En feuilletant les papiers de l’administration du canton des Herbiers de l’an IV à l’an VIII (je conçois que ce passe-temps puisse paraître saugrenu), j’ai relevé à trois reprises le nom du Puy du Fou dans une affaire qui interpella le commissaire du directoire exécutif à la fin de l’année 1796.

Le Puy du FouLe château du Puy du Fou, estampe d'Octave de Rochebrune (1861)
   

Le citoyen Allaire, commissaire du directoire exécutif près l’administration de canton des Herbiers (1), fut informé le 10 brumaire an V (31 octobre 1796) par Coyaud, son supérieur près l’administration du département de la Vendée, « qu’il y avoit un étranger au ci-devant château du Puy du Fou, canton de la Flocelière, qui se disoit régisseur ». Il lui répondit le 21 brumaire (11 novembre) que cet étranger « a été pris ce matin, il s’apelle Lelièvre, imprimeur à Paris, suivant son passeport ; il devait aller dans le département de Maine-et-Loire. On a trouvé trois fusils chez luy, deux à deux coups et un simple. Je crois très fort que c’est un ennemi qui se cache, poursuit Allaire ; je vous prie de le recommander auprès de l’accusateur public. Il y a un de ses fusils qui a été racommodé (mot illisible), il a déclaré que c’était un forgeron qui demeuroit au château qui l’avait fait ; il a y apparence que c’est un armurier, ce qui me paroit suspect. Il paroit, suivant ses papiers que l’on a trouvé chez lui, qu’il a été autorisé d’avoir des fusils en question par l’administration du canton de la Flocelière… » (2)
   

L 241Extrait de la lettre d'Allaire à Coyaud, 21 brumaire an V (A.D. 85, L 241)
   

Allaire n’en resta pas là dans son enquête. Trois jours après il adressa une nouvelle lettre à Coyaud : « Depuis la Révolution, je crois que la terre du Puy du Fou a changé de plusieurs maitres. Le dernier étoit Laverdy qui a été guillotiné. Il a laissé une fille qui a épousé un de la Briffe ; il ne paroit pas que cella soit luy qui en jouit… » La terre du Puy du Fou est en effet passé de main en main en cette fin de XVIIIe siècle. Elle fut vendue en 1788 par Pierre-Ambroise de La Forest, marquis d’Armaillé, à Louis-Isaac de Marconnay, qui la revendit dès 1791, juste avant de partir en émigration, à Clément de L’Averdy (3). Ce dernier passa devant le tribunal révolutionnaire de Paris qui le condamna à mort comme accapareur et l’envoya à la guillotine le 24 novembre 1793.

Le Puy du Fou « n’appartient-il pas à la République ? »

L’Averdy avait laissé trois filles : Catherine, marié à Arnaud-Barthélémy de La Briffe ; Paule, mariée à Louis-Henry-Rogatien de Sesmaisons ; et Angélique, mariée à Louis-Pierre-François Godard de Belbeuf, qui émigra en août 1792 pour servir dans l’armée des princes. Allaire s’interroge cependant quant à l’héritage du Puy du Fou : « Ce domaine n’appartient-il pas à la République ? demande-t-il à Coyaud le 24 brumaire (14 novembre). Il mérite bien qu’on en fasse un examen scrupuleux. En conséquence je vous donne cet avis, afin que vous preniez tous les éclaircissements à cet égard ». Pourtant, et en dépit du jugement qui avait envoyé son propriétaire à la mort en 1793, la terre du Puy du Fou échappa à la confiscation. Les circonstances de sa transmission restent obscures, mais c’est bien Angélique de L’Averdy et son mari rentré d’émigration qui finirent par la récupérer en 1801 (4).

L’empressement d’Allaire à se saisir de cette affaire lui joua un mauvais tour. Coyaud lui fit un reproche, à quoi l’intéressé répondit dans une lettre du 16 frimaire (6 décembre) : « Je ne sais pourquoi vous m’accusez (…) d’avoir trop de zèle et de me laisser égarer jusqu’au point d’outre passer mes pouvoirs (…) Ne serait-ce pas la prise de l’homme d’affaire du Puy du Fou qui me vaudroit cette réprimande, et ce que c’est moy qui l’ai fait prendre ? Quand notre troupe fait quelque patrouille, suis-je toujours avec elle ? Cependant je vous dirai franchement qu’elle me consulta avant de le faire ; il est vrai que je lui dis ce qui étoit bon à prendre… » À lire la suite de son propos, on devine qu’Allaire dut être blâmé parce qu’il intervint sur le territoire du canton de La Flocellière, c’est-à-dire en dehors de sa circonscription. Il note d’ailleurs, en parlant de Lelièvre : « S’il habitait mon canton, je ne le laisserais pas de même… » Toutefois Allaire a peut-être vu juste en pensant que « l’homme d’affaire du Puy du Fou » n’était pas étranger à cette réprimande.

L’ascension de Gilles-Benoît Lelièvre

Mais qui était ce régisseur du Puy du Fou qu’Allaire accusait d’être « ce qu’il y a de plus aristocratte » ? Il s’appelait Gilles-Benoît Lelièvre, exerçait à Paris comme clerc de notaire, et avait été envoyé en Vendée en 1795, à l’âge de 23 ans (5), à la demande des héritiers de feu Clément de L’Averdy. Désigné par ceux-ci comme régisseur, il s’installa dans l’aile gauche du château, celle qui avait échappé à l’incendie allumé par les soldats de la colonne de Boucret, qui dévastèrent Les Épesses du 27 au 30 janvier 1794 (6). Comme le feu avait détruit les archives, Lelièvre s’employa à retrouver les baux des métairies et des moulins afin de reconstituer le domaine, prenant ainsi la relève de l’ancien sénéchal, Charles-Joachim Girault (7). Dans une notice qu’il rédigea en 1884 sur le Puy du Fou, l’abbé Bréau, curé des Épesses, rapporte que deux des gendres de Clément de L’Averdy, MM. de La Briffe et de Sesmaisons, vinrent au château pour en constater l’état et en explorer les souterrains, probablement aux environs de 1796 (8).
   

