Il règne une certaine confusion chez les historiens à propos du « choc de Chaudron », cette bataille qui mit à l’épreuve le serment d’unité des quatre chefs vendéens, Stofflet, Charette, Sapinaud et Marigny. Son déroulement soulève plusieurs questions.
Carte des principaux lieux cités
Que s’est-il passé les jours précédents ?
Le mardi 22 avril 1794, les chefs des armées vendéennes se réunirent au château de la Boulaye, à Treize-Vents, afin de se concerter sur leurs futures actions. Charette réclama pour lui le commandement supérieur, mais l’opposition de ses pairs le poussa à accepter le « pacte fédératif » proposé par Stofflet, à l’instigation de l’abbé Bernier (1). La première décision fut alors de porter sur-le-champ leurs forces conjointes vers les Mauges pour en chasser les troupes républicaines et les postes qui gardaient les passages de la Loire.
Stofflet, Charette et Sapinaud dirigèrent aussitôt leurs armées vers Chemillé, le 23 avril, tandis que Marigny passa d’abord par son pays de Cerizay avant de les rejoindre à Jallais. Les pourparlers entamés à la Boulaye y reprirent. « Les quatre chefs se promirent plus formellement encore d’exécuter tous les arrêtés qu’ils avaient pris (…) d’un commun accord, et surtout de ne dissoudre aucun rassemblement sans leur avis préalable et unanime. Et, pour se lier d’une manière encore plus irrévocable, ils s’engagèrent sous peine de mort à accomplir fidèlement tous les points de leur convention » (2).
Cependant l’unité des Vendéens se fissurait déjà, du côté des Poitevins. Stofflet et Charette contestaient à Marigny le commandement de son armée et lui demandaient de se contenter de celui de l’artillerie, comme en 1793, ce que l’intéressé rejeta vivement, arguant qu’il tirait son autorité de la confiance de ses soldats. Ces derniers exprimaient aussi leur mécontentement car les vivres, dont les autres armées vendéennes avaient largement profité à Chemillé et Jallais, leur étaient distribués avec parcimonie.
Malgré ces dissensions, on décida de marcher le lendemain sur la région de Saint-Florent-le-Vieil, occupée par les troupes de l’adjudant général Dusirat, en passant par La Poitevinière, La Chapelle-Aubry et La Salle-Aubry. C’est d’ailleurs dans ce bourg que Marigny se serait arrêté pour se livrer « à de copieuses libations » (3). Soutenu par ses officiers, il aurait fait mille reproches à l’égard des autres généraux vendéens et finit par tourner bride, entraînant son armée vers Cerizay.
Quand la bataille a-t-elle eu lieu ?
Selon les auteurs, la date diffère du 23 au 25 avril 1794. Il est toutefois généralement admis qu’elle eut lieu le jeudi 24, ce que Dusirat, principal adversaire de Stofflet dans les Mauges à cete époque, indique lui-même dans sa correspondance :
« J’ai attaqué Chaudron, conjointement avec la garnison de Saint-Florent ; les brigands l’ont évacué à mon approche et j’ai pris position à cinq quarts de lieue (6 km) de Saint-Florent pour en recevoir mes vivres aujourd’hui. Quatre heures après, la troupe de Stofflet, réunie à celle qui avait évacué Chaudron, est venue attaquer ma colonne sur deux points. Ma gauche a plié et a été mise en fuite ; j’arrive de Saint-Florent, je la rallie, je mets à mon tour les brigands en fuite ; je les fais poursuivre par mes éclaireurs et ma cavalerie, et je prends poste à une lieue de Saint-Florent (…) On a évalué le rassemblement qui m’a attaqué hier (soit le 24 avril, la lettre de Dusirat étant datée du 25) à trois ou quatre mille hommes » (4). On verra plus loin que Dusirat a quelque peu exagéré sa « victoire ».
La pire énormité sur cette bataille de Chaudron vient de Célestin Port, qui fait pourtant autorité en ce qui concerne l’histoire des Mauges sous la Révolution. Dans son Dictionnaire du Maine-et-Loire, il la situe le 25 avril 1793 (!) et la mêle à l’offensive de Gauvillier :
« Dès le 13 avril 1793, écrit Célestin Port, une partie de l’armée républicaine, commandée par Charlery (5), expulsa les rebelles du bourg et, assaillie au retour vers l’Evre par la fusillade, reprit la poursuite jusqu’à la Chapelle-St-Florent. Quelques jours après (25 avril) avait lieu sur le territoire de Botz le combat qu’on appelle dans le pays le Grand choc de Chaudron… » (6)
L’édition revue et mise à jour du Dictionnaire de Célestin Port aggrave encore l’erreur : « Toute la population (de Chaudron-en-Mauges) adhéra au soulèvement de 1793. La commune fut le 25 avril témoin d’un engagement violent entre les Bleus de Gauvillier et les soldats de Bonchamps, engagement qui s’acheva par la déroute des Bleus. En réalité, ce que l’on appelle habituellement le Grand Choc de Chaudron s’est principalement déroulé sur le territoire de la commune de Botz » (7).
