On connaît la place qu’occupa la commune d’Ingrandes en première ligne face à l’insurrection vendéenne grâce aux Mémoires de Pierre-Julien Soudry qui en relata l’histoire de 1793 à 1800. Mais on devine aussi l’engagement républicain de ses habitants à la lecture des registres d’état civil, en particulier celui de l’an II.

Carte des lieux citesCarte des lieux cités dans l'article. Les communes d'origine de réfugiés de la Vendée cités dans les registres d'Ingrandes sont marquées en vert.
  

On remarque tout d’abord, au fil des actes de naissance et de décès, un nombre élevé de ce qu’on appelait alors les réfugiés de la Vendée, c’est-à-dire les habitants des parties insurgés de la Loire-Inférieure, du Maine-et-Loire, des Deux-Sèvres et de la Vendée, qui avaient fui leur domicile pour se mettre à l’abri dans des communes restées fidèles à la République. La plupart venaient des Mauges : Saint-Florent-le-Vieil (Montglonne selon la toponymie républicaine), Montjean, Le Mesnil, Saint-Pierre-Montlimart, etc. (les vues renvoient au registre d’état civil d’Ingrandes-sur-Loire, NMD 1793-An V) :

  • Le 11 mai 1793 est déclarée la naissance de Jeanne, fille de Jean Bourget, laboureur à Montjean, et d’Anne Leduc qui « est accouchée le quinze mars de la présente année » à la Chemillère, commune de Montjean (vue 14/197).
  • Le 14 mai 1793 est déclarée la naissance de Véronique, fille de René Thouin, laboureur à la Teste des Peaux, commune de Montjean, et Jacquine Brullon est accouchée le 13 dans sa maison (vue 15).
  • Le 22 août 1793 est déclaré le décès de René Chauvet, garçon laboureur de 23 ans, fils de Marthurin Chauvet et Marguerite Margotteau, de la paroisse du Mesnil, décédé la veille (vue 62).

Il n’est pas rare non plus de trouver des personnes venues de communes riveraines de la rive droite de la Loire, comme Montrelais et Varades, ou de la région du Loroux :

  • Le 12 germinal an II (1er avril 1794) est déclarée la naissance d’Anne, fille de Pierre Gohaut, « laboureur de la commune du Loroux Bottreau, réfugié à Nantes et se rendant en vertu de l’arrêté des représentants du peuple à Orléans » (1), et de Jeanne Burassieu qui est accouché ce jour (vue 27).

 

Bastille, L’Être (suprême), et autres « républiquains »

On relève dans ce registre de l’an II deux actes dans lesquels les plus fervents patriotes d’Ingrandes affichent leurs convictions républicaines en attribuant à leur progéniture des prénoms inspirés. Le premier, daté du 20 prairial an II (8 juin 1794), soit le jour de la fête de l’Être suprême, a valu au fils de Guillaume Robert, perruquier, et de Magdelaine-Françoise Poiphelon, le prénom de « L’Être » ! (vue 30)

Une semaine plus tard, le 27 prairial an II (15 juin 1794), vient la déclaration de naissance de la fille de Perrine Macé, épouse de Renée Épiard, « de présent au service de la république et domicilié du Mont-Glonne ». « Laditte femme Épiard, se refugiant à Saumur et passant en cette commune (Ingrandes), est accouchée du jour d’hier, deux heures du soir, dans un bateau, d’un enfant femelle auquel il a (été) donné le prénom de Bastille ». (vue 31)

Un autre exemple significatif est inscrit parmi les mariages à la date du 3 germinal an II (23 mars 1794). Ce jour-là ont comparu à la maison commune d’Ingrandes les membres d’une famille on ne peut plus patriote : « d’une part le républiquain François Demangeat, régisseur de la fonderie nationalle d’Indret, âgé de trente-quatre ans, natif de la commune du Bonhomme, district de Colmar, département du Haut-Rhin (…), fils du républiquain Jean George Demangeat et de feu Marie Jeanne Flotat (…) ; d’autre part la républiquaine Ursulle Anne Allard, native du Mont-Glonne cy-devant Saint-Florent et domiciliée de cette commune, âgée d’environ vingt-deux ans, fille du républiquain Jean-François Allard, officier de santé, et de la républiquaine Ursulle Agathe Tourmeau… » (vue 46)
  

Naissance de LEtre RobertExtrait de l'acte de naissance de L'Être Robert, né le jour de la fête de l'Être suprême, le 20 prairial an II (8 juin 1794)
   

La déroute d’Ingrandes

Neuf actes de décès concernent l’un des premiers combats de la Virée de Galerne quelques jours après le passage de la Loire par l’armée vendéenne le 18 octobre 1793. La municipalité d’Ingrandes s’était mise en alerte la veille, appelant ses habitants à s’armer de fusils, de piques et de fourches pour tenter de repousser les insurgés. Elle venait de recevoir en outre le renfort d’une troupe commandée par l’adjudant général Philippe-Joseph Tabary, ce qui ne fut pas suffisant. Quelques coups de canons les dispersèrent et le samedi 19, au matin, les Vendéens entraient dans Ingrandes, chassant leurs ennemis jusqu’à Saint-Georges-sur-Loire (2).

