Le château de l’Escurays ouvrait ses portes hier, dans le cadre des Journées du Patrimoine. C’est dans ces murs que la veuve de Lescure, future marquise de La Rochejaquelein, trouva refuge à l’époque de la bataille de Savenay.

Escurays 18Le château de l'Escurays a été acquis par la commune de Prinquiau en 1994 et classé à l'Inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 1997. Depuis 2009, l'Association Renaissance du Patrimoine de l'Escurays (A.R.P.E.) œuvre en partenariat avec la mairie pour restaurer et animer ce site.
   

Madame de Lescure s'enfuit avec sa mère

Le dimanche 22 décembre 1793, au terme d’une longue marche de mille kilomètres qui les avait menés jusqu’en Normandie, les Vendéens rassemblaient leurs dernières forces à Savenay. Conscient du désespoir de la situation, le général Marigny conseilla à Madame de Lescure (1) de fuir au plus tôt pour échapper au désastre annoncé : « Nous sommes perdus. Il est impossible que nous résistions. Sitôt que l’attaque du matin aura lieu, l’armée sera anéantie… Adieu, puissiez-vous vous sauver ! » (2)

Madame de Lescure en parla à sa mère, à qui l’abbé Jagault (3) proposait déjà de se cacher dans la campagne. Son père, M. de Donnissan (4), les engagea lui aussi à se sauver, mais sans lui, car son devoir était de rester à l’armée tant qu’elle existerait. Les deux femmes le quittèrent sous un déguisement de paysannes bretonnes, en compagnie de l’abbé Jagault et de Françoise Mamet, la femme de chambre de Madame de Donnissan.

Un guide du pays les conduisit par le grand chemin de Guérande. « Nous entendions les coups de fusils et même le bruit des chevaux » (5). Les fugitifs quittèrent bientôt la route pour marcher en sabots dans des fossés pleins d’eau. Mourants de fatigue, ils entrèrent dans une maison à trois-quarts de lieue (environ 3,6km) de Savenay pour y passer la nuit.

L Escurays en 2013Le château de l'Escurays photographié en 2013 : les travaux de restauration de l'aile est (à gauche, là où se trouvent la cuisine et le cellier) étaient en cours.
  

Madame de Lescure au château de l’Escurays

L’endroit restait cependant trop exposé au passage des Bleus. La fille de la maison s’offrit alors de les conduire au château de l’Escurays, dont les maîtres étaient exilés à Blois. Ils y parvinrent dans la nuit du 22 au 23 : « Il était deux heures du matin quand nous arrivâmes. On nous fit attendre longtemps à la porte. Maman me dit : “Je mourrai ici si on nous refuse la porte, je ne puis aller plus loin. J’étais dans la même situation. On vint nous ouvrir. Tenez, dit notre conductrice, voilà des brigands qui se sont réfugiés chez nous, mais nous sommes trop près du grand chemin, je vous les amène. – Oh ! pauvres gens ! s’écrièrent Ferré (6) et sa femme, entrez. Tout ce qui est ici est à votre service”. Ils nous firent chauffer. Nous étions mouillées jusqu’aux genoux. Ils nous firent manger… » (7) À peine sortis de table, les rescapés se jetèrent sur un lit et s’endormirent aussitôt, rompus par la fatigue.

Dès les huit heures du matin, ce lundi 23 décembre, de forts coups de canon les réveillèrent en sursaut. La bataille faisait rage depuis l’aube ; elle dura toute la matinée. Tout à coup Madame Ferré jeta l’alarme : « Voilà des gens à cheval qui accourent de ce côté. Ils vont entrer dans le château. Mon mari va vous mener dans une métairie dans les bois » (8). Les fugitifs sortirent par une porte dérobée, au moment où des hussards frappaient au portail de l’Escurays. Ils firent plus d’un quart de lieue (environ 1,2km) jusqu’à la Grée où les métayers (9), navrés de leur situation, les reçurent du mieux qu’ils purent. Ils y restèrent quelques jours.

