L’échec du plan du général Turreau, dont les colonnes mobiles ont réveillé une nouvelle guerre au début de 1794, a contraint les forces républicaines à se replier dans des camps installés tout autour du territoire insurgé. Au sud de Nantes, celui de la Roullière ne tiendra que quatre mois.
Le camp de la Roullière localisé au sud de Nantes sur la carte de Cassini (en médaillon, portrait de Crouzat par R. Livache, fresque de l'église de Chanzeaux)
Le nom de la Roullière (1) reste attaché à la spectaculaire série de coups de main que Charette fit subir aux Bleus en s’emparant de plusieurs de leurs retranchements au cours du mois de septembre 1794 (2). L’histoire de ce camp, qui fut la principale base de pillage des campagnes au sud de Nantes, commence pourtant quatre mois auparavant.
Où était situé le camp de la Roullière ?
Ce camp avait été établi sur la commune des Sorinières, au sud de Nantes, mais il n’en est resté aucune trace, pas même sur le cadastre de 1827. On devine toutefois son emplacement d’après le rapport du général Crouzat (3), qui fut chargé de son commandement, en date du 9 mai 1794 :
« D’après l’ordre du général Robert (4), j’ai levé hier le camp de Ragon (5), et suis venu m’établir dans l’emplacement et sur la direction indiquée par le général en chef. Conformément à ses vues, la droite appuie à la route des Sables, et la gauche à celle de Montaigu. Dans cette position, mon front de bandière occupe un espace d’environ cinq cents toises » (6).
Le camp de la Roullière ne se trouvait donc pas au château du même nom, mais plutôt entre les deux grandes routes qui se rejoignent aux Sorinières : l’une menant à Challans et aux Sables (vue de Nantes, la droite) ; l’autre à Montaigu et La Rochelle (idem, la gauche). L’espace de 500 toises, soit à peine un kilomètre entre les deux routes, donne à penser qu’il s’étendait à proximité des moulins des Landes, une position élevée qui offrait un point de vue dégagé, surtout vers le sud et l’ouest. La carte de Cassini montre clairement à cet endroit un espace couvert de landes.
Quelles opérations ont été menées depuis ce camp ?
Les rapports de Crouzat décrivent en détails les sorties de mai à juillet 1794 (7). Elles s’inscrivent dans la droite ligne de ce que pratiquaient les Colonnes infernales : il s’agissait d’abord de razzier les grains et les bestiaux, de détruire les fours et les moulins, puis d’incendier les villages alentour, sans oublier d’y faire des prisonniers parmi les habitants. Crouzat cite ainsi Le Bignon (18 mai), Geneston (31 mai), Aigrefeuille, Maisdon, Saint-Fiacre, Château-Thébaud (avant le 13 juin), Monnières (19 juin), etc.
Ses détachements n’y rencontrèrent cependant que peu de « brigands », qu’ils dispersèrent à deux reprises dans la forêt de la Freudière, près de La Chevrollière (31 mai et 3 juillet), à Château-Thébaud (16 mai), ou encore près de La Planche (2 juin) ; en revanche ils les signalaient en nombre du côté de Vertou, au-delà de la Sèvre nantaise.
Opérations menées par les Bleus du camp de la Roullière
d'après les rapports de Crouzat
Ce camp a-t-il permis de soumettre le sud du pays nantais ?
À la fin du mois de juin 1794, la diffusion de proclamations appelant les rebelles à déposer les armes et à rentrer dans leurs foyers rencontra un écho favorable. Le 23, une douzaine d’entre eux se présenta sur la butte du Chêne, sur la rive de la Sèvre qui fait face à Vertou ; deux jours après ils seront environ deux cents (8).
Le 29, Crouzat tenta d’en amadouer davantage en publiant sa propre proclamation « aux rebelles de Vertou », dont le ton lénifiant ne convainquit pas grand monde : « Venez vous joindre à nous et goûter les douceurs de notre gouvernement… Mettez bas les armes… Vous serez reçus avec fraternité… » (9) Mais la crainte du sort qui leur serait réservé dissuada les rebelles de se rendre.
Dès le 8 juillet, Crouzat retrouva un ton plus familier : « Je ne compte plus sur la rentrée des brigands par les moyens de la douceur » (10). Les sorties reprirent dans tout le sud du département, jusqu’à Legé à la mi-juillet pour soutenir une expédition dévastatrice dirigée par le général Huché, puis à travers le pays de Vertou et de Basse-Goulaine le 25.
Qu'est-ce qui causa la perte du camp de la Roullière ?