A-t-on des témoignages de première main sur la bataille ?
Outre celui de l'adjudant général Dusirat, du côté républicain, on en trouve quelques-uns du côté vendéen :
- Poirier de Beauvais, officier dans l’armée de Stofflet, donne peu de détails : « Nous partîmes de Chemillé le 24 avril, en passant par la Chapelle-Rousselin, Jallais, La Bouëre, la Poitevinière, pour aller attaquer une colonne de républicains que nous savions être aux environs de Saint-Florent. Après plusieurs heures de marches faites pour masquer notre entreprise, nous eûmes une connaissance exacte de la position de l’ennemi, mais il décampa quelques heures avant notre arrivée, se retirant sur Saint-Florent » (8)
.
- Lucas de La Championnière, officier dans l’armée de Charette, n’est guère plus précis : « Arrivé à Jallais, M. Charette apprit que l’ennemi campé entre le bourg de Chaudron et celui de Baux (Botz) incendiait les environs ; il marcha sur lui, mais à son approche les républicains se retirèrent à Saint-Florent » (9).
- Louis Monnier, commandant de la division de Montfaucon dans l’armée de Stofflet, se montre en revanche beaucoup plus disert pour ce qui concerne l'aile droite des Vendéens : « Nous partîmes de Jallais coucher à la Chapelle-Aubry (…) Les Bleus étaient au Bas-Plessis, près de Chaudron (…) Il y avait 200 bleus dedans (dans le château du Bas-Plessis), dont la moitié était la cavalerie du 2e régiment de chasseurs à cheval. Ils ne s’attendaient point d’être attaqués. Leur corps d’armée était campé au-dessus, sur une hauteur à gauche du chemin de Saint-Florent (c’est-à-dire au niveau du moulin du Pé). Le général m’ordonna d’attaquer le château (…) Le feu consumait cette belle maison. Le plus grand silence régnait dans la marche de mes soldats. À l’approche du grand portail, j’ordonnai de suite de tirer ; ceux qui échappèrent à cette première décharge rentrèrent dans la cour. Je criai : “En avant !” J’arrive au portail comme les bleus voulaient se sauver vers leur camp (…) On fit de suite main-basse sur ce qu’il y avait de bleus dans la cour : ils furent tous tués (…) Le camp ennemi se mit en bataille et attendit qu’on allât l’attaquer. Il n’était plus possible de tenir dans cette cour, à cause du feu qui brûlait le château (…) L’armée arrivait pour attaquer le camp sur cette hauteur. Ils ne tinrent qu’un instant. Après un feu assez nourri, les voilà en déroute ; nous les poursuivîmes de si près qu’ils ne pouvaient charger, mais leur salut fut de se sauver à travers champ pour arriver à Saint-Florent » (10).
Comment s’est déroulée la bataille ?
Le grand choc de Chaudron, ou de Botz, expliqué par les cartes (cliquez sur les cartes pour les agrandir) :
Phase 1 (matin du 24 avril), l'attaque de Dusirat sur Chaudron
Phase 2 (après-midi du 24 avril), l'attaque vendéenne sur Chaudron
Phase 3 (après-midi du 24 avril), l'attaque des hauteurs du moulin du Pé
Phase 4 (le soir du 24 avril), la retraitre de Dusirat
Les versions varient et divergent parfois, selon les historiens et les biographes de Stofflet et Charette.
- D’après l’abbé Deniau, curé du Voide et auteur d’une des meilleures histoires des Guerres de Vendée, basée sur de nombreux récits de contemporains des événements, Stofflet, Charette et Sapinaud auraient atteint le bourg de Botz, mais auraient fait demi-tour en raison de la défection de Marigny. Alerté de ce mouvement rétrograde, Dusirat en aurait profité pour avancer jusqu’à Chaudron, grâce à la trahison d’un canonnier déserteur (11). En l’apprenant, les Vendéens seraient revenus sur leurs pas.
Il est pourtant peu probable que les Vendéens aient poussé jusqu’à Botz. Dusirat avait en effet déjà annoncé à Turreau le 22 avril qu’il avait l’intention de se porter sur Chaudron où un nouveau rassemblement lui avait été signalé (12).