Madame de Lescure se cachera encore plusieurs mois dans la région, au village de la Mélinais en Ponchâteau, au Bois-Divais en Besné, à la Bonnelière en Prinquiau. Elle trouvera enfin refuge en mai 1794 au château du Dréneuc, paroisse de Fégréac.
  

CPA Chateau de l EscuraysLe château de l'Escurays au début du XXe siècle. Il était alors la propriété de la famille de Maistre.
  


Notes :

  1. Marie-Louise-Victoire de Donissan avait épousé en premières noces, en 1791, Louis Marie de Lescure, mort pendant la Virée de Galerne, puis en secondes noces, en 1802, Louis de La Rochejaquelein, frère cadet d’Henri. C’est sous son nom de Madame de La Rochejaquelein que furent publiés ses Mémoires.
  2. Mémoires de la marquise de La Rochejaquelein, édition critique établie et présentée par Alain Gérard, C.V.R.H., 2010, p. 357.
  3. Pierre Jagault, un bénédictin qui fut membre du Conseil supérieur des Armées catholiques et royales. Voir sa biographie ici.
  4. Né en 1737, Guy-Joseph de Donnisan, officier sous l’Ancien Régime, fut nommé gouverneur des pays conquis par les Vendéens. Il sera capturé après la bataille de Savenay, à Montrelais, puis exécuté à Angers le 8 janvier 1794.
  5. Mémoires…, op. cit., p. 358.
  6. Pierre Ferré, le régisseur de l'Escurays, qui se montra heureux de l’arrivée des Vendéens à Savenay. Sa femme s’appelait Laurence Jagu.
  7. Mémoires…, op. cit., pp. 358-359.
  8. Ibidem.
  9. Julien Hoguet et Perrine Guérif.
      

Quelques photos de ma visite :

Escurays 17L'aile est du château et sa mansarde magnifiquement restaurée. Cet angle constitue la partie la plus ancienne des bâtiments, d'époque médiévale.

Escurays 10Une mansarde de l'aile nord et celle qui a été restaurée dans l'aile est

Escurays 11L'érosion du tuffaut a quasiment fait disparaître les ornements sculptés

Escurays 13La tour d'escalier à l'angle nord-est du château

Escurays 1Au rez-de-chaussée du corps de logis principal, la cheminée du séjour

Escurays 2À la base de l'escalier de la tour d'angle

Escurays 3Le bureau de la comtesse Odette de Rochechouart (1897-1974), épouse de Joseph de Maistre et mère du dernier propriétaire de l'Escurays

Escurays 4Pour accéder au premier étage, le bois remplace la pierre de l'escalier.

Escurays 5Le couloir desservant les chambres à l'étage ; à droite, la porte donnant accès à la bibliothèque, pièce ajoutée au XVIIIe siècle

Escurays 6Dans le grand salon, un vestige du parquet de 1785 que Madame de La Rochejaquelein a probablement foulé

Escurays 7Dans la bibliothèque, les restes d'une cheminée pillée après la disparition de Raymond de Maistre, dernier propriétaire de l'Escurays

Escurays 8Le puits restauré en 2012 par l'Association Renaissance du Patrimoine de l'Escurays (A.R.P.E.)

Escurays 9La cabane de la chèvre (au premier plan) et la maison du Bienveillant (à gauche, bâtiments de la fin XVIe ou début XVIIe siècle) ont également été restaurés par l'A.R.P.E.

Escurays 14Le château de l'Escurays vu depuis le jardin clos, également classé à l'Inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 1997

Escurays 16Une mansarde côté jardin porte le blason de la famille Espivent, propriétaire de l'Escurays à l'époque révolutionnaire (et jusqu'au début du XXe siècle)
     

L'A.R.P.E. dispose d'un site internet pour soutenir ses projets :

www.patrimoine-escurays-prinquiau.fr