Les histoires de cloches englouties ont suscité de nombreux récits transmis le plus souvent par la tradition orale. Les rivières vendéennes en recèlent quelques-unes, la plupart jetées à l’eau en 1793.
Les trois cloches de l'église de La Réorthe ont connu un destin mouvementé pendant la Révolution
Le patrimoine campanaire a payé un lourd tribut à la Révolution française. Dès le mois d’avril 1791 on eut recours aux cloches pour pallier la pénurie de métal destiné à frapper monnaie. Les réquisitions s’étendirent au pays tout entier, des ateliers monétaires s’implantèrent à Besançon, Clermont-Ferrand, Dijon, Saumur, etc., à telle enseigne que 100.000 cloches furent fondues durant l’année 1792. Dans les Mauges par exemple, le district de Saint-Florent-le-Vieil en fit enlever quatorze d’églises paroissiales supprimées et de chapelles pour les conduire à la fonderie de Saumur de décembre 1791 à août 1792 (1).
La Convention nationale renchérit en votant, le 23 juillet 1793, un décret ordonnant « qu'il ne sera laissé qu'une seule cloche dans chaque paroisse ; que toutes les autres seront mises à la disposition du Conseil exécutif, qui sera tenu de les faire parvenir aux fonderies les plus voisines dans le délai d'un mois pour y être fondues en canons ».
Les cloches descendues en représailles des troubles dans l’Ouest
La mesure prit un tour plus sévère dans l’Ouest insurgé en mars 1793. La répression contre les rebelles menée par Beysser tout autour de la Brière s’accompagna par le désarmement des habitants, puis par la descente des cloches qui avaient appelé au soulèvement, comme à Bouvron, Savenay, etc. Les mêmes faits sont rapportés dans le Morbihan : « Nos détachemens qui bivaquent dans les campagnes ont fait descendre toutes les cloches et après les avoir brisées ils ont amené ici plusieurs prisonniers » (2).
Dans le Finistère, le désarmement des insurgés des paroisses de Plougoulm, Sibiril et Cléder prévoyaient là encore la descente des cloches (3). Le registre du Conseil général de ce département conserve d’ailleurs la trace d’un contrat avec un fondeur de Villedieu, en date du 7 mai 1793, pour la fourniture de canons produits par la fonte des « cloches de toutes les paroisses où il a existé des troubles et qui ont été enlevées par des motifs de sûreté » (4).
Arrêté des représentants Bourbotte, Choudieu, Richard et Turreau sur la descente des cloches à Saumur (A.D. 85, AN AF II 119-8)
Trou de la Cloche et Fosse aux Cloches
Au sud de la Loire en revanche, les succès de l’insurrection ont différé ces réquisitions et c’est bien souvent lors de la reprise en main du territoire par les armées républicaines que les paroissiens mirent leurs cloches à l’abri, généralement au fond de l’eau.
Elles ont parfois été plongées dans une cavité creusée dans le lit d’une rivière, comme à Saint-Christophe-la-Chartreuse, paroisse rattachée à Rocheservière en 1827. La cloche de l’église avait été déposée sur une charrette afin de la soustraire à la réquisition, mais lorsque des Bleus vinrent à encercler le convoi, elle fut jetée dans une fosse au milieu de la Boulogne. L’endroit fut appelé le Trou de la Cloche (5).
On trouve aussi une « Fosse aux Cloches » à Chaillé-sous-les-Ormeaux, dans les profondeurs de l’Yon (6), et une autre à Saint-André-sur-Sèvre, dans un trou de la Sèvre nantaise où les paroissiens avaient caché les leurs. « Quelque temps après, craignant qu'elles ne fussent volées, ils les retirèrent de la rivière et vinrent les déposer dans un lavoir situé près du bourg, pensant que là elles seraient plus en sûreté. Cet acte de prudence fut cause de leur perte. Elles furent enlevées sans qu'aucun souvenir de ceux qui les firent disparaître ne soit resté dans la mémoire des gens du pays » (7).
Les péripéties des cloches englouties
Les cachettes sont multiples : une rivière, un étang, un puits ou un abreuvoir. À La Boissière-Thouarsaise, les habitants n’eurent pas le temps de mettre leurs deux cloches à l’abri. Deux individus, les citoyens Macé le jeune et Lary, se chargèrent de les enlever pour les emporter à Parthenay. Confrontés aux mauvais chemins de la Gâtine, mais aussi à l’hostilité des gens du pays, les deux compères se débarrassèrent de leur chargement en le jetant dans le Cébron. Les cloches n’ont jamais été retrouvées, bien qu’on les entendît sonner du fond de la rivière, si l’on en croit la tradition. C’est ce que l’on racontait aussi de celles du Poiré-sur-Velluire, qui avaient été jetées dans la Fouarne (8).
