On a vu dans la première partie de cet article comment les Vendéens capturés aux alentours d’Angers après le siège de la ville, les 3 et 4 décembre 1793, ont été conduits au Port de l’Ancre pour y être fusillés sans jugement. Il reste à situer le lieu de ces exécutions.
Localisation des toponymes cités (plan d'Angers de 1792, BnF)
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Les anciens plans d’Angers du XVIIIe et du tout début du XIXe siècle (1) mentionnent le Port-Ayrault, le Port-Boisnet, l’Abreuvoir… mais pas le Port de l’Ancre. Pour appréhender aujourd'hui une topographie qui a radicalement changé depuis lors, il faut circonscrire l’espace dans un triangle formé par le boulevard Ayrault, la rue Boisnet, et le cours actuel de la Maine (voir le plan ci-dessous).
Localisation actuelle des lieux cités
À l’époque révolutionnaire, la rue Boisnet, qui suivait la limite des anciennes fortifications, allait de la porte Cupif (actuelle place Hérault) jusqu’à l’Abreuvoir (actuelle place Molière) et le vieux pont des Treilles déjà ruiné en ce temps-là. Elle n’était séparée des quais (qui suivaient à peu près l’actuelle rue Maillé) que par un alignement de maisons.
Ces quais donnaient sur un canal ouvert en aval sur la Maine. La rue Saint-Jacques (actuelle rue du Canal, en partie), qui venait du quartier des halles, débouchait perpendiculairement sur la rue Boisnet, formant un carrefour d’où l’on pouvait gagner le Port-Boisnet et les quais par un court passage qui porte aujourd’hui le nom de rue du Port de l’Ancre (2).
Port-Boisnet avant l'aménagement des quais (plan d'Angers de 1736, BnF)
La nomenclature des quais en 1793
Le Port-Boisnet apparaît, sur une carte de 1736 (illustration ci-dessus), comme une large grève prolongée par les prés de l’hôpital Saint-Jean. L’aménagement du canal qui le reliait à la rivière fut entrepris dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Son dessin se précise sur une carte de 1792 (illustration ci-dessous), bien que les quais n’y soient encore que des projets. Ceux-ci reçurent des noms révolutionnaires en 1793 (3). En suivant la rive gauche de la Maine, on trouve ainsi :
- Le quai de la Liberté, entre le château et les Grands-Ponts (actuel pont de Verdun) ;
- Le quai de la Révolution, entre les Grands-Ponts et le pont des Treilles (qui franchissait la Maine en amont de l’actuel pont des Arts et Métiers) ;
- Le quai de l’Abreuvoir, « depuis le pont des Treilles jusqu’en Boisnet » ;
- Le quai des Deux-Mondes, « depuis l’Abreuvoir jusqu’au port de l’Ancre » ;
- Le port de l’Ancre « compris entre les deux aqueducs ».
- Le quai du Commerce, dont la localisation n’est pas précisée, mais qui, si l’on suit la progression logique, serait à placer au Port-Ayrault.
Localisation des quais d'après la nomenclature de 1793
(plan d'Angers de 1792, BnF)
D’après ces indications, le quai de l’Abreuvoir est aisé à localiser sur la carte de 1792, entre le pont des Treilles et le Port-Boisnet. Le quai des Deux-Mondes, entre l’Abreuvoir et le Port de l’Ancre, ne peut longer le même bord du canal ; par conséquent il devait se trouver du côté des prés de l’hôpital. Quant au Port de l’Ancre, « compris entre les deux acqueducs », il devait se situer vis-à-vis du Port-Ayrault, dans l’angle formé par les deux canaux dessinant la limite des prés. La nature de ce terrain non-aménagé expliquerait aussi qu’on ait choisi cet endroit pour l’inhumation des corps des fusillés.
Par une ironie dont l’histoire a le secret, la rue Choudieu, qui porte le nom d’un célèbre révolutionnaire angevin (4), passe justement sur ce site, entre les actuelles rue du Port de l’Ancre et boulevard Ayrault.
Les comblements entre les quais et la Maine (plan d'Angers de 1845). On distingue la ligne des « dépôts de gravats » qui ont asséché le Port-Boisnet.
Notes :
- Le Nouveau plan de la ville d’Angers, par L. Simon, G. Dheulland et N. Baillieul le jeune (1736) ; le Plan historique de la ville d’Angers assujetti à ses accroissements, embellissements et projets, rédigé et gravé par Moithey en 1792 ; et le Plan historique de la ville d’Angers, revu et corrigé par Rudemare en 1813 (identique à celui de 1792 pour la zone qui nous intéresse ici). Leur comparaison donne une bonne idée de l’aménagement des quais entre la rue Boisnet et la Maine.
- Cette rue du Port de l’Ancre se prolonge, depuis les comblements des prés, jusqu’au quai Gambetta au bord de la Maine.
- Aimé de Soland, Bulletin historique et monumental de l’Anjou, 1857, p. 149.
- René-Pierre Choudieu (1761-1838), l’un des tout premiers animateurs de la Révolution à Angers, fut de ceux qui s’emparèrent du château le 22 juillet 1789 et qui participèrent à la Fédération bretonne-angevine de Pontivy en janvier 1790. En 1793, après avoir voté la mort du roi, il fut envoyé dans l’Ouest dès le début de l’insurrection vendéenne et mena sa mission tout au long de cette année de guerre. Rentré à Paris en 1794, il reprit sa place dans les rangs de la Convention (après un intermède auprès de l’armée du Nord). Il s’éleva contre la réaction thermidorienne, ce qui lui valut quelques déboires, et même la prison. Il en fut de même sous le Directoire, lorsqu’il fut suspecté d’être lié au complot de Babeuf ; et sous le Consulat, cette fois pour l’attentat de la rue Saint-Nicaise. Il se réfugia plusieurs années en Hollande, et ne rentra qu’aux Cent Jours. Intégré dans la police à Dunkerque, il mit tant de zèle à tenir la ville, qu’on l’arrêta à nouveau à la chute du régime. Proscrit comme régicide en 1816, il s’exila à Bruxelles où il vécut dans le dénuement. La révolution de 1830 lui permit de revenir à Paris. Il consacra là les dernières années de sa vie à écrire ses mémoires et à préparer une histoire des Guerres de Vendée qui ne verra jamais le jour.