En préparant l’année dernière une causerie sur La Salle-et-Chapelle-Aubry pendant les Guerres de Vendée, j’avais eu la surprise de croiser, parmi les vétérans de cette paroisse des Mauges, deux personnages nés en 1779, engagés malgré leur jeune âge dans l’insurrection de mars 1793.
La Salle et La Chapelle-Aubry sur la carte de Cassini (XVIIIe siècle). En médaillon, combattant vendéen dans un vitrail de l'église de La Chapelle-Aubry.
Les historiens de la Vendée n’ont eu guère d’attention pour La Salle-et-Chapelle-Aubry. Cette paroisse formée de deux villages leur semblait aussi pauvre en intérêt que ses landes et ses bruyères, terreau de misère pour ses habitants. Ils se trompaient : on trouve ici de quoi relater toute l’histoire des Guerres de Vendée à travers les destins de ceux qui ont participé au soulèvement de 1793 (1), de ceux qui ont péri dans les combats, la campagne d’outre-Loire ou les massacres de 1794.
Petite chronique de La Salle-et-Chapelle-Aubry (1793-1832)
On peut citer le curé Deborde, déporté en Espagne en 1792 pour avoir refusé de prêter le serment constitutionnel, laissant l’exercice du culte catholique aux nombreux prêtres cachés dans la paroisse sous la Terreur ; la famille Boucault de Méliant, du château de Barot (prononcez « Barotte »), qui reçut d’Elbée et l’évêque d’Agra ; le canonnier Jean Morat, qui n’avait que 17 ans quand il rejoignit l’armée de Bonchamps ; Gabriel-André Juret qui servit dans celle de d’Elbée ; Jacques Boumier, René Juret, Jacques Coiffard et tous les autres qui firent la Virée de Galerne ou « tournée de Bretagne » comme on le lit dans un des dossiers de pension ; certains n’en revinrent jamais, comme ces huit combattants capturés à Savenay et condamnés à mort à Nantes (2).
Extrait du dossier de pension de René Vincent, ancien capitaine de La Salle-et-Chapelle-Aubry (A.D. 49, 1 M 9/349)
La Salle-et-Chapelle-Aubry reste toutefois connue pour le massacre qui eut lieu sur son sol le 31 janvier 1794, à la lisière du bois de Barot, un endroit où les gens du voisinage venaient se cacher quand la fumée des incendies signalait l’arrivée prochaine des Bleus. L’abbé André-Jean Clambart, curé de Saint-Martin de Beaupréau, y avait son refuge, lui qui ne voulait pas finir comme son vicaire, l’abbé Michel-Pierre Poirier, qui fut capturé par les soldats républicains à la fin de l’année 1793, traîné à Saint-Florent-le-Vieil où ses bourreaux le martyrisèrent.
Voyant des fumées noires s’élever du côté de la Fribaudière et de la Junière, l’abbé Clambart voulut prévenir les gens de la Ragonnière, mais l’alarme ayant déjà été donnée, ceux-ci s’étaient dirigés dans le « champ du Cormier du Milieu », couvert de hauts genêts. Il n’eut pas le temps de les rejoindre car les cris et les chants des Bleus approchaient dangereusement. Bientôt une fumée monta au-dessus de la ferme.
Le prêtre perçut alors les aboiements d’un chien qui fuyait l’incendie. D’instinct l’animal fila par le chemin que la colonne de soldats remontait, et se mussa dans une haie pour rejoindre ses maîtres. Cette marque de fidélité trahit les malheureux. Les Bleus pénétrèrent dans la genétaie et massacrèrent ceux qu’ils y surprirent.
De loin l’abbé Clambart assista à la scène et entendit les cris des victimes. Il fit un signe de croix dans leur direction, restant caché jusqu’à ce qu’il n’y eût plus de bruit. Le soir, il chercha un nouvel asile, une logette de bûcheron, lorsqu’il entendit des chuchotements. C’était des rescapés du massacre, la plupart de La Chapelle-Aubry, de la Noue et du Butray.