Les Vendéens se rangèrent en trois colonnes sur les hauteurs en avant du bourg de Chaudron : Sapinaud au centre, Charette à gauche et Stofflet à droite (c’est sur cette aile droite qu’il faut placer le récit de Louis Monnier au château du Bas-Plessis). Au premier choc, ils culbutèrent l’ennemi et le forcèrent à se replier vers le camp de Dusirat, sur le coteau du ruisseau de Saint-Germain, versant situé sur la commune de Botz et principal théâtre de la bataille. Un détachement de l’armée de Charette, commandé par La Robrie ou Joly, décida de la victoire en tournant les positions des Bleus sur leur aile droite.
Dusirat ordonna la retraite vers Saint-Florent, poursuivi par Charette qui finit par lâcher prise en voyant que Stofflet ne le suivait pas. Nul ne connaît le motif réel de cette nouvelle défection. Stofflet prétendit qu’il s’était égaré dans les ténèbres ; toutefois la jalousie entre les deux hommes en est peut-être la cause (13).
- L’autre abbé Deniau, curé de Saint-Macaire-en-Mauges et neveu du précédent, donne une version plus précise, mais non dénuée de contradictions. D’après lui, Dusirat fit chasser le poste vendéen de Chaudron le matin du 24 avril 1794, par la trahison du canonnier déserteur, et établit son camp sur les hauteurs du moulin du Pay (ou du Pé). Il disposait de 3.500 soldats.
Quatre heures après, les 3 à 4.000 hommes de Stofflet, Charette et Sapinaud débouchèrent sur les hauteurs en avant du bourg, par la route de La Salle-Aubry, et couvrirent de leurs armées des coteaux de la Jambuère, ce qui les plaçait par conséquent entre les deux positions tenues par les Bleus, l’une dans le bourg, l’autre au moulin du Pé ! (voir la carte ci-dessous).
Les Vendéens formèrent deux colonnes : la 1re descendit par la vallée du ruisseau de Saint-Germain et le Moulin-Neuf ; la 2e culbuta l’avant-garde ennemie, la rejeta dans le bourg, puis la força à se replier sur le camp de Dusirat qui se trouvait derrière l’étang du Bas-Plessis. Les deux armées s’affrontèrent sur le coteau du moulin du Pay, et c’est ici que le capitaine Oger (14), de Chaudron, opéra un mouvement avec 300 hommes pour prendre les républicains entre deux feux. Ces derniers battirent en retraite par la Gauchère (donc face à l’aile gauche des Vendéens !), la Jubaudière, les Écorcières, passèrent l’Èvre au pont d’Alène, avant de rejoindre Saint-Florent par l’Étrie (15).Le déroulement de la bataille selon l'abbé Deniau (de Saint-Macaire-en-Mauges) et Célestin Port
- René Bittard des Portes, biographe de Charette, donne une idée assez précise et cohérente de la bataille : « Aucun officier de Marigny ne venant annoncer son arrivée, les troupes de Stofflet, de Charette et de Sapinaud se mirent en marche vers Saint-Florent le 24 avril, dans l’après-midi. Déjà une bande royaliste occupait le village de Chaudron (…) L’adjudant général Dusirat, à la tête d’une colonne de 2.000 hommes (chiffre plus plausible que les 3.500 de l'abbé Deniau), se dirige sur Chaudron, que les Royalistes évacuent dans la matinée. Les Républicains s’y installent, pillent et incendient.
L’armée vendéenne, renseignée par les combattants du matin, arrive et attaque vivement un détachement de la colonne de Dusirat qui s’est mis en bataille en avant du bourg. Charette commande l’aile gauche des Royalistes, Sapinaud le centre, Stofflet la droite.
L’aile gauche républicaine, opposée aux troupes de Stofflet, est refoulée (16), et les Royalistes entrent dans le bourg. Dusirat, qui n’a pas assisté au commencement du combat, arrive en toute hâte pour recueillir ses troupes et diriger la retraite sur Botz, c’est-à-dire sur Saint-Florent. À la sortie du village, les Bas-Poitevins prennent la tête de l’attaque et refoulent l’ennemi jusqu’à la sortie de Botz ; alors Charette constate que l’armée angevine s’est trop laissée distancer. Stofflet, dont la bravoure était au-dessus de tout soupçon, avait été lui-même à la recherche d’un de ses détachements égaré dans l’obscurité du crépuscule » (17).
Les pertes furent limitées dans un camp comme dans l’autre. Dusirat écrit en effet à Turreau, le lendemain de la bataille : « J’ai eu trente blessés et une vingtaine de tués, les brigands n’ont pas perdu autant que moi » (18). Le commandant républicain n’en sera pas affecté outre mesure, puisqu’il poursuivra sa marche à travers les Mauges les jours suivants : il campa le 27 avril entre Saint-Laurent-de-la-Plaine et La Jumellière, le 28 à Gonnord après un combat à Chanzeaux.
