Au début de l’année 1823, les Affiches de Poitiers annoncèrent le décès d’une femme qui « fit pendant sept ans, sans être reconnue, les campagnes du Rhin et de la Vendée ». Qui était ce « soldat femelle » dont un coup de feu à la poitrine aurait révélé le sexe ?

Francaises devenues libresDétail de l'estampe de Villeneuve « Françaises devenues libres », Musée Carnavalet, Paris (n° d'inventaire G.25374)
   

L’article des Affiches de Poitiers du 23 janvier 1823 livre quelques indices : « Une femme, qui a été long-temps soldat, vient de mourir à Auxonne, à l’âge de 51 ans. Elle était la fille d’un vétéran. Grande et fortement constituée, elle quitta, à l’âge de 20 ans, les habits de femme pour endosser l’uniforme. Prise pour un homme, elle fut reçue en 1791 dans un bataillon de volontaires du Calvados ; elle fit pendant sept ans, sans être reconnue, les campagnes du Rhin et de la Vendée. Il paraît que son service aurait duré plus long-temps encore, si un coup de feu dans la poitrine n’eût fait découvrir son sexe. Elle fut alors forcée de reprendre la jupe, et obtint du Gouvernement une pension de 238 fr. dont elle a joui jusqu’à sa mort. Ce soldat femelle était surnommé le Caporal ».

En cherchant tout d’abord dans les registres d’état civil d’Auxonne (Côte-d’Or), une candidate m’est apparue : Agathe Donzey, « militaire pensionnée », décédée dans cette commune le 7 décembre 1822. Fille de Jean-Baptiste Donzey et de Denise Faity, elle était née à Athée, canton d’Auxonne, le 25 janvier 1772. L’hypothèse s’est confirmée en obtenant son dossier individuel conservé au Service historique de la Défense à Vincennes (1). Les pièces qu’il renferme concernent les démarches qu’Agathe Donzey entreprit dans le but d’obtenir une pension après son départ de l’armée en 1798.

Plusieurs éléments y contredisent la notice biographique des Affiches de Poitiers. C’est en 1793 qu’Agathe reçut des coups de feu au combat, près de Cholet, et si cette blessure révéla son sexe, elle ne l’empêcha pas de poursuivre sa carrière dans l’armée républicaine. Ses supérieurs n’ignoraient d’ailleurs rien de son identité de femme, et il n’y a guère que les inspecteurs généraux du service de santé à Paris qui affirmeront qu’elle ne pouvait faire le service militaire « à raison de son sexe ».

Une blessure reçue « à la Vendée entre Martin et Cholet en l’an deux »

Sa carrière s’acheva à l’armée d’Helvétie, sous les ordres du général Schauenburg (2). Créé en mars 1798, ce corps avait été formé à partir d’effectifs prélevés sur l’armée du Rhin. Parmi ceux-ci figurait la 5e demi-brigade d’infanterie légère, qui comptait Agathe dans ses rangs jusqu’au 26 vendémiaire an VII (17 octobre 1798). À cette date, le conseil d’administration de cette demi-brigade délivra à cette dernière un certificat de service et de blessures :

« La citoyenne Agathe Donzé, fille de Jean Bte et de Denize Faity, né le 25 janvier 1772 à Athée, canton d’Auxonne, dépt de la Côte d’Or, a servi avec honneur et probité dans la seconde compagnie du 3e bataillon du dit corps, en qualité de chasseur depuis le six décembre mille sept cent quatre vingt douze, jusqu’à ce jour, époque où il lui a été délivré un congé absolu pour cause de blessure qu’elle reçut à la Vendée entre Martin et Cholet en l’an deux. En outre la citoyenne est affligée d’une grande faiblesse tant sur le bras droit que sur la jambe du même côté à la suite d’un grand froid qu’elle essuya en ces parties au siège de Luxembourg l’an quatre de la Rép(ublique), lesquelles infirmités la mettent hors d’état de continuer son service, ainsi qu’il a été constaté par le certificat des officiers de santé du dit corps en datte du 15 prairial dernier (3 juin 1798), attestant qu’elle a fait les campagnes de 1793, an 2 et 3 à l’armée du Rhin et de Moselle, et celles de l’an 4 et 5 à l’armée d’Italie. »

Signature Agathe DonzeySignature d'Agathe Donzey
   

À ce document est joint un certificat établi par les officiers de santé de la demi-brigade, et un papier signé du général Schauenburg invitant le ministre de la guerre à faire accorder à Agathe une pension de retraite. Là encore, il est noté qu’elle fut blessée « entre Martin et Cholet » en l’an II. Mais où se trouve le lieu-dit « Martin » ? Mystère…

Munie de ces papiers, Agathe adressa une pétition au ministre de la Guerre le 18 ventôse an VII (8 mars 1799). Ce texte fut soigneusement réécrit à son avantage dans un rapport présenté audit ministre le 29 nivôse suivant (19 mars). « La citoyenne Agathe Donzée, chasseur de la 5e ½ brigade d’infanterie légère (…) demande à jouir des avantages accordés aux défenseurs de la Patrie blessés dans les combats ». L’intéressée commence par y présenter son certificat de service « revêtu de l’approbation du général de division Schawenburg, général en chef de l’armée française en Helvétie ». Elle souligne notamment « qu’elle a été blessée dans la Guerre de la Vendée » mais le scribe a modifié la localisation en ajoutant « Saint » au lieu-dit « Martin ». S’agirait-il alors de Saint-Martin, paroisse de Beaupréau, ou de Saint-Martin-des-Tilleuls près de Mortagne-sur-Sèvre ?