Ils lui racontèrent ce dont ils avaient été témoins : au moulin à vent, ils avaient vu le cadavre de Jean Bondu ; à la Roche-Vételay (entre La Salle et La Chapelle) celui de Jean Pineau ; au Crottier de La Salle-Aubry, ceux de Louis Petiteau, de sa femme Jeanne et de leur fils François (16 ans). Certains ont vu les Bleus emmener des prisonniers, notamment Mathurin Esseul, de la Bodonnière (3).
En mémoire des victimes de ce carnage, le Souvenir Vendéen a érigé une croix à l’orée du bois de Barot, la croix de l’Egrasseau ou de l’Aigrasseau, sur laquelle une plaque a été bénie le 29 septembre 1985 (4). Au total, plus de soixante noms de victimes de la Révolution ont été identifiés à La Salle-et-Chapelle-Aubry.
Les lieux cités dans le massacre du 31 janvier 1794
(le point rouge localise la croix d'Aigresseau)
On pourrait poursuivre l’évocation de l’histoire de cette paroisse avec l’épisode au cours duquel le général Marigny, qui devait unir ses forces à celles de Charette, Stofflet et Sapinaud pour affronter les Bleus à Chaudron le 24 avril 1794, se serait arrêté à La Chapelle-Aubry pour s’y livrer « à de copieuses libations » (5). Cette beuverie lui fit manquer la bataille et causera sa perte. Accusé d’avoir manqué à son serment, Marigny sera exécuté le 10 juillet suivant.
Le château de Barot aurait aussi beaucoup à raconter, sur le séjour de Stofflet dans ses murs, le 10 avril 1795, et son entrevue avec des envoyés des Chouans de Bretagne ; ou celui de Lhuillier, commandant la division de Beaupréau, qui y menait grand train en qui en fut expulsé.
L’histoire de La Salle-et-Chapelle-Aubry peut ainsi nous emmener jusqu’à la guerre de 1815, à travers le destin de Zacharie du Réau de La Gaignonnière, tué à la bataille de Rocheservière ; et celle de 1832, quand l’un des meneurs du soulèvement dans les Mauges, le marquis de Civrac, se réfugia chez l’abbé Griffon, curé de la paroisse.
Joseph Guibert, le petit tambour
Revenons-en à nos deux anciens combattants qui n’étaient encore que des enfants quand l’insurrection gagna La Salle-et-Chapelle-Aubry à la mi-mars 1793.
Le premier, Joseph Guibert, avait à peine 14 ans. Fils de Pierre Guibert, meunier à Frémerit, et de Perrine Rethoré, il était né à La Salle-et-Chapelle-Aubry le 11 avril 1779. Il fit valoir ses états de service dans une lettre datée du 23 mai 1825 (6), afin d’obtenir une pension pour son engagement dès le premier rassemblement de 1793 dans les « armées royales vendéennes d’Anjou ».
« Je servais comme simple tambour d’une compagnie vendéenne de la Chapelle Aubry (…) J’ai constamment suivi mon drapeau (…) J’ai passé la Loire avec l’armée vendéenne et ai toujours été prêt à prendre ma caisse en toute réquisition qui m’ont été faite, pour marcher contre les ennemis de la légitimité ».
L’ancien tambour ajoute qu’il a « perdu quatre de (ses) frères dans la Gallerne (…) dont 3 à l’affaire de Savenay et l’autre à celle de Château Gontier ». La fratrie était nombreuse car Pierre Guibert s’était marié deux fois : la première en 1747 avec Françoise Viau, dont étaient issus deux fils, notamment Jacques, né en 1765 et cité parmi les condamnés à mort à Nantes en 1794 (voir note 2) ; la seconde en 1768 avec Perrine Rethoré, dont étaient issus trois fils.