Le général Vimeux, successeur de Turreau depuis le 13 mai, se rendait bien compte que ces opérations ne contribuaient qu’à prolonger indéfiniment la guerre, au moment où la chute de Robespierre, le 27 juillet 1794, bouleversait la donne politique. Le même jour, Crouzat remit le commandement du camp de la Roullière au général Jacob (11), qui n’était pourtant pas plus tendre en matière de pillage ; mais son manque d’effectifs ne lui permit pas de mener des sorties aussi importantes que son prédécesseur.
Début septembre, les Bleus eurent la bonne idée de relancer leurs offres de paix par une proclamation appelant les rebelles à livrer leurs armes… et leurs chefs ! L’effet fut immédiat : une division de Charette, celle de Montaigu commandée par Pierre Rezeau (12), entreprit d’attaquer le camp de la Roullière le 3 septembre, mais fut repoussée avant de l’atteindre.
La seconde offensive fut menée par Charette en personne. Quittant son quartier général de Belleville le 7 septembre, ce dernier bivouaqua dans la lande de Bouaine avec quelques centaines d’hommes, principalement des divisions de Retz et de Vieillevigne. Il passa à l’attaque le lendemain matin et emporta le camp dans le désordre des combats et des pillages. Trois cents Bleus y laissèrent la vie. Jacob, quant à lui, parvint à s’enfuir, mais il sera suspendu et mis en prison le 11 octobre (13).
Entièrement pillé et brûlé par les Vendéens, le camp de la Roullière ne s’en relèvera pas.
Carte des camps républicains autour du territoire insurgé (août 1794)
Notes :
- Le lieu-dit s’écrit aujourd’hui « Roulière », mais la correspondance de l’époque le note « Roullière ».
- La Roullière le 8 septembre, Fréligné le 15, Moutiers-les-Mauxfaits le 23.
- Joseph Crouzat (Sérignan 1735 – Metz 1825), vieux militaire qui avait fait ses armes sous l’Ancien Régime (il avait 59 ans en 1794), promu général de brigade à l’armée du Nord, passé à l’armée de l’Ouest à la fin de 1793. Il commanda en second la 5e colonne de l’armée de Turreau, à la tête de laquelle il commit d’épouvantables massacres dans les Mauges : le 23 janvier à Gonnord, le 25 à Chanzeaux et Melay, etc.
- Joseph-Louis-Armand Robert (1767-1796), général de division (depuis novembre 1793) et chef d’état-major de l’armée de l’Ouest.
- Camp situé entre Rezé et Les Sorinières (voir la carte au début de l'article).
- J.-J. Savary, Guerres des Vendéens et des Chouans contre la République française, t. III, p. 481.
- On les trouve dans Savary, op. cit., mais aussi dans le Tableau des opérations de l’armée de l’Ouest consultable sur le site des Archives de la Vendée (SHD B 5/10-1).
- J.-J. Savary, op. cit., t. III, pp. 572-573.
- Ibidem, pp. 578-579.
- J.-J. Savary, op. cit., t. IV, p. 13.
- Maximilien-Henri-Nicolas Jacob (1765-1796), général de brigade depuis septembre 1793.
- Pierre Gréau, Pierre Rezeau (1764-1813), capitaine de paroisse de La Copechagnière, Revue du Souvenir Vendéen n°243 (juin 2008), pp. 18-24.
- Simone Loidreau, L’attaque surprise par Charette du camp de La Roullière (8 septembre 1794), Revue du Souvenir Vendéen n°215 (juin 2001), pp. 4-14. Dans cet article, Simone Loidreau rapporte (p. 14) que parmi les papiers saisis par les Vendéens au camp de la Roullière, il s'en trouvait un qui révélait les instructions de la Convention aux généraux commandants en Vendée : « Vous cherchez par tous les moyens possibles à désarmer les Brigands. Vous êtes autorisés à parler de pacification ; c'est le vœu du Comité. Les récoltes sont faites ; il faut donc endormir l'ennemi et tâcher de l'éloigner de ses chefs. Lorsque, par une attitude pacifique dans vos camps retranchés, vous aurez calmé la fureur des Brigands, vous pourrez tomber sur les greniers remplis de grains et affamer le pays ; c'est aujourd'hui le seul moyen qui reste à la Patrie pour vaincre la Vendée ». Or, cette citation trouvant son origine dans le livre de J. Crétineau-Joly (Histoire de la Vendée militaire, t. II, p. 182), on est en droit d'émettre quelques doutes sur son authenticité, compte tenu du nombre de citations apocryphes apparues sous la plume de cet auteur.