Les Archives de la Vendée ont ouvert un nouveau coffre au trésor rempli de près de 20.000 lettres et actes adressés à l’évêché de Luçon tout au long du XIXe siècle par les curés des paroisses vendéennes, mais aussi par des maires ou des particuliers. On y trouve les matériaux d’une affaire qui opposa La Gaubretière à Chanzeaux autour d’un legs.
Lettre du maire de La Gaubretière présentant à l'évêque le soutien du comte de La Rochejaquelein en faveur de sa commune (A.D. 85, AHD Luçon, SM 97/2)
Ce fonds issu des Archives du diocèse de Luçon, exceptionnel pour l’histoire locale, nous ouvre les portes d’un monde révolu, une époque où l’Église occupait une place prépondérante dans la vie des Vendéens, ce qui n’était pas sans poser quelques problèmes vis-à-vis de ceux qui s’en tenaient à l’écart, notamment les protestants et les « dissidents » (1). Il livre également une documentation de première main sur la reconstruction de cette Église après les ravages de la Révolution et la signature d’un Concordat qui la plaça sous la surveillance de l’État.
Il y aurait mille exemples de ce que cette correspondance peut apporter à l’histoire des communes de Vendée. En voici un qui concerne La Gaubretière.
Un legs pour la paroisse qui a montré plus de valeur
et de fidélité dans les Guerres de Vendée
Le 1er mars 1845, Mgr René-François Soyer, évêque de Luçon, était avisé d'un legs intéressant son diocèse. Un admirateur de la Vendée, M. Bertrand-Auguste de Sarrieu, venait de mourir à Montréjeau (Haute-Garonne), et son testament contenait cette disposition :
« Mon héritier demeure encore chargé de faire en la Vendée une ou deux fondations d'écoles de Frères des Écoles Chrétiennes et dans la localité qui se sera le plus distinguée par son attachement aux principes religieux et monarchiques dans le temps de la Révolution… » (2)
Mgr Soyer fixa aussitôt son choix, comme il l’écrit dès le 4 mars à M. Alexandre de Rangot, maire de La Gaubretière : « S’il vous était agréable, Monsieur, que je désignasse la commune de la Gaubretière, ce serait justice, car je ne crois pas qu’aucune paroisse de la Vendée militaire ait montré plus de valeur et de fidélité aux temps de nos orages politiques. Je vais ajouter une autre paroisse de mon diocèse qui a aussi toujours été brave et fidèle. » La maire l’en remercia dès le lendemain et lui fit savoir qu’il s’accorderait avec le curé pour mener à bien cette entreprise.
Cependant l’évêque ne retint pas une autre paroisse de son diocèse, car son second choix se porta sur Chanzeaux, en Anjou. Il le fit savoir au comte Théodore de Quatrebarbes, le maire de cette commune, qui lui exprima sa reconnaissance et celle de ses administrés dans une lettre du 11 mars, la seule de sa main dans cette correspondance, alors que le maire de La Gaubretière n’a pas été regardant sur le papier pour plaider sa cause.
Outre son « attachement aux principes religieux et monarchiques dans le temps de la Révolution », qui n’avait rien à envier à celui de La Gaubretière, Chanzeaux bénéficiait d’un atout de taille : Mgr Soyer était originaire du pays (3) et avait assuré le culte catholique dans cette paroisse de 1795 jusqu’au coup d’État de 1797, puis dans la clandestinité (4).
Signature du comte de Quatrebarbes au bas de sa lettre du 11 mars 1845
L’insuffisance du legs aiguise la rivalité
entre La Gaubretière et Chanzeaux
La mort de l’évêque de Luçon, le 5 mai 1845, fut suivie à la fin de l’année par une mauvaise nouvelle annoncée au grand vicaire du diocèse : « Une seule des deux paroisses désignées par le vénérable Mgr Soyer peut compter avec certitude sur la fondation d’une école des Frères de la doctrine chrétienne pour la fin de 1846 ou dans le courant de 1847 ».
Le legs s’avérait en effet insuffisant : « Quant au second établissement, il ne se fera peut-être jamais, sa fondation dépendait des sommes plus ou moins considérables qu’absorbera celle du premier ». Le courrier mentionne par ailleurs le livre que le comte de Quatrebarbes avait fait paraître dès 1837 pour défendre l’engagement de Chanzeaux pendant les Guerres de Vendée (5).
Il semblait pourtant évident que La Gaubretière allait l’emporter. On l’a vu, Mgr Soyer avait confié ce vœu dès le début de l’affaire au maire de la commune, qui rapporte les mots de l’évêque dans un long courrier du 29 novembre (illustration ci-dessous) : « J’ai désigné la Gaubretière d’abord parce que c’est là où doit être placée l’école s’il ne s’en fonde qu’une seule ». Mgr Soyer poursuivait en se faisant clairement l’avocat de cette paroisse, quitte à tirer l’histoire par les cheveux (6) : « C’est à la Gaubretière que l’étendard de la foi et de la fidélité a été le premier arboré à toutes les époques célèbres, 1793, 1814, 1815 et 1832… »
Il gardait toutefois l’espoir qu’il y aurait deux destinataires du legs : « L’autre sera pour Chanzeaux, paroisse de l’Anjou qui a montré du dévouement dans nos premières insurrections, mais dont la persévérance a été moins longue qu’à la Gaubretière ».
