Deux jours après la capture de Charette dans le bois de la Chabotterie (23 mars 1796) comparut à Commequiers l’un de ses derniers combattants, un jeune homme originaire de Cornac, dans le Lot. Son interrogatoire fournit aux républicains un état de l’armée rebelles dans cette partie de la Vendée.

SHD B 5 36-84 2Extrait de l'interrogatoire de Pierre Taule (A.D. 85, SHD B 5/36-84)
  

Le 5 germinal an IV (25 mars 1796) comparut devant l’adjudant général Genet, commandant de l’arrondissement de Saint-Gilles (1) « un homme qui disoit avoir laissé Charette Général des Brigands depuis peu de jours et qui a déclaré n’être pas du Départ(ement) de la Vendée ». Il venait d’être arrêté alors qu’il travaillait dans un champ de la métairie de l’Étang, commune de Froidfond, puis conduit au corps de garde du cantonnement de Commequiers. C’est là qu’il fut interrogé.

Cet homme se nommait Pierre Taule, se disait âgé de 23 ans, et natif de Cornac dans le Lot. Sa naissance figure dans le registre de cette paroisse du Quercy à la date du 15 août 1773 ; il était le fils d’Antoine Taule et de Marguerite Soulhol.

On lui demanda tout d’abord comment il était arrivé dans la Vendée. Il répondit qu’ « étant de la première réquisition, il avoit été envoyé avec plusieurs autres jeunes gens de son district pour être incorporés dans quelques bataillons de l’armée de l’Ouest ; qu’en se rendant d’Angers à Nantes, il étoit allé avec deux de ses camarades dans une métayrie voisine de la grande route ; que là ils furent pris par les Chouans qui, après les avoir tenu renfermés pendant huit jours, leur proposèrent de servir avec eux, ce à quoi ils consentirent ».
 

Parcours de Pierre TauleLe parcours de Pierre Taule en Vendée
  

Pierre Taule passe des Chouans à la Vendée

Était-il resté longtemps avec les Chouans ? Huit mois, dont quatre pendant lesquels il fut attaché « à un émigré débarqué sur les côtes de Bretagne qui se nommoit marquis de Lajare (2), lequel étoit général en second d’une division royaliste et avant son émigration habitoit la commune de Poitiers ». Il ajoute qu’il avait environ 80 ans, dont 45 ans de service, et qu’il portait la croix de Saint-Louis.

On lui reposa la première question : pourquoi et comment est-il passé dans la Vendée ? « Il y a environ 9 mois, Lajare voulant se rapprocher de Poitiers dans l’espérance d’y pouvoir aller secrètement, lui proposa de venir dans la Vendée ; qu’y ayant consenti, ils passèrent la Loire entre Nantes et Ancenis (…) Ils étoient allés au quartier général de Stofflet ». Ils y restèrent deux jours.

« Sortant de chez Stofflet, ils allèrent chez Sapineau (Sapinaud), général en chef de l’armée dite du Centre à son quartier général à Beaurepaire. Ils y couchèrent et le lendemain ils allèrent rejoindre Charette à Belleville ». Ce dernier reçut bien Lajare et lui confia aussitôt le commandement de l’artillerie parce qu’il avait jadis servi dans cette arme.

Le commandant républicain le questionna ensuite sur l’artillerie vendéenne. Il y avait deux compagnies, mais Pierre Taule affirma qu’il n’avait jamais vu les canons que Charette disait avoir à Belleville.

Et qu’est devenu Lajare ? Il était caché à Aizenay, cinq ou six jours auparavant ; mais il a quitté Pierre Taule il y a deux mois. Ce dernier dit cependant que lui-même était resté avec Charette et qu’ « il avoit suivi ce général royaliste et l’avoit laissé il y a environ deux décades (3) parce qu’il avoit mal à un pied ».

La situation de l’armée de Charette en 1796

Questionné sur les effectifs de Charette, Pierre Taule déclara qu’il ne lui restait que vingt hommes, mais que le général vendéen espérait toujours former un nouveau rassemblement. « Grands nombres d’anciens commandants de paroisse, dont plusieurs avoient paru se soumettre aux lois de la République, lui aidoient de tous leurs pouvoirs encore à mobiliser de nouveaux rassemblements, mais il éprouvoit beaucoup de difficultés de la part de grands nombres d’habitans de la campagne, qui ne vouloient plus s’attrouper. »

On l’interroge alors sur le soutien anglais aux rebelles et sur leurs ressources en poudre. « Charette paraissoit conter (sic) beaucoup sur le débarquement qu’il regardoit comme certain ». Pierre Taule ajouta « qu’il a appris que Charette avoit envoyé il y a 5 ou 6 jours deux émigrés dans le marais de Soulan (Soullans) lesquels devoient se porter sur la côte et là trouver une embarcation par le moyen de laquelle il devoit communiquer avec les Anglais sur la côte de St Jean de Monts ». D’après lui, le comte d’Artois se serait même trouvé sur l’un de ces bâtiments (4).

Quant aux ressources en poudre, il était certain que Savin (5) lui avait envoyé, il y a environ deux décades, deux barils de poudre contenant environ cent livres qui provenaient d’un débarquement sur la plage du Bec, à Saint-Jean-de-Monts, en 1795 (6). Pierre Taule précisa qu’ils reçurent cette poudre avant leur défaite à Froidfond (7). Ce jour-là, Lajare vint voir Charette et distribua de la poudre avant de retourner à Aizenay.
  

