L’inventaire des rues vendéennes est vite fait à Pouzauges. On n’y trouve aucun chef insurgé, ni aucun notable de l’époque révolutionnaire, pas même le fameux curé Dillon. Il faut s’égarer dans les venelles aux abords du vieux donjon pour trouver la trace du « marquis de Grignon ».
La plaque de la « venelle du marquis de Grignon », ainsi désignée alors qu’aucun membre de la famille ne porta le titre de marquis de Grignon, mais plutôt marquis de Pouzauges.
La famille Grignon (1) possédait la baronnie de Pouzauges depuis 1634 ; Louis Grignon de La Pélissonnière l’avait achetée à cette date à Louis Gouffier. Elle la conserva jusqu’à la Révolution (2). Joseph-Toussaint-Gabriel Grignon (1735-1805) en avait obtenu le titre par mariage en 1770, puis par échange de successions cinq ans plus tard.
À l'angle de la venelle du marquis de Grignon et de la venelle Gilles de Rais, on débouche sur le château de Pouzauges
Le marquis de Pouzauges (3) partit en émigration vers 1791, avec son épouse et leur fils, Roch-Sylvestre (1775-1799). Le château fut par conséquent confisqué comme bien national et vendu le 4 floréal an VI (23 avril 1798) à Auguste Brillanceau (4), qui le revendra au même prix à Joseph Grignon après que celui-ci fut revenu de son exil, en 1801. Le panneau de la venelle du marquis de Grignon laisse toutefois entendre que l’intéressé l’aurait récupéré de la commune en échange du lieu-dit la Passion, nom qui n’apparaît pas sur l’acte de vente, ni sur le suivant qui concerne d’autres biens de Joseph Grignon.
En-tête de l'acte de vente du château de Pouzauges en 1798 (A.D. 85, 1 Q 260)
Un mot s’impose sur quelques membres de la famille dont le destin fut marqué par la Révolution.
Roch-Sylvestre tout d’abord, fils de Joseph Grignon qu’il suivit en émigration, servit dans les uhlans anglais. Il obtint son congé à la fin de l’année 1795 pour s’engager dans les rangs des Vendéens. Il arriva un peu tard, l’insurrection expirait et les derniers chefs allaient bientôt succomber.
Par un hasard de l’histoire, la tante de Roch-Sylvestre, Jeanne-Gabrielle Grignon (1738-1806) était présente lors de l’arrestation de Stofflet à la Saugrenière, dans la nuit du 23 au 24 février 1796. Elle est citée le plus souvent comme « Mademoiselle de Grignon », la vieille femme infirme que les Bleus rudoyèrent lorsqu’ils fouillèrent la métairie à la recherche du chef vendéen (5).
L’encerclement des dernières troupes insurgées ne dissuada pas Roch-Sylvestre de reconstituer avec son cousin Vasselot (6) une bande de quelques centaines d’hommes sur les terres de l’ancienne armée du Centre autrefois commandée par Sapinaud. Après quelques opérations dans le Haut-Bocage, et surtout un baroud d’honneur au château de Saint-Mesmin, ces derniers combattants de la Vendée se dispersèrent bientôt. Vasselot fut traqué, arrêté et conduit au Landreau des Herbiers pour y être jugé ; on le fusilla sur place le 10 mai 1796. Roch-Sylvestre, quant à lui, se cacha à Poitiers. Il reprit les armes en 1799, mais fut tué à Chambretaud le 18 novembre (7).
Joseph, Roch-Sylvestre, Charles et Jeanne-Gabrielle sur l'arbre généalogique simplifiée de la famille Grignon
Son père mourut en 1805, sa mère en 1819. À cette date, c’est Charles-Louis-Benjamin Grignon (1781-1850) dit de L’Esperonnière, cousin de Roch-Sylvestre qui hérita de la « tour de Pouzauges » et du titre de marquis. Lui aussi avait connu les malheurs de la guerre mais, trop jeune, n’avait pu combattre. Caché au milieu des genêts, il avait écouté avec d’autres enfants les leçons de l’abbé Loir-Mongazon, vicaire insermenté de Saint-Martin de Beaupréau qui consacra toute sa vie à l’enseignement. Charles Grignon s’était établi dans les communs de son château ruiné de l’Esperonnière en Vezins (8), lorsqu’il eut enfin l’âge de prendre les armes en 1815. Il put ainsi faire montre de sa bravoure au Pont-Barré, à La Grolle et à Rocheservière.
Bien qu’héritier de Pouzauges en 1819, Charles Grignon passa le reste de sa vie sur ses terres de Vezins et de Trémentines. Marié à Eulalie de Terves en 1841, il n’eut pas d’enfant et fit un testament un an avant sa mort en faveur de son cousin et filleul, Paul-Zénobie Frotier de Bagneux.
Le château de Pouzauges sera finalement acquis par la commune en 1988.
D'après Charles Thénaisie, le général Canclaux établit un camp retranché dans l'enceinte du château de Pouzauges le 14 mai 1795 (Revue de Bretagne et Vendée, t. IX, 1861, p. 39)
Notes :
- En principe le patronyme Grignon ne porte pas de particule, ce qu'indique d'ailleurs le Dictionnaire des familles du Poitou, de Beauchet-Filleau. Il n'est pourtant pas rare de trouver « de Grignon » chez les historiens de la Vendée, mais aussi dans les registres paroissiaux et d'état civil. Si nous prenons l'exemple de Charles-Louis-Benjamin, son acte de baptême le désigne comme « Charles Louis de Grignon » (A.D. 49, état civil de Vezins, BMS 1765-1792, vue 356 ; à noter que sa marraine, marquise de Pouzauges, s'appelle Joséphine-Benjamin-Marie Grignon de Grignon), et son acte de décès, « de Grignon de Pousauge » (A.D. 49, état civil d'Angers, registre des décès de 1850, 1er arrond., vue 7).
- La baronnie de Pouzauges se transmit parfois entre collatéraux et passa d’ailleurs provisoirement à Charles Mesnard de Toucheprès, beau-frère du précédent seigneur, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Celui-ci n’ayant pas eu d’enfant, l’héritage revint à sa veuve Marie Grignon, puis à son neveu, Gabriel-Nicolas Grignon. Lire à ce sujet l’annexe sur les Grignon de Pouzauges, Revue du Souvenir Vendéen n°248 (septembre 2009), pp. 33-34.
- Pouzauges fut érigé en marquisat à la fin du XVIIe siècle, dans des conditions quelque peu discutables (Les seigneurs de Pouzauges, d’après Histoire de la baronnie de Pouzauges de l’an 1000 à nos jours, d’Yves Dopsent, étude critique de Jacques Chauvet, 2021, pp. 76-77). On notera cependant qu’aucun membre de la famille ne porta le titre de marquis de Grignon, mais plutôt marquis de Pouzauges.
- A.D. 85, 1 Q 260. Le registre numérisé est en ligne (vue 37-42).
- C. et L. Gosselin, La paralytique de la Saugrenière (23 février 1796), Revue du Souvenir Vendéen n°248 (septembre 2009), pp. 25-38.
- Joseph-Amand de Vasselot d’Annemarie (1762-1796).
- Lire à ce sujet la réponse à la question n°59 de « Chercheurs et Curieux », Revue du Souvenir Vendéen n°244 (septembre 2008), pp. 55-57.
- Charles Grignon fut maire de Vezins de 1813 à 1817, puis maire de Trémentines de 1823 à 1830. Lire à son sujet l’article de F. Uzureau, Le marquis de Grignon (1781-1850), L’Anjou historique, 1909-1910, pp. 481-492.