Les cloches connaissent un sort différent selon leur taille. À La Réorthe, la plus grosse resta coincée dans le clocher, l’escalier en colimaçon était trop étroit pour la descendre. Les Bleus ne purent emporter que les deux plus petites, mais on rapporte qu’ils en abandonnèrent une dans la rivière, à Poële-Feu, pour fuir l’attaque du poste vendéen. Ce fut l’inverse à la chapelle des Rosiers, en Saint-Clémentin : la plus petite fut plongée dans la rivière et la plus grosse fut fondue par les républicains.
Les deux cloches de la chapelle des Rosiers, en Saint-Clémentin (Deux-Sèvres). La plus petite, datée de 1736, fut sortie de l'eau à la paix pour être remise à sa place. Celle qui avait été emportée par les Bleus ne sera remplacée qu'en 2005.
À Saint-Urbain, dans le Marais, la plus petite cloche dédiée à la Sainte-Vierge fut vraisemblablement brisée et fondue en monnaie, tandis que la seconde qui datait de 1777 fut cachée dans un abreuvoir et n’en sortit qu’au retour de la paix. « Elle garde toujours, paraît-il, une couleur terreuse, souvenir du lieu où elle a passé la période révolutionnaire » (9).
C’est aussi un abreuvoir du Marais qui fut choisi par les paroissiens de Saint-Jean-de-Monts, entre la Grande-Maison et les Granges. Au cours de la guerre, un détachement de Bleus fut contraint d’abandonner un canon embourbé dans les environs. Quand ils vinrent le rechercher, voyant qu’il avait disparu, ils interrogèrent un paysan qui leur dit que le canon devait être avec les cloches. Les soldats l’obligèrent alors à révéler l’endroit où celles-ci étaient cachées et purent les sortir de la vase pour les envoyer à la fonte (10).
Citons encore les cloches de l’église de Bois-de-Céné, qui auraient été jetées dans l’étang de l’Essart en 1793 ; lorsqu’on les ressortit à la fin de la Révolution, l’une d’elles aurait été fêlée d’un coup de pigouille (11). Ou encore celles de Saint-Nicolas de Tiffauges, dont on dit qu’elles auraient été jetées dans les douves du château ; il semble plus probable qu’elles reposent dans le puits près de l’église. Il n’a d’ailleurs jamais été sondé.
Carte des lieux cités (d'après la carte de la Vendée militaire extraite de L'épopée vendéenne, 1789-1796, par Gustave Gautherot, 1915, A.D. 85, BIB 1568)
Notes :
- Plusieurs paroisses avaient été supprimées en 1791 et par conséquent dépouillées de leur mobilier, dont leurs cloches : Saint-Sauveur-de-Landemont, Saint-Martin-de-Beaupréau, Le Petit-Montrevault, Villeneuve, La Boutouchère. Le prieuré de Montjean et la chapelle Notre-Dame de Charité en Saint-Laurent-de-la-Plaine furent également visés. Au total, 14 cloches furent descendues et livrées à Saumur à la maison du citoyen des Varennes, directeur de la fonderie, les 24 décembre 1791, 23 juin et 18 août 1792 (F. Uzureau, Le district de Saint-Florent-le-Vieil (1791-1792), L’Anjou historique, 1916, p. 609).
- SHD B 5/13-36. Lettre de Bosquet, receveur de l’Enregistrement à Auray, 22 mars 1793.
- SHD B 5/13-43. Convention entre les commissaires de la Convention et les administrateurs des paroisses de Plougoulm, Sibiril et Cléder pour le désarmement des insurgés (le 5e point concerne les cloches qui seront descendues).
- SHD B 5/14-6.
- Hubert Perrocheau, Le curé Barbedette et le pays du Luc à la Révolution, 1993, pp. 86 et suiv.
- Le Quellec, La Vendée mythologique et légendaire, Geste, 1996, p. 64.
- Gabriel de Fontaines, Saint-André-sur-Sèvre (Deux-Sèvres), L’église et la paroisse, Revue Poitevine et Saintongeaise, 1891, p. 239.
- J.-L. Le Quellec, L’imaginaire des cloches, dans Émotions religieuses en Vendée, Geste, 1990, pp. 124-135. Le Poiré-sur-Velluire se situe en dehors de la Vendée insurgée.
- L. Teillet, À travers les clochers du Bas-Poitou, Les paroisses occidentales de la Vendée, Revue du Bas-Poitou, 1890 p. 52.
- Le Quellec, La Vendée…, op. cit., p. 299.
- Ibidem, p. 45. On appelle pigouille la perche que le Maraîchin utilise pour manœuvrer sa barque à fond plat.
Par ailleurs, la réponse à la question n° 828 de la rubrique "Chercheurs et Curieux" de cette Revue, parue pp. 56-57 de son n° 251 (juin 2010) apporte quelques infos complémentaires sur l'enlèvement des cloches.