Le grand soulèvement de 1793 déclenché par la levée des 300.000 hommes embrasa le Bocage vendéen – mais aussi bien d’autres régions – du dimanche 10 au mercredi 13 mars de cette année. Si l’on considère que l’insurrection du Bressuirais l’avait annoncé en août 1792, on oublie souvent qu’une autre révolte de plusieurs milliers de paysans agita le pays de Saint-Sulpice-le-Verdon dès janvier 1793.
Carte de la riposte nantaise après l'insurrection du 6 janvier 1793
à Saint-Sulpice-le-Verdon
Connue pour son logis de la Chabotterie, indissociablement lié à la figure de Charette, la commune de Saint-Sulpice-le-Verdon peut en outre se targuer d’avoir été le théâtre de la première insurrection de 1793 (1). Elle appartenait à l’époque au district de Montaigu, que le général Dumouriez désigna, après sa tournée d’août 1791 dans la Vendée, comme l’un des foyers du « fanatisme » (2).
Toutefois on y trouvait aucun des signes de fermentations qui annonçaient déjà le soulèvement général, comme il y en eut à Saint-Jean-de-Monts et Apremont en avril 1791, ou à Saint-Christophe-du-Ligneron du 1er au 2 mai (3).
L’insurrection du 6 janvier 1793
La défense des bons prêtres et l’opposition aux jureurs finirent pourtant par y produire les mêmes effets (4). L’élément déclencheur fut d’ordre fiscal, les Sulpiciens refusant de verser les contributions directes à un gouvernement qui chassait leur curé. Le 6 janvier 1793, quand l’huissier porteur de contraintes se présenta à eux, il fut aussitôt cerné d’habitants peu amènes qui le convainquirent de s’en retourner promptement d’où il venait.
La bande de révoltés ne se dispersa pas pour autant. Sans attendre, elle investit la maison commune pour s’emparer des quelques armes à feu qui s’y trouvaient. Ce coup de force et les cris séditieux qui résonnaient dans le bourg effrayèrent Jean Touzeau (5), le maire, et sa famille qui rassemblait tout ce que Saint-Sulpice comptait de patauds (6).
Touzeau s’enfuit précipitamment à L’Herbergement, afin de se concerter avec Mathurin Chapeleau, le maire de cette commune voisine. Ils en informèrent l’administration du district de Montaigu, mais celle-ci, jugeant sa garde nationale insuffisante pour contenir l’émeute, dépêcha un courrier à Nantes afin d’en obtenir du secours. Il était en effet plus rapide de s’adresser au chef-lieu de la Loire-Inférieure plutôt qu’à celui de la Vendée, Fontenay-le-Comte, situé à l’autre extrémité du département.
La riposte des Nantais
Le 7 janvier, le Conseil général de la Loire-Inférieure arrêta qu’une force armée serait envoyée en renfort dès le lendemain vers Montaigu. Elle se composait de 50 soldats pris dans les 14e et 44e régiments et dans le bataillon de l’Aisne, et de gardes nationaux de Nantes : 50 grenadiers, 50 cavaliers et 20 canonniers, avec un canon. On précisa néanmoins que les frais de l’expédition, soldes et étapes, seraient à la charge du département de la Vendée.
Le départ, d’abord enthousiaste, se fit en désordre ; on manquait d’équipements qu’il fallut attendre dans le froid glacial de ce matin du 8 janvier. Après bien des contretemps, la troupe se mit enfin en marche et fit étape dans la soirée à Aigrefeuille. Elle arriva le lendemain dans l’après-midi à Montaigu, d’où elle repartit le 10 vers L’Herbergement, renforcée d’une partie de la garde nationale locale.
Pendant ce temps les insurgés de Saint-Sulpice et des communes environnantes en avaient profité pour se rendre maîtres du terrain, les gardes nationales de Montaigu, Rocheservière ou Vieillevigne étant restées sur la défensive. Au bout de quatre jours, ils rassemblaient quatre mille hommes d’après les documents officiels (7).
Se sentant menacé dans sa maison située aux Forges, petit village sur la route de Montaigu aux Lucs, le maire Touzeau avait envoyé un domestique chercher de l’aide à L’Herbergement. L’avant-garde nantaise s’y porta et n’y rencontra aucune opposition, ni dans le bourg de Saint-Sulpice d’ailleurs. Les insurgés s’étaient dispersés, faute de chefs pour les diriger et probablement dissuadés d’affronter des troupes de ligne. La cavalerie n’eut pas même besoin de dépasser L’Herbergement.
Localisation des lieux cités sur la carte de Cassini (XVIIIe siècle)
Les mesures prises contre toute nouvelle révolte
Les premières sanctions ne tardèrent pas : le juge de paix du canton des Brouzils (8) signa 21 mandats d’amener contre les meneurs du soulèvement désignés par Touzeau, et l’on ordonna de descendre les cloches de l’église de Saint-Sulpice afin qu’elles ne puissent plus sonner le tocsin de futurs rassemblements. La municipalité demanda qu’on les laissât et obtint que les seules cordes et l’échelle fussent retirées et confiées à ses soins.