La principale conséquence de cette affaire fut ressentie dans le camp vendéen qui, malgré sa victoire, se fractura en raison de la défection de Marigny. Reconnu coupable d’avoir violé le serment de la Boulaye, ce dernier fut condamné à mort par un conseil de guerre (19). Il sera exécuté dans des circonstances sordides au logis de la Girardière, à Combrand, le 10 juillet 1794.
Notes :
- Félix Deniau, Histoire de la Vendée, 1878, t. IV, pp. 409-411.
- Ibidem, p. 412. Cette disposition coûtera la vie au général Marigny après sa défection à la bataille de Chaudron.
- Ibidem, p. 413.
- J.-J. Savary, Guerres de Vendéens et des Chouans contre la République française, t. III, p. 431.
- Alexis-Antoine Charlery (1752-1829), commandant en second de la garde nationale du district de Segré, prit part à l’offensive républicaine contre les insurgés des Mauges à la mi-avril 1793, dans l’armée commandée par Gauvillier (voir note 7).
- Célestin Port, Dictionnaire historique, géographique et biographie du Maine-et-Loire, 1876, t. Ier, p. 424.
- Célestin Port, Dictionnaire historique, géographique et biographie du Maine-et-Loire, 1991, t. Ier, p. 695. Gauvillier commandait l’une des colonnes républicaines lancées sur les Mauges en avril 1793. Il passa la Loire près du Mesnil-en-Vallée et chassa l’armée de Bonchamps de Saint-Florent. Le 13 avril, un détachement commandé par Charlery balaya la rive droite de l’Èvre jusqu’à Botz-en-Mauges, mais sans « grand choc » notable sur cette commune, ni à Chaudron. L’offensive de Gauvillier s’achèvera en déroute le 22 avril à la bataille de Beaupréau (F. Uzureau, Gauvillier et les débuts de la guerre de Vendée, L’Anjou historique, mai-juin 1915, pp. 593-599).
- Mémoires inédits de Bertrand Poirier de Beauvais, 1893, rédd. Pays et Terroirs, 1994, p. 288.
- Lucas de La Championnière, Mémoires sur la guerre de Vendée (1793-1796), 1904, rééd. Pays et Terroirs 1994, p. 88.
- Louis Monnier, Mémoires sur la guerre de Vendée, 1793-1799, 1896, pp. 93-95.
- Ce canonnier vendéen, transfuge, est évoqué dans les Souvenirs de Madame de La Bouëre (p. 161). « Il fut plus tard fusillé comme espion. »
- Savary, op. cit., p. 423.
- Jaloux de la gloire qu’allait obtenir son Charette, Stofflet se serait dérobé pour lui enlever cet honneur (Deniau, op. cit., p. 420) ; Bourniseaux prétend quant à lui que « ce qui révolta Stofflet fut un ordre que lui envoya son rival de le rejoindre à Saint-Florent ; le garde-chasse (Stofflet) ne voulut recevoir d’ordre de personne, et se retira à Maulévrier» (Histoire des guerres de la Vendée, 1819, t. II, p. 285).
- On ne trouve pas de capitaine Oger dans la liste des combattants de Chaudron-en-Mauges établie par Alfred Maugeais (La paroisse de Chaudron-en-Mauges à travers les âges, pp. 116-123). S'agit-il de François Oger, capitaine de Saint-Pierre-Montlimart, cité dans la division de Beaupréau, armée de d'Autichamp, en 1815 ? (J. Crétineau-Joly, Histoire de la Vendée militaire, t. V, p. 96)
- Alfred Maugeais, op. cit., pp. 112-113. Ce récit coïncide à peu près avec celui que donne Célestin Port dans la 1re édition de son Dictionnaire du Maine-et-Loire, repris par Camille Humeau dans son article : Le grand choc de Chaudron (24 avril 1794), Revue du Souvenir Vendéen n°139 (juillet 1982), pp. 37-38. Ces deux auteurs étirent même la ligne républicaine jusqu'à la Gotsardière, sur la route de Chaudron à Beausse, ce qui semble exagéré.
- C’est ce qu’écrit Dusirat à Turreau le 25 avril 1794 : « Ma gauche a plié et a été mise en fuite… » (Savary, op. cit., p. 431).
- René Bittard des Portes, Charette et la guerre de Vendée, 1902, rééd. Pays et Terroirs, 1996, pp. 337-338.
- Savary, op. cit., p. 431.
- Le 29 avril 1794, Marigny fut condamné à mort par 22 voix, dont celles de Charette et Stofflet, contre 10, dont celle de Sapinaud.
Un différend complémentaire ?