Ce jour anniversaire de la mort d’Henri de La Rochejaquelein voit fleurir sur internet, comme chaque année, des hommages au héros vendéen tué dans une escarmouche que presque tous situent à Nuaillé, alors que les faits ont eu lieu sur la commune de Cholet. Mais cela n’est rien au regard de questions que soulève cet événement.

Mort de La RochejaqueleinLa mort d'Henri de La Rochejaquelein, le mardi 28 janvier 1794, d'après l'album Hauts lieux et hauts faits des guerres de Vendée
    

Rappelons brièvement les événements qui ont précédé ce jour funeste. Sur le chemin du retour de la Virée de Galerne, La Rochejaquelein, Stofflet et quelques officiers parviennent à repasser la Loire du côté d’Ancenis le 16 décembre 1793. Une patrouille républicaine les surprend, précipite leur fuite vers l’intérieur du pays, les séparant du reste de l’armée prisonnière de l’autre rive du fleuve. Pendant quelques semaines, les rescapés d’outre-Loire vont errer à travers les Mauges, passer par Trémentines, Maulévrier et Châtillon, avant d’atteindre la métairie du Bois-Vert près de Combrand.

À la mi-janvier, tandis que se mettent en marche les colonnes incendiaires de Turreau, la bande d'insurgés grossit peu à peu autour de ses derniers chefs, suffisamment pour lancer quelques attaques ciblées dans la région de Vihiers. Rejoints par la petite armée de Pierre Cathelineau et de M. de La Bouëre (1), les hommes de La Rochejaquelein enchaînent le 25 en battant un détachement ennemi au moulin de Grouteau près de Neuvy-en-Mauges, avant de marcher le lendemain sur Chemillé pour en chasser les Bleus. Ils se replient ensuite vers la forêt de Vezins pour y reprendre des forces. Le 27 au soir, ils installent leur bivouac dans les taillis de la Vallonnerie, près de Nuaillé.

Le 28 janvier au matin, en pénétrant dans le bourg de Nuaillé, La Rochejaquelein, Stofflet, La Bouëre, La Ville-Baugé et leurs hommes surprennent des Bleus qui pillaient des maisons. Après une fusillade d’à peine une heure, ces derniers déguerpissent en direction de Cholet, talonnés par les Vendéens.

« Monsieur Henri » est tué au coin du Pré du Genêt

La route de l’époque n’a guère à voir avec celle qu’on emprunte aujourd’hui entre Nuaillé et Cholet. Moins rectiligne, elle suivait un tracé décalé vers le nord-ouest. C’est sur ce mauvais chemin, que les pluies d’hiver rendaient difficilement praticable (2), que la poursuite s’engagea.

À la hauteur du Pré du Genêt, sur la gauche en venant de Nuaillé, un Bleu qui désespérait de se sauver s’adosse à un arbre, met en joue un cavalier qu’il reconnaît comme un chef, et l’atteint d’une balle en pleine tête. La Rochejaquelein tombe aussitôt à bas de son cheval. Son épopée prend fin ici, au bord du chemin, à la pointe de ce Pré du Genêt.

Le Bleu qui s’est enfui est promptement rattrapé 500 m plus loin par cinq gars (3) qui l’exécutent sèchement à coups de sabre et de baïonnette dans un petit verger, au-delà de la métairie de la Haie-Bureau.
 

La RochejaqueleinLocalisation des lieux relatifs à la mort d'Henri de La Rochejaquelein, sur le cadastre napoléonien de la commune de Cholet (A.D. 49, 1811), avec le tracé de l'ancienne route de Cholet à Nuaillé (la carte n'est pas orientée vers le nord, mais axée sur la route rectiligne tracée sous l'Empire)
   

Les trois fosses

D’après le témoignage de Jacques Bouchet de Saint-Pierre de Cholet (4), qui figurait parmi les poursuivants du Bleu, et ceux des métayers de la Boulinière, on décide d’enterrer « Monsieur Henri » sur le lieu même de sa mort (5). Leurs hommes s’en vont quérir des pelles et des pioches dans les métairies voisines de la Haie-Bureau et de la Brisonnière, vides de leurs habitants, et jusqu’à la Boulinière d’où l’on ramène le métayer Girard qui accepte d’ensevelir le général vendéen.

Girard creuse une fosse dans la Prée de la Brissonnière, autre appellation du Pré du Genêt, mais on estime que l’endroit situé aux abords du chemin est trop exposé. Le corps est alors déplacé dans le jardin de la métairie de la Haie-Bureau pour y être inhumé tout contre un buisson. Pourtant on juge à nouveau qu’il pourrait encore être découvert par les républicains. Le cortège se met en marche dans la direction de Cholet avec la dépouille de « Monsieur Henri », puis s’arrête à 250 m de la Haie-Bureau, dans le verger où le Bleu a été sabré. Là, sous un pommier, Girard creuse une troisième fois une fosse profonde. C’est à cet endroit que s’élève de nos jours le cénotaphe au bord de la route de Cholet à Nuaillé.
      