Le 11 janvier, cavaliers et soldats quadrillaient la campagne pour traquer les insurgés, mais n’en trouvèrent aucun en fouillant les châteaux de la Bégaudière et de la Chabotterie, les villages et les métairies isolés (9). Pour s’en consoler, Touzeau et sa municipalité décidèrent qu’un arbre de la liberté serait planté le lendemain dans le bourg, en y conviant les « bons citoyens ».
Au terme de cette cérémonie patriotique, les troupes s’en revinrent à Montaigu, à l’exception de 50 hommes placés pour moitié à Saint-Sulpice, pour moitié à Mormaison. Et pour prix de leur service, elles réclamèrent un traitement représentant ni plus ni moins que le triple de la solde déterminée par la loi. Le Conseil général de la Vendée l’estima exagérée et la réduisit sensiblement (10). Il arrêta d’autre part qu’un détachement de 66 gardes nationaux de Fontenay se rendrait à Montaigu et demandait qu’une compagnie de troupes de ligne vienne le remplacer.
Ces mesures ne pèseront guère pour contenir le mécontentement des habitants de Saint-Sulpice qui éclatera à nouveau deux mois après, cette fois à l’annonce d’une levée d’hommes destinés à partir à la guerre sur les frontières. Si, en janvier, 4.000 insurgés s’étaient dispersés face à 200 soldats et gardes nationaux, il n’en sera pas de même en mars : l’insurrection de tout le Bocage allait leur fournir ce qui leur avait manqué : de l’armement, des chefs, et une ampleur qui interdira toute riposte ciblée comme celle des Nantais.
Notes :
- A. de Goué, La première insurrection royaliste de l’année 1793 en Vendée. Le soulèvement de Saint-Sulpice-le-Verdon (6-10 janvier 1793), Revue du Bas-Poitou, 1911, pp. 244-258. – En partie reproduit dans Les Chroniques paroissiales, Archives du diocèse de Luçon, Saint-Sulpice-le-Verdon, 1914, pp. 227-233.
- Le Journal de ma tournée d’août a été retranscrit par Chassin (La préparation de la guerre de Vendée, 1789-1793, t. II, pp. 27-31). Parti de Nantes le 11, Dumouriez passa par Machecoul pour longer la côte vendéenne jusqu’aux Sables, marcha ensuite vers La Roche-sur-Yon pour se rendre à Fontenay le 17 et Niort le 28. Du district de Montaigu, il ne visita que Saint-Laurent-sur-Sèvre et ses environs, ce qui lui suffit pour écrire que « tout le foyer du fanatisme est à Châtillon (actuel Mauléon) et dans les paroisses avoisinantes du district de Montaigu » (ibidem, p. 30).
- Les mesures prises contre le clergé insermenté et l’installation de curé dits jureurs provoquèrent des émeutes dans ces communes ; celle de Saint-Christophe-du-Ligneron reste la plus célèbre en raison du geste de Paul Barillon, « Rends-toi ! – Rends-moi mon Dieu ! » immortalisé dans l’imagerie vendéenne (Alain Castaing, Saint-Christophe-du-Ligneron, les événements historiques des 1er et 2 mai 1791, Revue du Souvenir Vendéen n°174, pp. 6-10).
- La Constitution civile du clergé votée le 12 juillet 1790 bouleversa l'Église de France de fond en comble. Dans la mise en place de la nouvelle Église dite constitutionnelle, un serment fut imposé au clergé. Ceux qui le refusèrent, majoritaires dans le Bocage vendéen, furent appelés les réfractaires, insermentés, ou bons prêtres ; ceux qui l'acceptèrent, les jureurs, généralement mal reçus dans les paroisses de la région, furent surnommés les intrus ou trutons.
- Fils de René Touzeau, fermier du château de la Bégaudière, et de Marie-Anne Renaudin, Jean Touzeau est né au village des Forges, à Saint-Sulpice-le-Verdon, et a été baptisé dans cette paroisse le 28 novembre 1758. Il est décédé le 6 mai 1826 à L’Herbergement.
- Surnom donné aux patriotes, habitants favorables à la Révolution.
- Ce chiffre dépassait très largement la population de Saint-Sulpice-le-Verdon qui comptait 120 feux en 1789, soit entre 600 et 700 habitants (Chroniques paroissiales, op. cit., p. 212). Il n’en restera que 366 en 1800.
- Saint-Sulpice-le-Verdon relevait à l'époque de ce canton, qui comprenait également les communes de L'Herbergement, de La Copechagnière, de Saint-Denis-la-Chevasse, et bien sûr des Brouzils.
- Un seul sera capturé dans la nuit du 11 au 12 janvier et conduit vers Nantes au départ de la troupe.
- « Il sera payé à la force publique, appelée de Nantes et des environs, une solde de 30 sols par jour (au lieu des 45 sols réclamés initialement), pour chaque fantassin et proportionnellement pour les sous-officiers et officiers » (A. de Goué, op. cit., pp. 256-257).