Joseph Guibert déclara également : « Pendant que j’étais dans les rangs vendéens, les troupes républicaines ont brulé tous les mobiliers appartenant à ma mère et à moi, car mon père était décédé à cette époque, et ils ont de plus enlevé quatre vaches et deux chevaux que nous avions ».
Il conclut : « En 1815 j’ai marché sous les drapeaux vendéens, en la même qualité, pour une compagnie vendéenne de la commune de Beaupreau, que j’ai continué jusqu’à la Restauration ». Trois anciens officiers supérieurs, Barbier du Doré, Tristan Martin et Martin-Baudinière, confirmèrent que Joseph Guibert « a constamment suivi son drapeau quoique fort jeune, et a passé la Loire et a toujours été un courageux tambour » (illustration ci-dessous).
Extrait du dossier de pension de Joseph Guibert (A.D. 49, 1 M 9/201)
François Gourdon, 13 ans en 1793
L’autre vétéran de La Salle-et-Chapelle-Aubry était en fait originaire de la paroisse voisine de Saint-Martin de Beaupréau. Né le 8 novembre 1779, il était le fils de Pierre Gourdon, métayer à la Vieille-Borde, et de Perrine Pineau. Le couple eut deux autres fils, Jacques (1777) et Pierre (1782), qui se retrouvèrent orphelins en 1785 (7) et confiés aux bons soins d’un oncle.
François Gourdon vivait comme métayer à La Chapelle-Aubry en 1825, quand sa demande de pension (8) fut rédigée : « Étant dans un âge trop tendre pour prendre les armes dans les premiers commencements des Guerres de la Vendée, il ne montra pas moins de dévouement à la Cause des Bourbons. Marchant à la suite de l’armée, il ne la quitta point, fit avec elle le passage d’outre Loire, et fut pris différentes fois par les républicains du pays, qui ne lui laissèrent la vie que par rapport à son jeune âge. De retour dans son pays, il prit les armes quelque temps après, et se battit à différents endroits ». Il les reprit en 1815.
Déjà orphelin de père et de mère, François Gourdon perdit dans cette guerre ses deux frères et son oncle qui était son curateur. Il se maria à Beaupréau, en 1811, avec Jeanne Durand, une jeune femme originaire du Fief-Sauvin.
Leur exemple témoigne que cette guerre, comme l’a si bien écrit Jean Lagniau, fut avant tout une guerre de jeunes (9).
Notes :
- Ils étaient nombreux puisque La Salle-et-Chapelle-Aubry fournit au moins deux compagnies et plusieurs capitaines.
- René Bondu, jugé le 25 décembre 1793 ; Charles Boré, 18 ans, jugé le 13 janvier 1794 ; Jean Boussiot, 42 ans, jugé le 1er janvier 1794 ; Mathurin David, 30 ans, jugé le 13 janvier 1794 ; Jacques Guibert, 24 ans, le 23 décembre 1793 ; René Macé, 22 ans, jugé le 5 janvier 1794 ; Jean Pineau et François Robineau, jugé le 26 décembre 1793.
- Né en 1763 à La Salle-et-Chapelle-Aubry, il était capitaine d’une compagnie de cette paroisse. Il reçut trois blessures à la bataille de Cholet (une balle lui a traversé la cuisse droite, une autre à l’épaule gauche, et deux coups de sabre). Il survécut néanmoins, et fit une demande de pension en 1825.
- Revue du Souvenir Vendéen n°153 (décembre 1985), pp. 17-21.
- Félix Deniau, Histoire de la Vendée, t. IV, p. 413.
- A.D. 49, 1 M 9/201.
- Ses parents sont morts à six jours d'intervalle : Pierre Gourdon le 20 avril 1785, sa femme Perrine Pineau le 26.
- A.D. 49, 1 M 9/191.
- Jean Lagniau, La guerre de Vendée, guerre de jeunes, Revue du Souvenir Vendéen n°282 (printemps 2018), pp. 3-14.