Joseph Rochais et Marie-Rose-Anne Gaufreteau, qui habitaient dans la rue du Petit-Conseil. La famille passa la Loire à la suite de l’armée vendéenne le 18 octobre 1793, et les parents périrent au Mans : le père, soldat vendéen, a été fusillé, et la mère massacrée dans la rue de la Paille, le 13 décembre. Tous leurs biens à Cholet furent perdus par la guerre. Jeanne-Rose épousa Jean-Baptiste Rousseau à Angers (2e arrondissement) le 19 juillet 1813 ; son acte de mariage indique à tort que ses parents sont décédés à Cholet les 15 et 10 décembre 1793 (A.D. 49, 1 M 9/319).