Depuis les années 1830, les statues érigées en hommage aux héros de 93 ont constitué des cibles idéales aux yeux des adversaires de la Vendée. Le monument sculpté par Maxime Real del Sarte porte dans sa pierre, plus qu’aucun autre, la trace de cette lutte des mémoires.

Le VendeenDétail de la statue de Real del Sarte, Le Vendéen

  
La Vendée – entendez la « région-mémoire » qui déborde largement le département éponyme – supporte depuis longtemps la dégradation ou la destruction de ses monuments. Les attaques des années 1830 la marquèrent par leur ampleur et leur caractère quasi institutionnel. Il s’agissait, pour la monarchie de Juillet et ses représentants, d’effacer la mémoire des Guerres de Vendée de l’espace public en supprimant les monuments commémoratifs qui avaient été érigés sous la Restauration (1).

La statue de Charette, élevée en 1826 devant la chapelle Notre-Dame de Pitié, fut abattue dans le feu de la tentative de soulèvement de la duchesse de Berry, le 6 juin 1832, au soir du combat du Chêne, par des soldats du 36e régiment de ligne alors en garnison dans la ville.

La statue de Cathelineau, qui trônait au centre du Pin-en-Mauges depuis 1827, fut abîmée lorsqu’on la descendit, très officiellement, de son piédestal : « Contre la loi qui protège toute propriété (2), le 24 juillet 1832, M. Merlet, sous-préfet de Beaupréau, d’après un ordre qu’il disait avoir reçu du ministre de l’Intérieur, s’est transporté au Pin-en-Mauges accompagné du substitut du procureur du roi près le tribunal de Beaupréau, de M. Lachèse, architecte du département, et escorté d’un détachement d’environ 200 hommes, pour ôter la statue de son piédestal. L’ayant mal attachée, on l’a mutilée en la descendant. M. le sous-préfet a laissé démolir par les soldats le piédestal, enlever les médailles et pièces de monnaie qu’on avait déposées dans la pierre de fondation, et, en outre, laissé mutiler les colonnes qui formaient le contour du monument » (3). La suite des péripéties de la statue de Cathelineau est à lire ici.

L'obélisque érigé à la mémoire de Stofflet dans le parc du château de Maulévrier fut également touché, bien que situé sur une propriété privée. Le 14 septembre 1832, le sous-préfet de Beaupréau écrivit au préfet de Maine-et-Loire : « On a fait connaître, lors de la destruction des insignes du gouvernement déchu, la résistance que M. de Colbert avait mise à l'enlèvement d'une énorme fleur de lys qui couronnait l'obélisque. Depuis cette époque, les différents bataillons qui ont séjourné à Maulévrier, ont voulu plusieurs fois renverser ce monument (…) Plusieurs fois, M. le maire a été obligé de courir au-devant de la troupe pour l'empêcher de se porter au château de M. de Colbert et d'y commettre du désordre. Malgré les avertissements officieux qui lui ont été données à plusieurs reprises, M. de Colbert a laissé subsister cette colonne (…) Il serait nécessaire que cet obélisque fût, sinon détruit, du moins dépouillé de tout emblème et de toute inscription » (4).

Les coups s’abattirent également sur la Colonne de Torfou et celle de Saint-Florent-le-Vieil qui perdirent leurs ornements et leurs inscriptions, faute de pouvoir s’en prendre à leur maçonnerie trop volumineuse. C’est ce qui sauva d’ailleurs la chapelle du Mont des Alouettes.

Il faudra de la persévérance aux défenseurs de la mémoire vendéenne pour rétablir ces monuments, à l’exception de la statue de Charette à Legé, disparue à jamais.
  

Charette et CathelineauÀ gauche, la statue de Charette à Legé, détruite en 1832 ; à droite, celle de Cathelineau qui, après maintes péripéties, a trouvé refuge dans l'église Saint-Pavin au Pin-en-Mauges.
  

Le Vendéen, symbole de la lutte des mémoires

Le Vendéen réalisé par le sculpteur Maxime Real del Sarte (5) connut un sort similaire à une époque plus récente. Son histoire témoigne, dès l’origine, des enjeux et des luttes toujours vives autour de cette mémoire.

