Il s’en est fallu de peu pour que l’épopée de Charette ne prenne fin au logis de la Boutarlière le lundi 15 février 1796, plutôt qu’à celui de la Chabotterie cinq semaines plus tard. Une simple lettre tombée inopinément entre les mains de Travot permit au général vendéen d’échapper à la traque que son redoutable adversaire menait contre lui.

La BoutarliereLe superbe porche du logis de la Boutarlière fut franchi par Charette et sa petite troupe, sous le nez de Travot, le 15 février 1796.
    

Les derniers combattants encore en armes au début de l’année 1796 ne se faisaient guère d’illusions sur leur sort. Charette, qui n’avait plus grand-monde autour de lui, fut repéré le 20 janvier dans le bois de la Boule, entre Aizenay et Coëx. Sérieusement accroché trois jours après par le capitaine Genet, qui commandait la place de Saint-Gilles, il opéra un repli vers le Marais, du côté de Sallertaine, afin de recruter des cavaliers, puis vers Maché où Travot retrouva sa trace le 29. La traque se poursuivit alors vers l’intérieur du Bocage, en direction de Chavagnes-en-Paillers. 

Charette n’avait pourtant guère de soutien à entrevoir du côté de la Haute-Vendée. Stofflet avait bien proclamé le 26 janvier qu’il reprenait les armes, sur l’ordre de Monsieur (1), mais en s’écriant « Mes amis, nous marchons à l’échafaud ! », le commandant de ce qu’il restait de l’armée d’Anjou entendait déjà sonner l’hallali. Le général Hoche ne voyait pas les choses autrement en apprenant que Stofflet repartait en guerre : « Il a hâté d’un mois la perte de son parti » (2). 

Le projet d’émigration de Charette

Quelques jours plus tard, le 5 février, le général Gratien reçut une lettre de l’abbé Guesdon, curé de La Rabatelière, qui demandait dans quelles conditions Charette pourrait passer à l’étranger. L’officier en fit part à Hoche, son supérieur, qui lui répondit le 10 en lui expliquant la marche à suivre : le chef vendéen devait se rendre au port de Saint-Gilles pour embarquer avec sa suite sur un navire qui le conduirait à Jersey. Les revenus issus de ses biens en France lui seraient passés chaque trimestre par la personne de son choix. Si Charette préférait aller en Suisse, un détachement de cavalerie commandé à Travot l’accompagnerait jusqu’à Bâle. Hoche s’engageait à ce que la République fournisse les moyens de cette émigration et assurait de la conduite décente à tenir à l’égard du Vendéen. Son offre ne tenait toutefois que dans un délai de quarante-huit heures, après lequel les forces républicaines se remettraient en marche (3). 

Gratien transmit dès qu’il la reçut la décision de son général en chef à l’abbé Guesdon. Celui-ci l’envoya à son tour à Charette, qui se trouvait à la Rousselière, près de Chauché. Hélas, le cavalier porteur de la lettre ne parvint pas à destination car il fut intercepté et tué le 15 février par les soldats de Travot qui n’étaient pas informés de cette courte trêve. En le fouillant, ceux-ci trouvèrent la lettre qu’ils donnèrent à leur commandant. Travot apprit ainsi les négociations engagées entre Hoche et Charette et dut se résoudre à ordonner l’arrêt de l’attaque prévue sur le château de la Boutarlière (4) où le chef vendéen et sa troupe s’étaient installés ce jour-là, et même à les laisser filer. Il en rendit compte à Hoche dans la lettre qui suit, datée du jour même.
   

Carte de la BoutarliereCarte des lieux cités (cliquez sur l'image pour l'agrandir)
      

À la Boutarlière, Travot laisse volontairement filer Charette 

« Ayant appris que Charette était du côté de Chavagne, je me suis mis en marche le 24 (pluviôse an IV, soit le 13 février 1796), avec 50 hommes de cavalerie et 300 d’infanterie. Arrivé à la Rousselière où j’ai passé la nuit, j’y appris que Charette y avait couché la nuit précédente. Le 26 (15 février) de grand matin je rencontrai ses traces et je les suivis jusqu’à Chauché où je sus qu’il avait couché à la Boutarlière et qu’il y était encore. Je me disposais à tenter un grand coup. 