Signatures de Lelievre La Briffe SesmaisonsSignatures des gendres de Clément de L'Averdy (MM. Sesmaisons et La Briffe) et de Gilles-Benoît Lelièvre sur le bail de la métairie du Presson, en date du 9 vendémiaire an IX (A.D. 85, 3 E 22 1-1-2, An VIII-An XI (1799-1803), vue 46/567)
   

Gilles-Benoît Lelièvre fit souche en Vendée lorsqu’il épousa, le 9 janvier 1797, Prudence-Perrine Chapelain, une fille du pays. Elle était la sœur, d’une part de l’abbé Pierre-Marie Chapelain, vicaire insermenté de Saint-Hilaire-de-Mortagne, massacré par les soldats de Boucret le 28 janvier 1794 ; d’autre part de Vincent Chapelain, un républicain modéré qui avait été élu député de la Vendée au Conseil des Cinq-Cents en octobre 1795 (9). Ce beau-frère bien placé a-t-il protégé Lelièvre quand Allaire envoya la troupe au Puy du Fou en novembre 1796 ? On peut l’imaginer, d’autant mieux que ledit Allaire annonça dans une lettre du 13 vendémiaire an VI (4 octobre 1797) qu’il devait quitter le département « avec douleur ».

Débarrassé de cet importun, Lelièvre poursuivit ses affaires au Puy du Fou, et devint même un notable aux Épesses. En 1798 son nom figure dans le tableau de l’administration du canton de La Flocellière, au titre de président (10). Deux ans plus tard, il fut nommé notaire public, charge qu’il exerça au château du Puy du Fou où il continuait de résider (11). Il resta d’ailleurs toujours lié à la famille de L’Averdy. Maître Lelièvre occupa en outre les fonctions de maire des Épesses de 1800 à 1830, et c’est son fils, Benoît-Clément-Prosper, qui lui succéda en 1830 (12). Il mourut aux Épesses le 19 mars 1850, à l’âge de 78 ans. Le cimetière communal n'en a pas conservé la tombe. 
    


Notes :

  1. La Constitution de l’an III réforma l’organisation du territoire en supprimant les districts. Les communes furent alors regroupées en « municipalités de canton » de 1795 à 1800. Celle des Herbiers comprenait : Les Herbiers, Le Petit-Bourg, Ardelay, La Barotière, Chambretaud et Beaurepaire. Pour la suite de l’histoire, la commune des Épesses, où se situe le Puy du Fou, relevait du canton de La Flocellière.
  2. Toutes les lettres d’Allaire citées dans cet article sont conservées aux A.D. 85 sous la cote L 241.
  3. Né en 1724, Clément-Charles-François de L’Averdy avait été avocat, puis conseiller au Parlement de Paris. En 1763, il fut nommé par Louis XV contrôleur général des finances, fonction qu’il occupa pendant cinq années.
  4. Frédéric Richard-Maupillier, Jean-Baptiste-Armand Maupillier (1785-1851). Au fil des saisons au Puy du Fou, supplément au bulletin Nos trois branches, n°83, décembre 2016.
  5. Il était né le 22 mars 1772 à Garancières (Yvelines). Enfant naturel, il fut légitimé lors du remariage de sa mère trois ans plus tard (F. Richard-Maupillier, op. cit., p. 11). 
  6. Jean-Julien Savary, Guerres de Vendéens et des Chouans contre la République française, 1824-1827, t. III, pp. 85, 95, 98, 108 (Boucret arrive aux Épesses le 26 janvier à cinq heures du soir ; il se dirige ensuite sur Chambretaud où il parvient le 31 à trois heures et demie).
  7. Sénéchal du Puy du Fou depuis 1789, Charles-Joachim Girault fut tué par les Bleus à Chambretaud en juin 1794.  
  8. Pierre Bréau, Notes inédites sur le Puy du Fou et ses Seigneurs, Revue du Bas-Poitou, 1942, p. 147.
  9. Prudence-Perrine avait aussi un oncle dans le camp vendéen, Honoré Chapelain, chirurgien, membre du comité royaliste de Saint-Prouant. Pourchassé par la garde nationale du Boupère à la fin de l’année 1793, il fut arrêté, conduit à La Rochelle, condamné à mort et fusillé le 2 novembre 1793. André Bouchet a rédigé un article complet sur la famille Chapelain, paru dans la Revue du Souvenir Vendéen n°167 (juin-juillet 1989), pp. 21-30. Notons que Gilles-Benoît Lelièvre acheta conjointement avec son beau-frère Vincent Chapelain des biens nationaux aux Herbiers (A.D. 85, 1 Q 253 et 1 Q 269-2).
  10. AN F1b II Vendée 1/40.
  11. Ses minutes de 1800 à 1806 ont été numérisées sur le site des A.D. 85. Les actes qu’il établit (baux, reconnaissances de dette, acte de notoriété, etc.) ont été inventoriés par F. Richard-Maupillier, op. cit., pp. 13-16. Notons que les enfants de Gilles-Benoît Lelièvre et Prudence-Perrine Chapelain naquirent au Puy du Fou. 
  12. A.D. 85, AC 82 4, vue 18/46 (après la prestation de serment de fidélité au nouveau roi).