Agathe en appelle à Barras, protecteur des « défenseuses de la patrie »

On lit plus loin qu’à son arrivée à Paris, Agathe a voulu faire constater son état aux inspecteurs généraux du service de santé (3), mais ceux-ci ont affirmé « qu’elle ne présentait aucune infirmité », seulement trois cicatrices à la jambe gauche, ajoutant qu’elle devait être réformée car « à raison de son sexe, elle ne peut faire le service militaire ».

Agathe ne s’avoua pas vaincue pour autant. Elle sollicita la bienveillance du gouvernement « en considération de son dévouement à la cause de la Liberté qui lui a fait partager pendant six années, malgré la faiblesse de son sexe, les périls et la gloire des soldats français aux armées de la Vendée, de Rhin et Moselle, d’Italie et d’Helvétie », afin de lui accorder une pension de retraite qui pourvoira à sa subsistance, elle qui se déclare « dans le plus absolu dénuement ». Contre toute attente, le ministre répondit le jour même à cette demande en lui octroyant une somme de deux cents francs sur les fonds affectés aux secours.

Agathe a peut-être reçu un soutien en haut lieu. Elle avait en effet adressé deux lettres au citoyen Barras, membre éminent du Directoire exécutif, quelques jours avant la présentation du rapport au ministre de la Guerre. Dans la première, outre ses services à l’armée et ses blessures, elle décrit l’état d’indigence dans lequel elle survit, se « trouvant dans le plus pressant besoin, encore malade, étant à la caserne Rousselet avec une ration de pain seulement et couchant sans drap ». Elle conclut en qualifiant Barras de « père et protecteur des défenseurs et défenseuses de la patrie » afin d’obtenir tout ce qu’il pourra en faveur d’une brave.

La seconde lettre qui porte la date du 19 ventôse an VII (9 mars 1799) formule la demande dans les mêmes termes. On y retrouve l’appel à Barras, « le père et le protecteur des défenseurs de la patrie (…) ainsy que des défenseuses de la patrie ». Et surtout, ce dernier document résout l’énigme de ce lieu appelé jusqu’alors « Martin », près duquel Agathe fut blessée. Celle-ci déclare qu’elle reçut « des coups de feu entre Mortagne et Cholet ». Il pourrait donc s'agir là de la bataille dite de Saint-Christophe-la Tremblaye, le 15 octobre 1793, prélude à la défaite des Vendéens.
   

Agathe DonzeyExtrait d'une lettre d'Agathe Donzey localisant entre Mortagne et Cholet la blessure qu'elle reçut en Vendée (on notera qu'elle dit avoir servi « en qualité d'homme et de chasseur »)
   

Agathe perçut enfin une pension, comme le rapportaient les Affiches de Poitiers. Son solde de retraite indique qu’elle servit à l’armée « du 6 Xbre 1792 au 26 vend.re an 7 » (17 octobre 1798), soit 5 ans, 10 mois et 12 jours, auxquels on compta 6 années de plus, considérant que « chaque campagne de guerre devra compter pour deux années ». La solde accordée s’élevait à 150 F pour les blessures, 82,50 F pour les 11 ans de service, et 6,25 F pour les 10 mois supplémentaires, soit 238,75 F.

Quelques questions demeurent cependant :

1° Pour quelle raison Agathe Donzey s’est-elle engagée dans un bataillon de volontaires du Calvados, comme l’écrivent les Affiches de Poitiers, alors qu’elle était native d’Auxonne en Côte-d’Or ? A-t-elle suivi son époux, à l’instar de la plupart de ses consœurs, comme Madeleine Petitjean qui s’enrôla dans la 4e compagnie des canonniers de la Sorbonne à l’exemple de son mari « pour aller combattre les brigands de la Vendée » (5) ? L’acte de décès d’Agathe indique qu’elle était l’épouse d’un nommé Claude Chevrier, mais je n’ai pas trouvé leur acte de mariage.

2° Si elle s’était engagée en 1791 dans un bataillon de volontaires du Calvados, ce ne pourrait être que dans les 1er et 2e formés à la fin de cette année-là. Or ceux-ci n’ont pas été envoyés en Vendée, contrairement aux 4e, 5e, 6e et 8e, formés en 1792.

3° Servait-elle effectivement dans un corps présent dans la région de Cholet à la mi-octobre 1793 ? La 5e demi-brigade d’infanterie légère de deuxième formation a été créée en janvier 1796 à partir de plusieurs unités, dont le 1er bataillon de la 6e demi-brigade d’infanterie légère de première formation. Or, celle-ci avait été précédemment mise sur pied par la réunion de trois bataillons, dont le 8e du Calvados. Si ce bataillon participa bien à la lutte contre les Vendéens d’outre-Loire dans les premiers jours de novembre 1793 (4), sa situation est moins claire pour le mois d’octobre. Quant à la suite des événements, le 8e du Calvados est signalé par le général Vimeux aux Ponts-de-Cé, près d’Angers, le 24 juin 1794 ; c’est là qu’il quitta la Vendée pour Tours (6). 
   


Notes :

  1. Sous la cote 2YF 1215918.
  2. Alexis-Balthazar-Henri Schauenburg (1748-1831), officier sous l’Ancien Régime, servit dans l’armée du Rhin et fut promu général de division le 8 mars 1793. Il commanda en chef l’armée d’Helvétie, constituée pour envahir la Suisse, du 8 mars au 10 décembre 1798. 
  3. Le certificat de visite est daté du 26 ventôse.
  4. Pierre Gréau, La marche sanglante des Vendéens. La Virée de Galerne, 18 octobre – 23 décembre 1793, Pays et Terroirs, 2012, p. 124.
  5. SHD GR 1Yi 5.
  6. SHD B 5/9-58. Le général Louis-Alexis Vimeux commanda l’armée de l’Ouest du 13 mai au 16 août 1794.