À l’instant où je m’approchai du bois qui me séparait de l’ennemi, mon avant-garde aperçut quatre cavaliers brigands qu’elle mit aussitôt en fuite en les chargeant vigoureusement. Un paysan à cheval arrivant par une allée du bois pour se rendre au château fit jonction avec ces quatre hommes et se mit à fuir avec eux. Mes chasseurs d’avant-garde les atteignirent et tuèrent le paysan. On fouilla le cadavre et on trouva sur lui une lettre à l’adresse de M. Charette.

Cette lettre fut pour moi la première nouvelle que Charette demandait son passage en pays étranger. La lettre était du général Gratien et disait que d’après les intentions du gouvernement vous lui donniez un délai de 48 heures pour se rendre à un de nos postes pour être, de là, avec tous les siens conduit à l’île de Jersey ou à Basle (Bâle). Cet événement m’a pour le moment jeté dans le plus grand embarras. 

Mes cinq hommes d’avant-garde étaient déjà parvenus près du château et en voyaient sortir la cavalerie de Charette au nombre de 100 hommes et environ 30 fantassins qui, en défilant, leur tirèrent quelques coups de fusil. Devais-je les poursuivre ? J’avais sur eux tous les avantages possibles, j’avais de l’infanterie pour me soutenir, j’étais à deux portées de fusil d’eux et les mauvais chemins en auraient infailliblement fait tomber quantité en notre pouvoir. 

Mais en les poursuivant, ne mettais-je pas une entrave des plus grandes à cette opération si désirée, l’émigration de Charette ? Vos intentions énoncées dans la lettre que le hasard le plus singulier fit tomber en mes mains, me décidèrent enfin, et je crus m’y conformer en ne poursuivant pas. Je pris alors position dans le château même que quittait Charette, et je renvoyais au général Gratien la lettre pour la faire passer (à l’abbé Guesdon) » (5). 

Travot se reprocha pendant plusieurs jours cette affaire manquée de la Boutarlière, mais le jeune officier mettra tout son zèle à poursuivre Charette pour se racheter. Il y parviendra le 23 mars suivant.
   

CadastreLe logis de la Boutarlière sur le cadastre napoléonien de Chauché, daté de 1838 (A.D. 85, 3 P 064/10). On distingue les deux corps de part et d'autre du grand porche, les communs encadrant la cour, et le logis proprement dit. L'ensemble a résisté au temps, mais a souffert des transformations modernes des bâtiments.
      


Notes :

  1. Le comte d’Artois, frère de Louis XVI et futur Charles X, donnait ses ordres depuis sa retraite britannique. Son escapade sur l’île d’Yeu en octobre-novembre 1795 suscita de grands espoirs parmi les Vendéens, mais aussi une cruelle déception lorsque le prince fit demi-tour. 
  2. J.-J. Savary, Guerres de Vendéens et des Chouans contre la République française, t. VI, pp. 156-157.
  3. Ibidem, pp. 178-179.
  4. La Boutarlière, que certains auteurs orthographient « Boutardière », appartenait à cette époque à la famille Boutillier de Saint-André. Le mémorialiste vendéen la mentionne dans son livre, Une famille vendéenne pendant la Grande Guerre de Vendée (1793-1795), 1896 (rééd. Pays et Terroirs 1994), pp. 226-227. Il la situe sur la paroisse des Essarts, mais elle se trouve bien sur le territoire de Chauché.
  5. Lettre de Travot à Hoche, au Pont-de-Vie, le 26 pluviôse an IV (15 février 1796), citée par A. du Châtellier, Correspondances inédites des généraux Travot et Watrin, Séances et travaux de l’Académie des Sciences morales et politiques, 1876, t. V, pp. 343-344.