Extrait d'une lettre de Mgr Soyer en faveur de La Gaubretière, citée par M. de Rangot
La maire de La Gaubretière tacle sévèrement celui de Chanzeaux
L’avantage acquis dès l’origine par La Gaubretière n’empêcha pas son maire de lancer quelques piques acerbes à son rival. Il écrit ainsi, dans une lettre du 22 décembre (illustration ci-dessous), que « l’ouvrage publié par Mr le comte de Quatre Barbes (sic) en faveur de Chanzeaux n’est que le récit de ce qui s’est passé dans la plupart des localités de notre pays et cité dans les différents ouvrages qui ont paru », précisant que « la Gaubretière aurait en traits d’héroïsme et de dévouement aux principes religieux et monarchiques des matériaux pour faire des volumes » (7).
M. de Rangot récidiva le 29 janvier 1846 en appelant à la barre le lieutenant général comte de La Rochejaquelein (8), partisan de La Gaubretière, qui « ne place Chanzeaux qu’en ligne bien secondaire », et en tirant une nouvelle salve :
« Le récit de Mr de Quatre Barbes ne peut avoir la même la même authenticité (que la lettre du comte de La Rochejaquelein), étant étranger à la Vendée, car il n’habite Chanzeaux que depuis son mariage, la famille de Madame (Marie-Rosalie Gourreau) n’a pas même été témoin de tous les désastres de la guerre civile puisqu’elle était émigrée ».
Il eut fallu apprendre à M. de Rangot que Madame Gourreau de Chanzeaux (née Thomas de La Houssaye) et sa fille, Madame de La Jonchère, furent massacrées dans les rues du Mans le 13 décembre 1793…
M. de Rangot s'en prend au livre de son rival chanzéen
dans une lettre du 22 décembre 1845
L’affaire traîne jusqu’en 1850
Il ne lui était guère utile de montrer si peu de fair-play, puisque La Gaubretière n’en finissait pas d’accumuler les soutiens, comme ceux de l’ancien secrétaire particulier de Mgr Soyer, de son vicaire général, etc., rédigés en juin 1846. Mais l’affaire traîna encore et le 10 janvier 1848, M. de Rangot se désolait que ses espérances étaient « cruellement déçues ».
Il fallut attendre le 16 décembre 1850 pour que le cher frère Audran ouvre enfin cette « école libre » composée de trois classes, ainsi qu’une quatrième pour adultes. M. de Rangot se chargea lui-même de l’acquisition du local, de son entretien, le chauffage étant payé par la rétribution des enfants (9).
Le 18 mars 1854, le supérieur général de l’Institut des Frères des Écoles chrétiennes et M. de Rangot signèrent une convention pour payer les frais d’entretien des trois frères chargés de l’enseignement. Plusieurs copies ont été rassemblées dans le dossier.
Certains passages du dernier document laissent entrevoir le caractère intrusif du maire de La Gaubretière : « Quelques débats chaleureux ont eu lieu entre le c.f. (chef frère) Colobe (le successeur d’Audran) et Mr de Rangot, celui-ci non content des exigences précitées y ajoutait encore celles de prétendus droits assez étendus sur l’établissement et à une surveillance qui allait parfois jusqu’à l’importunité ». On comprend bien qu’elle fut la nature de la « chaleur » des débats…
Les années suivantes, la fermeture de quelques classes nourrit encore des échanges tout aussi « chaleureux » entre le c.f. supérieur et le maire, qui se prolongent jusqu’à la dernière ligne, datée du 29 août 1860, autour de difficultés financières. Le second choix de Chanzeaux n’avait donc aucune chance de se concrétiser.
Ce dossier est consultable sur le site des Archives de la Vendée, sous la cote AHD Luçon, SM 97/2, Correspondance échangée entre l’évêché et la paroisse de La Gaubretière entre 1824 et 1845 (vues 18-76).
Lien vers l'article : De toutes les paroisses, 20.000 lettres adressées à Monseigneur (1800/1821-1905)
Notes :
- On consultera par exemple la rubrique de Mouchamps pour les protestants et celle de Saint-Martin-des-Tilleuls pour les « dissidents » de la Petite-Église.
- Paul Legrand, Notes historiques sur la paroisse de La Gaubretière, rééd. Pays et Terroirs, 2002, p. 7.
- Il était né à Thouarcé en 1767.
- Nommé curé de La Salle-de-Vihiers en 1800, il quitta l’Anjou cinq ans plus tard et sera nommé évêque de Luçon en 1817, bien que le diocèse ne fût rétabli qu’à partir de 1821.
- Paru en 1837 sous le titre Une commune vendéenne sous la Terreur (Angers, Launay-Gagnot ; Paris, Dentu), l'ouvrage fut augmenté dans sa 3e édition, en 1838, sous celui de : Une paroisse vendéenne sous la Terreur. Il connaîtra une dizaine de rééditions, jusqu'à celle de Pays et Terroirs en 2003.
- Le curé de La Gaubretière en fit autant dans une lettre du 1er décembre 1845, en mélangeant par exemple les deux Sapinaud pour les ramener tous les deux à son clocher.
- Plusieurs témoignages de Gaubretiérois contemporains des Guerres de Vendée ont été recueillis à cette occasion : Pierre Rangeard, Marie Lourdais, François Faivre, Pierre Allaire (de la Logerie), Mathurin Lucas (du village de Bouillé), Mathurin Girardeau, René Libaud (du village de la Châtaigneraie), Jean Grégoire (de la métairie de Landebaudière), Louis Lucas (de Soudelache), René Espierre (de la Renaudière), la femme Moreau (de Ramberge), et René Guérin (du village de la Laiterie). Certains extraits de leurs mémoires ont été publiés dans le livre de Paul Legrand (voir note 2).
- Auguste du Vergier de La Rochejaquelein (1784-1868), frère cadet d'Henri et de Louis, avait acquis en 1824 le château de Landebaudière, à La Gaubretière.
- D’abord 1 franc par an, puis 2 et enfin 5 en 1859.