DEBARQUEMENT D'ARMESDébarquement d'armes sur les côtes de Vendée en 1795
  

Le général vendéen avait-il beaucoup d’émigrés dans ses armées ? Pierre Taule répondit que oui, mais qu’un grand nombre a été tué lors de la dernière attaque et les autres étaient disséminés dans les divers cantons de la Vendée. Les paysans les recevaient chez eux, parce que dans le cas contraire, ces derniers « auroient porté plainte à Charette ; que celui-ci en auroient punis ». Cependant, il n’en restait selon lui que 50. Lui-même ne connaissait que Lajare et un Vaugiraud, âgé d’environ 22 ans, natif des Sables-d’Olonne, officier dans l’armée royaliste. Quant aux déserteurs républicains, il n’en connaît que 7 à 8, les autres étant passés chez Stofflet ou chez les Chouans.

Les derniers renseignements fournis par Pierre Taule concernaient d’une part le désarmement des paysans qui « n’ont rendu qu’une très petite partie (de leurs fusils) et les plus mauvais » ; d’autre part l’état de la cavalerie de Charette : presque tous les chevaux ont « été pris par les républicains, tués dans les combats ou morts de fatigues », mais il savait où « il y en avoit trois de cachés » à Froidfond.

On donna enfin lecture de cet interrogatoire (8) à Pierre Taule qui confirma ses réponses et compléta ses déclarations en indiquant que « des Chouans avoient souvent des entrevües avec Charette, particulièrement un nommé de Beaumont, chef, et qu’ils paraissoient tous reconnoitre Charette pour le G(énér)al en chef des armées royales et catholiques ». Il précisa que « les Chouans passoient entre Ancenis et Nantes dans un bateau conduit par un paysan et toujours la nuit ».

Qu’advint-il de Pierre Taule après cela ? Fut-il exécuté comme déserteur ? Il semble que non, car un Pierre Taule est cité comme témoin au mariage de Pierre Durand et Magdelaine Balaissac, le 7 messidor an XIII (26 juin 1805) à Cornac ; il est noté qu’il avait 33 ans, ce qui correspond à l’âge de l’ancien soldat de Charette.

SHD B 5 36-84 1Signature de Genet, commandant de la place de Saint-Gilles, au bas de l'interrogatoire de Pierre Taule (A.D. 85, SHD B 5/36-84)
  


Notes :

  1. François-Xavier Genet (Luneville 1759 – Dresde 1813) arriva en Vendée, aux Sables, au mois de mai 793, avec le grade d’adjudant général, et fit campagne sur la côte jusqu’en 1799. L'excellent article de Jean-Pierre Chémereau, François Genet (1759-1813, commandant de la place & de l'arrondissement militaire de Port-Fidèle (Saint-Gilles), an III – an VI, est consultable ici.
  2. Originaire de Saint-Pierre-de-Maillé (Vienne), Antoine de La Jaille (et non pas « Lajare »), ancien major au régiment de Metz-Artillerie, fit partie des émigrés qui avaient débarqué à Quiberon en juin 1795 et s’étaient rendus en Vendée. En dépit de son âge, il prit une part active à plusieurs combats, comme Fréligné le 15 septembre 1794 et Saint-Cyr-en-Talmondais dix jours après. Il fut capturé à L’Aiguillon-sur-Vie le 25 avril 1796, interrogé par le commandant de Saint-Gilles (Genet), jugé et condamné à mort à Nantes (Ch.-L. Chassin, Les pacifications de l’Ouest, t. II, pp. 481-482). La généalogie de la famille de La Jaille reste à établir pour y voir plus clair parmi ses membres ayant participé aux Guerres de l’Ouest. Tout le monde s’y perd entre le marquis et le chevalier de La Jaille…
  3. Semaine de dix jours dans le calendrier républicain.
  4. Le débarquement du comte d'Artois, frère cadet de Louis XVI, sur l'île d'Yeu le 2 octobre 1795 souleva l'enthousiasme des Vendéens, autant qu'elle brisa leurs espoirs lorsque le prince rembarqua le 18 novembre.
  5. Jean-René Savin (Saint-Étienne-du-Bois 1765 – Montaigu 1796), officier de l’armée de Joly (il participa au siège des Sables en mars 1793), puis chef de la division de Palluau dans celle de Charette (on le voit à ses côtés à la bataille de Torfou le 19 septembre 1793), s’opposa au traité de la Jaunaye en février 1795, mais se réconcilia avec Charette quand celui-ci reprit les armes en juin. Capturé près des Lucs le 28 avril, il fut exécuté à Montaigu quelques jours plus tard.
  6. Patrick Avrillas, Les débarquements d’armes au temps des guerres de Vendée, Revue du Souvenir Vendéen n°276 (automne 2016), pp. 3-20.
  7. À la Bironnière, près de Froidfond, le 27 février 1796 (René Bittard des Portes, Charette et la guerre de Vendée, 1902, rééd. Pays et Terroirs, 1996, p. 583).
  8. Consultable sur le site des Archives de la Vendée, dans la rubrique Archives militaires de la guerre de Vendée conservées au Service historique de la Défense, sous la cote B 5/36-84.