C’est une belle découverte qu’a faite un jeune garçon dans le lit de la Jouanne, petite rivière qui traverse la commune d’Entrammes pour se jeter dans la Mayenne : un fusil anglais du XVIIIe siècle présenté comme l’arme d’un combattant vendéen, perdue au cours de la bataille qui se déroula ici le 26 octobre 1793.
Détail du fusil anglais découvert dans la Jouanne (photo France Bleu)
L’événement a rencontré un bel écho dans les médias tant locaux que nationaux, notamment France Bleu qui relate les propos de Mathias, 10 ans, l’inventeur (1) du fusil : « Il était planté dans la terre et la boue, j’ai dû forcer (…) Sur le métal, il y avait une couronne et il y avait marqué JR. Il y avait aussi des inscriptions sur le bois ». La proximité du champ de la bataille d’Entrammes, l’une des plus belles victoires obtenue par les Vendéens sur les armées républicaines qui les talonnaient au début de leur campagne d’outre-Loire, le samedi 26 octobre 1793, porta à croire que ce fusil anglais de type Brown Bess avait appartenu à un combattant royaliste. L’hypothèse devenue une certitude notamment en raison des marques gravées (2) est reprise dans tous les articles de presse.
Le hic de cette histoire est que les Anglais n’ont livré d’armes sur les côtes de Bretagne et de Vendée qu’à l’été 1795. Un débarquement eut lieu lors de l’affaire de Quiberon, quand 11.000 fusils anglais furent donnés le 27 juin aux Chouans de Cadoudal qui venaient de s’emparer de Carnac. La découverte d’une balle pour Brown Bess dans le sable aux abords du fort de Penthiève, dans la presqu'île, confirme que de telles armes ont circulé lors de ces opérations (3).
L'ombre du Chouan Tercier
Du côté vendéen, le débarquement se déroula du 10 au 26 août 1795 au profit de l’armée de Charette. Les quantités varient considérablement selon les sources, de 1.200 à 15.000 fusils (4). Jean-René Clergeau s’est intéressé à la question : « Il faut détruire la légende tenace des ''fusils anglais'' qui auraient armé de nombreux contingents vendéens. Ceux-ci, en effet, ne reçoivent pas d'armes britanniques, si ce n'est tardivement, et semble-t-il une seule fois, en 1795 lors de l'apparition fugitive du duc d'Artois (le futur Charles X) à l'île d'Yeu. Un débarquement assez important d'armes, munitions et équipements a lieu à Saint-Jean-de-Monts (5), matériel qui est scrupuleusement payé en blé par les Vendéens, qui ne veulent rien devoir aux Anglais, pour lesquels ils n’éprouvaient qu’une sympathie modérée. Les fusils livrés ne sont pas pour la plupart d'excellents ''Brown Bess'' de l'armée britannique, mais bien souvent des armes de traite réquisitionnées dans les magasins de la compagnie des Indes. Peut-être s’y ajoute-t-il quelques “Militia Model“ version simplifiée et de fabrication fruste du modèle réglementaire, destinée à la marine et à la milice, conservant souvent la baguette de bois ».
Quoiqu’il en soit, ces fusils anglais livrés en 1795 ne pouvaient équiper des combattants vendéens à Entrammes deux ans auparavant. Il semble plus probable que les armes débarquées à Carnac se soient dispersées dans les armées royalistes de l’Ouest, même jusqu’en Mayenne. La commune d’Entrammes fut en effet le théâtre de combats menés par les Chouans en 1795. Claude-Augustin Tercier y prit part en décembre de cette année (6). Or il se trouve que ce dernier débarqua le 27 juin 1795 à Carnac (7)… C’est une piste plus sûre pour retrouver l’histoire de ce fusil anglais repêché dans la Jouanne.
Notes :
- On appelle inventeur la personne qui découvre un objet ancien ou un trésor enfoui sous terre ou immergé dans l’eau.
- Jean-Marie Crosefinte notait pourtant que les fusils anglais du type Brown Bess « pourraient entretenir une curieuse confusion due au marquage particulier fait sur leur crosse, et qui inciterait leur propriétaire à les dater du premier soulèvement de la Vendée » (L’armement du combattant vendéen, 1989, p. 89).
- Vendée-Chouanneries : l’Ouest dans la Révolution, 1789-1832, 1993, p. 146.
- Patrick Avrillas, Les débarquements d’armes au temps des guerres de Vendée, Revue du Souvenir Vendéen n°276 (automne 2016), p. 15.
- Sur la plage des Becs (P. Avrillas, op. cit., pp. 12-15)
- Alphone Angot, Dictionnaire historique, topographique et biographique de la Mayenne, t. II, Entrammes (consultable sur le site des A.D. 53).
- Hubert Le Marle, Dictionnaire des Chouans de la Mayenne, 2005, p. 162.