Le Pre du Genet 2Localisation actuelle du Pré du Genêt, du lieu de la mort d'Henri La Rochejaquelein, et de son cénotaphe
   

À la recherche du corps de « Monsieur Henri »

Plusieurs historiens rapportent qu’on plaça le corps d’Henri et celui de son meurtrier dans la même fosse, afin de préserver le premier si les républicains venaient à fouiller par ici. L’abbé Deniau l’affirme lui-même en s’appuyant sur le témoignage d’un contemporain, sans le citer. Toutefois M. de La Bouëre contesta ce fait, affirmant que les Vendéens auraient vu la chose comme une profanation, alors même qu’il n’assista pas à la scène (6).

On lit çà et là que le corps de « Monsieur Henri » aurait été extrait de cette tombe provisoire pour être à nouveau enterré dans le cimetière de Nuaillé, ou bien à Trémentines (7). M. de La Bouëre ajoute au mystère en prétendant qu’on transporta ce corps aux Aubiers à l’été 1794 (8).

Et pourtant on exhuma bien un corps à l’endroit indiqué, vingt-deux ans plus tard. Le 27 mars 1816, en effet, le maire de Cholet (9) accompagné de chirurgiens et de médecins, d’un groupe de terrassiers et de nombreux curieux, vinrent retourner la terre du Pré du Genêt, là où la tradition orale plaçait la mort et l’inhumation de La Rochejaquelein. On n’y trouva rien.

La veuve Girard, de la Boulinière, intervint alors et guida le lendemain l’équipe de fouille au-delà de la Haie-Bureau, à l’angle du Grand Pré et du Champ du Tremble. On y découvrit un squelette, un seul, qui portait la marque d’une balle entrée par l’œil. On en conclut par conséquent, sur la foi de quelques témoins, qu’il s’agissait du chef vendéen. Les restes furent déposés dans un cercueil, qu’on emporta à l’église Saint-Pierre de Cholet pour un service religieux. Ils seront transférés en 1817 à Saint-Aubin-de-Baubigné où ils reposent aujourd’hui.

S’il n’y avait qu’un seul squelette dans cette fosse qui aurait dû en contenir deux, c’est probablement que la dépouille qu’on avait transportée aux Aubiers au cours de l’été 1794 comme le rapporte M. de La Bouëre, était celle du meurtrier de La Rochejaquelein (10).

Il reste de cette mémoire douloureuse pour les Vendéens un monument érigé à l’emplacement de cette première sépulture, tout près de la sortie de Cholet en direction de Saumur, un peu à l’écart de la route sur la droite. Tous les lieux de cette histoire, le Pré du Genêt, la Brissonnière, la Haie-Bureau et la Boulinière, se situent donc bien sur la commune de Cholet, et non de Nuaillé.
   


Notes :

  1. Poirier de Beauvais estime l’effectif de la petite armée de Pierre Cathelineau, l’un des frères de Jacques, à 800 combattants (Mémoires inédits de Bertrand Poirier de Beauvais, p. 241). Ces hommes qui n’avaient pas pris part à la Virée de Galerne étaient restés dans les Mauges pour résister à la reprise de ce territoire par les républicains après la défaite des Vendéens à Cholet le 17 octobre 1793.
  2. Dans son Précis historique sur la guerre de Vendée, Gibert, secrétaire de Stofflet, décrit l’épisode de la mort de La Rochejaquelein « dans un chemin creux environné de fossés pleins d’eau » (Revue de l’Anjou, t. XXIX, p. 38).
  3. L’abbé Deniau cite Jacques Bouchet, de Saint-Pierre de Cholet. On trouve aussi, dans les Souvenirs de Pauvert, de La Jubaudière, les noms de « Braud, de la Jubodière, Meunier, Gaudin, de Saint-Martin de Beaupréau, et Boissière, aussi de Beaupréau » (Souvenirs inédits de Pauvert de La Jubaudière, officier supérieur et commissaire général des vivres de l'armée vendéenne, sur la guerre de Vendée, publiés dans La Vendée historique et traditioniste, février 1910).
  4. Rapporté par l’abbé Deniau (Histoire de la Vendée, t. IV, pp. 213-214).
  5. « M. Stofflet fit enlever le corps du général dans la nuit suivante et le fit enterrer un peu plus bas en disant au quartier général que les scélérats ne pourraient le trouver » (Souvenirs inédits de Pauvert).
  6. M. de La Bouëre n’a pas assisté à l’inhumation d’après le récit qu’il en fit. Il se trouvait encore à Nuaillé avec le gros de la troupe, à liquider les derniers Bleus, quand il apprit la nouvelle de la mort de La Rochejaquelein. « Stofflet courut sur le lieu où venait de se passer cet événement tragique ; quant à moi, je n’en eus pas le courage » (Souvenirs de la comtesse de La Bouëre, p. 141). Il ajoute qu’il fallait éloigner l’armée promptement (en direction de Saint-Macaire-en-Mauges) pour ne pas décourager les hommes.
  7. Deniau, op. cit., p. 214, note 1.
  8. Souvenirs de la comtesse de La Bouëre, op. cit., p. 140.
  9. François-Joseph Turpault. Sa présence prouve, s’il en était besoin, que La Rochejaquelein fut bien tué et inhumé sur la commune de Cholet, et non de Nuaillé.
  10. Le corps exhumé en 1816 portait la trace d’un coup de fusil dans le crâne, alors que le meurtrier de La Rochejaquelein avait été percé de coups de sabre et de baïonnette.