Il fut inauguré le 5 septembre 1937 lors d’une cérémonie qui fit affluer à Cholet des milliers de personnes : « Les abords de l’église Saint-Pierre furent littéralement couverts de monde à la sortie de la messe. Une épingle n’aurait pu tomber sur le sol » (4). Cependant la statue avait été placée dans une propriété privée, au Bois-Grolleau, « afin de ne pas l’exposer à la vue du public ». Les autorités municipales se montraient prudentes sur les effets qu’un tel monument pouvait encore provoquer près d’un siècle et demi après l’insurrection de 1793.

Le contexte politique de 1942 permit de mettre cette statue plus en vue en la déplaçant à l’intersection du boulevard de la Victoire et de la rue des Tisserands. Ce ne fut pas une si bonne idée, d’abord parce que le déménagement du Vendéen à cet endroit lui brisa la main et la faux qui dépassaient du camion, en passant sous le pont situé en haut de la rue Sadi-Carnot. D’autre part, et surtout, cette exposition livrait le monument à toutes les injures.

« Dans la nuit du 13 au 14 novembre 1944 (7), des inconnus étrangers à Cholet – a-t-on dit – le firent sauter à la dynamite. La croix massive et toute la partie supérieure de la statue ont été brisées et il ne subsiste plus qu’un moignon informe et méconnaissable. Fait assez curieux : le chapelet du cou et le Sacré-Cœur de la veste demeurent encore, plus ou moins détériorés, comme si la Providence avait voulu permettre que soient respectés les emblèmes sacrés qui donnent leur plein sens à la levée d’armes vendéenne. En tout cas, un résultat que n’escomptaient sans doute pas les auteurs de cet odieux et stupide attentat a été le mouvement presque unanime de réprobation qui l’a accueilli (…) Suivant l’avis d’experts consultés, la statue serait réparable… » (8)

Les débris de la statue avaient aussitôt été recueillis, ce qui permit de réparer tant bien que mal le monument, aux frais de la mairie de Cholet qui la déplaça à nouveau en un lieu plus discret, dans le parc Perroteau (9). Arborant les stigmates des violences qu’il a subies, le Vendéen est désormais à l’abri à l’intérieur du Musée d’Art et d’Histoire, dont il a intégré les collections, au titre des dépôts du Souvenir Vendéen (10), après sa restauration en 1998.
  

Le Vendeen de Real del SarteLe Vendéen avant l'attentat de 1944 et après la restauration de 1998
  


Notes :

  1. Le 17 août 1832, le ministre du Commerce et des Travaux publics mandait ainsi au préfet de Maine-et-Loire : « De 1814 à 1815, divers monuments qui, tous de nature à perpétuer de pénibles souvenirs ou à entretenir des haines funestes entre les citoyens, ont été élevés sur plusieurs points du royaume » Il le prie ensuite de lui envoyer un état détaillé des monuments, statues, colonnes, etc., ainsi que son avis « sur les mesures qu'il conviendrait de prendre à l'égard de chacun d'eux », soit pour les conserver, soit pour leur faire subir des modifications ou une translation en un autre lieu, « soit même que vous jugiez devoir provoquer leur destruction » (F. Uzureau, Les statues des généraux vendéens et le Gouvernement de Juillet (1832), L'Anjou historique, 1917, pp. 159-160).
  2. Le terrain sur lequel avait été érigé le monument en mémoire de Jacques Cathelineau appartenait à M. de Lostanges.
  3. F. Uzureau, Le monument de Cathelineau au Pin-en-Mauges, L’Anjou historique, 1930, p. 57. En 1979, la statue de Cathelineau subit un nouvel outrage : son poignet droit, qui tenait l’épée, fut brisé et emporté. Chose curieuse, la seconde statue qui ornait la grande salle de la mairie du Pin-en-Mauges fut elle aussi mutilée, le fusil sur lequel s’appuyait Cathelineau fut brisé.
  4. F. Uzureau, op. cit.pp. 161-162.
  5. Maxime Real del Sarte (1888-1954) était aussi le premier chef des Camelots du roi, mouvement antirépublicain lié à l'Action française.
  6. L’Ouest-Éclair, 6 septembre 1937.
  7. La ville de Cholet était libérée de l’occupation allemande depuis le 31 août précédent.
  8. Lettre du Souvenir Vendéen, 1er octobre 1945.
  9. Parc situé entre l'avenue Gambetta et la rue du Paradis.
  10. Le Vendéen de Real del Sarte demeure la propriété de l’association du Souvenir Vendéen.