Au cours de l’affrontement périrent les personnes suivantes :

  • Jacques Leroy, surnommé Duverger, 47 ans, domicilié à Seiches (Maine-et-Loire), décédé le 20 octobre « par un coup de feu qu’il a reçu dans une attaque avec les rebelles de la Vendée qui a eu lieu ledit jour vingt près le village de la Riotière en cette commune, lequel avait été enterré sur le lieu de l’attaque, et cejourd’huy exhumé (…) dont le corps a été de suite transporté et inhumé dans le cimetière… » (décès déclaré le 28 octobre 1793, vue 66).
  • Jacques Deslande, maître marinier, 63 ans, natif des Tuffeaux, fils de Jacques Deslande et Marie Berthelot, époux de Marie Griffon, « décédé du dix-neuf du mois dernier de plusieurs coups de sabre et bayonnettes qu’il a reçu dans une attaque qui a eu lieu ledit jour (en marge : avec les rebelles de la Vendée) près la métairie du Pont Thébaut en la paroisse de Champtocé (Maine-et-Loire) » (décès déclaré le 4 novembre 1793, vue 66).
  • Mathurin Robert, maître marinier, 59 ans, fils de Mathurin Robert et Marie Fleury, veuf d’Anne Moreau, domicilié à Montrelais (Loire-Inférieure), « décédé du dix-neuf du mois dernier de plusieurs coups de sabre et bayonnette qu’il a reçu dans une attaque qui a eu lieu ledit jour contre les rebelles de la Vendée près la métairie nommée le Pré Robin en la commune de Champtocé » (décès déclaré le 4 novembre 1793, vue 66).
  • Jacques-Jean Chabain, 62 ans, époux de Perrine Gallard, « tué en cette commune le dix-neuf du présent mois, jour de la déroute d’Ingrandes » (décès déclaré le 29 octobre 1793, vue 67).
  • Jean Chabosse, 33 ans, fils de Jean Chabosse et Jeanne Grossion, de la commune de Montrelais, « décédé de plusieurs coups de sabres et bayonnettes qu’il a reçu par les Brigands de la Vendée, près le Bois-Badel (?) en cette commune » (décès déclaré le 13 novembre 1793, vue 68).
  • Jean Martin, sabotier, 60 ans, fils de Charles Martin et Mathurine Landais, originaire de Saint-Lambert-du-Lattay (Maine-et-Loire), « décédé du dix-neuf du mois dernier d’un coup de feu et de plusieurs coups de sabre qu’il a reçu dans une attaque qui a eu lieu ledit jour contre les rebelles de la Vendée sur la grande route de Nantes à Angers en cette commune (Ingrandes) » (décès déclaré le 30 novembre 1793, vue 68).
  • Jacques Bossard, facteur de la poste aux lettres, 75 ans, fils de René Bossard et Marie Épiné, originaire de Saint-Géréon (Loire-Inférieure), « décédé le dix-neuf du mois dernier de plusieurs coups de sabre qu’il a reçu des rebelles de la Vendée dans une attaque qui a eu lieu ledit jour contre lesdits rebelles près le bourg et en la commune de Champtocé » (décès déclaré le 14 novembre 1793, vue 69).
  • Mathurin Poiphelon, « homme d’arme » servant dans le bataillon d’Ingrandes, a été vu près de Champtocé le 19 octobre dernier, « enveloppé par un ploton (peloton) de Brigands qui l’assassinèrent ». Les quatre volontaires du même bataillon, qui témoignent de ce décès, « ont l’intime conviction qu’il a perri sous les coups de ces scélérats, car depuis cette époque ils ne l’ont pas revu ». (décès déclaré le 20 nivôse an II, 9 janvier 1794, vue 71).
  • On lit enfin, à la date du 20 nivôse an II (9 janvier 1794), la transcription de l’acte constatant le décès de Jean Bouet, serger, 52 ans, extrait du registre de Champtocé. Cet acte établit, le 11 novembre 1793, que Jean Bouet a « été tué dans cette commune le dix-neuf octobre dernier, jour de la déroute d’Ingrandes » (vues 71-72).
      

