En triant des photos, j’ai retrouvé un lot d’images de la Roche de Mûrs et de son monument emblématique qui glorifia en 1889 le « sacrifice » de 600 volontaires du 8e bataillon de Paris, morts « héroïquement » le 26 juillet 1793 face aux « brigands de la Vendée ». Et je me suis demandé si l’on trouvait la trace de leur décès dans les registres d’état civil de Mûrs.

La Roche de Murs 5Le monument républicain de la Roche de Mûrs, à Mûrs-Érigné
   

J’avais évoqué en 2011 l’histoire du combat de la Roche de Mûrs en me basant sur les sources républicaines, les plus nombreuses, mais aussi les plus accablantes, pour décrire la débandade du 8e bataillon des volontaires parisiens face aux troupes vendéennes commandées par d’Autichamp. Ce fait d’armes peu glorieux fut curieusement choisi pour élever à cet endroit un monument qui fut inauguré par le docteur Jean Guignard, maire d’Angers, le 29 septembre 1889, afin d’y célébrer le centenaire de la Révolution française (1).
   

La Roche de Murs 2La plaque commémorative
   

La seule inscription qu’on y lit, gravée sur une plaque d’ardoise, indique qu’il fut érigé « à la mémoire des 600 Parisiens morts héroïquement pour la défense de la République le 26-7-1793 ». Je me suis dit par conséquent qu’un tel nombre de morts avait probablement laissé des traces dans l’état civil de Mûrs. Le résultat de la recherche s’avère décevant. Voici ce qu’on y trouve (2) :

  • Le 26 juillet 1793, « l’an second de la république française une, indivisible & impérissable, jour du massacre commis sur la roche de notre commune de Murs », est enregistré le décès de Jean Jarry, âge inconnu, laboureur, mari de Cécile Gaurion, qui « s’est trouvé au nombre des victimes de ce massacre ». En marge a été notée la mention « sans sépulture ».
      
  • Le 12 août 1793, « les brigands occupant notre commune, m’a été de même rapporté à moy Pierre Alexandre Laurion, commis à enregistrer les actes de naissance, mariage & décès des citoyens, que le nommé Jean Godeau, âgé de …, laboureur, mari de Françoise Varry (…), s’est jeté dans la rivière appellée de Louet pour se sauver de la fureur de ces brigands & où il a eu le malheur de perdre la vie, sans qu’on aÿe pu le retrouver ». En marge : « sans sépulture à ma connaissance ». Comme pour le précédent décès, il ne s’agit pas d’un volontaire parisien car Jean Godeau est né à Mûrs le 12 décembre 1755 et s’y est marié avec Françoise Varry le 24 janvier 1785.
      
  • Le 9 septembre 1793, « par une suite des malheurs de la guerre de brigands, nos troupes les chargeant dans notre commune, il m’a été rapporté à moy Pierre Alexandre Laurion (…), que le nommé Pierre Lemonnier, garçon âgé de vingt huit ans, fils de Mathieu Lemonnier, laboureur, & de Jeanne Gaignard, ses père et mère, quoique très bon républicain a eu le malheur de perdre la vie dans la maison de son père située village de notre commune & ce malheur arriva à la vüe de sa mère ».
      
  • Le même jour que le précédent, est enregistré le décès de Pierre Richou, surnommé Thomas, laboureur, âgé de 53 ans, mari de Marie Gautier, 46 ans, « quoique bon républicain a été tué devant notre cimetière ». Cette indication de « quoique bon républicain » suppose-t-elle que la mort serait du fait des Bleus ?
      
  • Suit l’acte de décès (non daté) de Noël Le Roy, âgé de 67 ans, « cy-devant frère minime & pour lors maitre d’école dans notre commune, ayant été rencontré par les brigands, a été massacré & mort de ses blessures reçues le 26 juillet ».

Aucun volontaire parisien mort à la Roche de Mûrs le 26 juillet 1793 ne figure donc parmi les actes de décès enregistrés à Mûrs. Alors comment savoir si le chiffre de 600 morts, proclamé sur le monument de 1889, est exact ?
   

La Roche de Murs 4Vue sur Angers depuis la Roche de Mûrs :
à gauche, le clocher de Saint-Laud et le toit de la chapelle du château ;
au centre, la cathédrale Saint-Maurice et la tour Saint-Aubin

   

Simone Loidreau a trouvé la solution en consultant le dossier du 8e bataillon de Paris au Service historique de la Défense (3), qui comporte la liste nominative de tous les volontaires, leur date d’incorporation, leur compagnie (il y en avait huit), la date éventuelle de leur décès en 1793, mais aussi les déserteurs, les blessés et les prisonniers des Blancs. Cet état détaillé figure dans un tableau illustrant l’excellent article de cette historienne : L’authentique histoire de la Roche de Mûrs, 26 juillet 1793 (4). Le total indique un effectif de :

  • 977 volontaires, dont 5 officiers
  • 88 morts (il n'est pas précisé s'ils sont morts ce 26 juillet 1793 dans les combats ou noyés dans le Louet)
  • 180 déserteurs
  • 40 blessés
  • 155 prisonniers aux mains des Blancs

Il n’y eut par conséquent, pour le 8e bataillon, que 88 morts sur les 977 volontaires parisiens « tant à la Roche de Mûrs qu’à la redoute d’Érigné » (5). On est loin du bilan communément annoncé, entre les 200 noyés mentionnés par les représentants Richard et Choudieu dans leur premier rapport, et les « 600 Parisiens morts héroïquement » glorifiés en 1889 (6).
   

La Roche de Murs 3Du haut de la Roche-de-Mûrs, vue sur la vallée du Louet en direction des Ponts-de-Cé
      


Notes :

  1. L’idée de ce monument fut lancée en 1887 par Victor Jeanvrot, conseiller à la cour d’appel d’Angers. Elle fut soutenue par le Conseil général de la Seine et financée par une souscription.
  2. A.D. 49, état civil de Mûrs-Érigné, NMD 1793–An V, vue 54/133. La commune d’Érigné fut supprimée en 1793 et son territoire en partie rattaché à celle de Mûrs, qui prendra le nom de Mûrs-Érigné en 1953.
  3. S.H.D., 16 Yc 399.
  4. Revue du Souvenir Vendéen n°142 (avril-mai 1983), pp. 15-33.
  5. Ibidem.
  6. Les historiens du début du XIXe siècle retiennent généralement le chiffre de 400 morts : « On annonça que près de quatre cents soldats du huitième bataillon de Paris, se voyant coupés dans leur retraite, avaient péri dans la Loire » (J.-J. Savary, Guerres des Vendéens et des Chouans contre la République française, 1824, t. Ier, p. 420). Ou encore : « Poursuivis par les Vendéens jusqu’au pont de Cé, quatre cents hommes du huitième bataillon de Paris y furent coupés : la plupart essayèrent de passer la Loire à la nage ; ils y périrent » (A. de Beauchamp, Histoire de la guerre de la Vendée et des Chouans, 1807, t. Ier, p. 270).