Deces de Jacques LeroyExtrait de l'acte de décès de Jacques Leroy, dit Duverger, tué dans le combat près de la Riottière d'Ingrandes le 20 octobre 1793
  

Des soldats républicains décédés à Ingrandes

Le registre des décès témoigne également que des soldats républicains sont morts en passant à Ingrandes :

  • Le 29 août 1793 est déclaré le décès de Soserie Alche (sic), soldat du 62e bataillon de la République, âgé de 18 ans, né à Sélestat en Alsace, mort la veille à la maison curiale d’Ingrandes (vue 63).
  • Le 5 ventôse an II (23 février 1794) est déclaré le décès de Jacques Bizière, environ 20 ans, « soldat des troupes de la république, venant de l’hopital d’Ancenis et allant en celle d’Angers » (vue 74).
  • Le 16 ventôse an II (6 mars 1794) est déclaré le décès de Mathurin Joüé, « natif de Montjean (Maine-et-Loire) et soldat des troupes de la république, venant du Mont-Glonne allant à Angers », décédé ce jour à Ingrandes (vue 75).
  • Le 30 ventôse an II (20 mars 1794) est déclaré le décès d’un « soldat de la république, inconnu de nom, agé d’environ vingt ans, sans aucuns papiers qui constate son nom, lequel venait d’Ancenis et se rendait à Angers », décédé ce jour à Ingrandes (vue 76). Il existe toujours dans le cimetière d'Ingrandes la tombe d'un soldat bleu inconnu.
  • Un dernier acte de décès, plus marginal puisqu’il n’est pas lié à la guerre en Vendée, est noté à la date du 10 thermidor an II (28 juillet 1794, jour de l’exécution de Robespierre). Il s’agit de la transcription d’un acte de notoriété constatant le décès de Maurice Gazeau, sur la déclaration de Jacques Ravay, soldat invalide sortant du 25e régiment d’infanterie ci-devant Poitou, résidant à Ingrandes. Maurice Gazeau, fils de Renée Bruneau veuve Gazeau, servait avec le déclarant dans le même régiment où il s’était enrôlé dans cette commune le 1er mai 1791. Il était son chef de file et combattait avec lui le 22 mars 1793 lors de la retraite de Maestriek (Maastricht) de l’armée que commandait « le traitre Dumouriez » ; il y fut tué par un boulet de canon qui lui emporta la cuisse et lui donna la mort près la Montagne de Fer, entre Louvain et Tirlemont, où il expira sur le champ du coup qui l’avait frappé (vue 82-83).
      

Soldat inconnu de nomExtrait de l'acte de décès d'un soldat de la République, inconnu de nom
  

Les réfugiés à Ingrandes en 1794

On retrouve ensuite, d’avril à août 1794, beaucoup d’actes concernant des réfugiés de la Vendée, certains ne faisant que passer à Ingrandes par bateau (3) :

  • Le 22 germinal an II (11 avril 1794), Pierre Gohos (Gohaut), « réfugié en cette commune », déclare le décès de son fils Henry, 7 ans, natif du Loroux-Bottereau (Loire-Inférieure), décédé ce jour (vue 77).
  • Le 6 floréal an II (25 avril 1794), Pierre Babin, voiturier par eau, et Jacques Voisine, voiturier du bataillon de Marat, déclarent « que conduisant en bateau des réfugiés, il serait décédé à bord dudit bateau le jour d’hier à cinq heures du soir le nommé Pierre Epoudry, agé de douze ans, de la commune de Liré (Maine-et-Loire), fils de Jean Epoudry et de Françoise Jousse ; qu’ils avaient enterré ledit Pierre Epoudry au village du Marillais » (vue 77).
  • Le 24 floréal an II (13 mai 1794), Pierre Robin et René Métivier, voituriers par eau d’Ingrandes et de Chalonnes, qui conduisaient des réfugiés dans leur bateau, déclarent que Mathurin Mallet, laboureur domicilié en la commune de Saint-Hilaire-de-Loulay (Vendée), 68 ans, est décédé en leur bateau le jour d’hier. (vue 78).
  • Le 2 prairial an II (21 mai 1794) est déclaré le décès de Michel Pineau, tisserand de 60 ans, originaire de la commune de Champtoceaux (Maine-et-Loire), décédé du jour d’hier (vue 79).
  • Le 17 prairial an II (5 juin 1794) est déclaré le décès de Joseph Suteau, 3 ans et 6 mois, fils de Pierre Suteau et de François Vincent, domiciliés de la commune de Saint-Pierre-Montlimart (Maine-et-Loire) et réfugiés à Ingrandes, décédé de ce jour (vue 79).
  • Le 18 prairial an II (6 juin 1794) est déclaré le décès de Pierre Gohos (Gohaut), laboureur âgé de 50 ans, domicilié de la commune du Loroux-Bottereau, époux de Jeanne Burassieu, réfugié à Ingrandes, décédé de ce jour (vue 80 ; voir ci-dessus au 22 germinal an II).
  • Le 20 prairial an II (8 juin 1794), Jacques Robineau, domicilié de la commune de Saint-Pierre-Montlimart (Maine-et-Loire) et réfugié à Ingrandes, époux de Perrine Moinet, déclare le décès de sa fille Perrine, 16 mois, décédée du jour d’hier (vue 80).
  • Le 4 messidor an II (22 juin 1794) est déclaré le décès de Sébastien-Louis Luçon, 3 ans, natif de Saint-Laurent-de-la-Plaine (Maine-et-Loire), fils de feu Louis Luçon et de François Chalin, décédé de ce jour « en la maison du citoyen Simon, marchant boulanger où il était réfugié » (vue 80).
  • Le 14 messidor an II (2 juillet 1794) est déclaré le décès de Marie Delaunay, âgée d’environ 48 ans, originaire de la commune de Montglonne (Maine-et-Loire), fille de Brice Delaunay et de Marie Rethoré, veuve en premier mariage de François Grigné et épouse en second mariage de Pierre Robin, marchand tailleur, décédé ce jour (vue 81).
  • Le 28 messidor an II (16 juillet 1794) est déclaré le décès de Marie Burgevin, veuve de René Girault, âgée de 52 ans, domiciliée en la commune du Mesnil (Maine-et-Loire) et réfugié à Ingrandes, décédée ce jour (vue 81).
  • Le 21 thermidor an II (8 août 1794),  Jeanne Rochard, veuve de René Girault, domiciliée de la commune du Mesnil (Maine-et-Loire), et réfugiée à Ingrandes, déclare le décès de sa fille Marie, 3 ans, décédée de ce jour (vue 84).
  • Le 22 thermidor an II (9 août 1794), Pierre Suteau, époux de Françoise Vincent, domicilié de la commune de Saint-Pierre-Montlimart (Maine-et-Loire) et réfugié à Ingrandes, déclare le décès de sa fille Émée, 14 mois, décédé de ce jour (vue 84).
  • Le 10 fructidor an II (27 août 1794) est déclaré le décès de Jacques Lemelle, 9 ans, originaire du Fuilet (Maine-et-Loire) et réfugié à Ingrandes, fils de Julien Lemelle et Marie Mesnard, décédé de ce jour (vue 85).
      

Deces de Pierre EpoudryExtrait de l'acte de décès de Pierre Epoudry, enfant de douze ans originaire de Liré, décédé à Ingrandes à bord d'un bateau de réfugiés
  

Le fin de fructidor nous fait passer en l’an III. Les actes concernant des réfugiés de la Vendée à Ingrandes se font ensuite plus rares jusqu’en floréal (avril 1795), à l’époque où certains ont commencé à rentrer au pays à la faveur des traités de paix signés entre les Vendéens et les représentants de la Convention. En feuilletant le registre plus avant, de nouvelles menaces se profilent cependant, cette fois venues du nord du département où les Chouans attaquent les villes patriotes de l’Anjou, notamment Ingrandes le 20 juillet 1795 (vue 128), mais cela est une autre histoire.
  


Notes :

  1. Le 2 ventôse an II (20 février 1794), les représentants du peuple Hentz, Garrau et Francastel ordonnèrent aux réfugiés de la Vendée de s'éloigner du théâtre de la guerre de plus de 20 lieues, soit près de 100 km.
  2. Pierre Gréau, La marche sanglante des Vendéens. La Virée de Galerne, 18 octobre – 23 décembre 1793, Pays et Terroirs, 2012, p. 100. On lira aussi le chapitre des Mémoires de Julien-Pierre Soudry qui évoque ces événements : « Le 19 octobre, nous revînmes à Ingrandes où à peine nous fûmes arrivés que le bruit se répandit que les brigands étaient à la Riottière en très grand nombre et que nous n’étions pas de force à leur résister, que nous étions perdus si nous restions plus longtemps. Cela ne m’empêchait pas de dire que tout cela allait très mal, que si les brigands avaient doublé leurs forces comme ils pouvaient le faire puisque ce n’était que leur avant garde qui nous donnait la chasse, ils auraient pu, ma foi, rentrer à Angers. C’est comme l’adjudant général Tabary qui s’est très mal comporté dans cette affaire, il a été guillotiné à Angers avec sa putain… »
  3. Comme on l’a vu à Béhuard dans cet article.