La chute récente de la Croix du Mortais donne l’occasion de rappeler les circonstances du combat qui eut lieu dans ces landes à l’ouest des Brouzils, le dimanche 12 janvier 1794.

Mortais 8La Croix du Mortais (avant sa chute) et la plaque commémorant la bataille des Brouzils où Charette fut blessé
   

Commençons par rappeler la situation de Charette dans les premiers jours de 1794. Sa petite armée a quitté l’île de Noirmoutier, qu’elle avait reprise le 12 octobre 1793, en n’y laissant qu’une garnison. Elle fit un tour dans la Haute-Vendée en décembre et s’en revint à Machecoul, où elle passa le jour de l’an en attendant le renfort de La Cathelinière pour le lendemain (1). Ce furent malheureusement les Bleus qu’elle vit arriver. Chassés de la ville, les Vendéens s’enfuirent vers l’intérieur du Bocage jusqu’à La Copechagnière (2), où ils reformèrent leurs rangs, puis établirent leur campement à Saligny. C’est ici que Charette apprit d’un Maraîchin qui avait réussi à s’échapper de Noirmoutier, que les républicains avaient donné un assaut général sur l’île le 3 janvier.

Le chef vendéen ne pouvait rester immobile, ce qui l’aurait exposé au risque d’être surpris à tout moment par une colonne républicaine. Il prépara par conséquent une nouvelle expédition qui devait venger les prisonniers de Noirmoutier. Le rassemblement fut fixé dans la soirée du 8 janvier, près de La Merlatière. Charette y trouva 3.000 hommes, dont un tiers appartenait aux bandes de Joly et de Couëtus (3). On marcha dès le lendemain, 9 janvier, sur Saint-Fulgent, qui « n’était occupé que par des jeunes gens de la dernière levée » (4). « Nous les trouvâmes occupés à l’exaltation d’un fort grand arbre de la liberté, rapporte Lucas de La Championnière ; l’arbre fut bientôt renversé et les républicains chassés ne se sauvèrent qu’à la faveur de la nuit » (5).
   

Carte Charette 1-12 jnvier 1794Itinéraire de Charette dans la première quinzaine de janvier 1794
(cliquez sur l'image pour l'agrandir)

   

Le combat de Saint-Fulgent

Pour les deux jours qui suivirent, on relève des contradictions entre les auteurs qui ont relaté ces événements (6). Si l’on se fie à Lucas de La Championnière, présent aux côtés de Charette, et au rapport du général Bard en date du 22 nivôse (11 janvier), voici ce qu’il s’est passé :

Au matin du 10 janvier, les Vendéens surprirent un détachement d’infanterie qui venait dans leur direction. Ils les poursuivirent jusqu’aux Quatre-Chemins, s’arrêtèrent près du château de L’Oie, et les laissèrent filer vers Chantonnay. Ils passèrent la journée au même endroit, dans un froid hivernal terrible (7), avant de rentrer à Saint-Fulgent, bien que Joly voulût aller aux Essarts.

Charette fut alors informé qu’une armée venant de Montaigu marchait sur lui. Il envoya une reconnaissance qui lui annonça l’approche d’une colonne de 1.200 hommes. Celle-ci était commandée par le lieutenant-colonel Joba (8), un officier énergique avec qui le chef vendéen va avoir maille à partir. Les tirailleurs républicains investirent les premières maisons de Saint-Fulgent à six heures du soir. Le combat dura peu de temps (9), 200 Vendéens furent tués et 63 de leurs mauvais chevaux tombèrent aux mains des Bleus, comme le rapporte le général Bard (10). Charette perdit son cheval dans la bataille et profita de l’obscurité (11) pour se replier vers la forêt de Grasla.

Le 11 janvier, le général Bard écrivit de Chantonnay au ministre de la Guerre pour lui faire part de cette victoire de la veille. Il ajouta au bas de sa lettre : « J’apprends à l’instant que la colonne du brave Joba a rencontré les débris de l’armée de Charette, qu’il les a battus complettement et qu’il les poursuit avec la colonne commandée par Dufour… » 

Pour ajouter à la confusion des dates, Lucas de La Championnière insère entre cette affaire de Saint-Fulgent (10-11 janvier) et celle des Brouzils et du Mortais (12 janvier), un périple de l’armée de Charette par Aizenay, la Chambaudière et le Val de Morière, périple qu’il faut pourtant placer dans les jours qui suivirent le 12 janvier.
      

SHD B 5 8-14Extrait de la lettre du général Bard annonça la victoire de Joba à Saint-Fulgent
(A.D. 85, SHD B 5/8-14)
   

Le combat des Brouzils

Joba avait donc pourchassé les Vendéens après leur défaite à Saint-Fulgent, mais ceux-ci étaient devenus invisibles dans la nuit du 11 au 12 janvier, comme l’écrit le général Duval qui ajoute : « Charette s’était réfugié dans la forêt de Graulaud (Grasla). Joba avait reçu ordre d’y marcher ; il le fit. L’ennemi occupait une position avantageuse devant la forêt. Joba l’attaqua par une fusillade qui dura 4 heures. La victoire était incertaine. Joba fit sonner la charge la bayonnette en avant, quoiqu’il n’eut que 1200 fantassins et 200 chevaux. L’ennemi rentra dans la forêt, ses forces étaient de 3000 hommes. Les républicains les poursuivirent et lui tuèrent beaucoup de monde » (12).

La version de Lucas de La Championnière diffère quelque peu. D’après ses souvenirs, Charette s’était bien retiré dans la forêt de Grasla, mais en était sorti pour attaquer une colonne, celle de Dufour, qui s’apprêtait à incendier Les Brouzils. L’arrière-garde des Bleus prit la fuite, mais les Vendéens firent face à un feu terrible de la part des soldats de Joba. Le combat se déroula dans la vallée du ruisseau de la Coussais, du côté du Fief et du Pont-Émery, tout près du bourg des Brouzils ; il s’intensifia surtout à la Coussais (13). Pour faire plier le centre de Joba, Charette se mit en avant afin d’entraîner ses hommes, mais il reçut une balle qui lui fracassa un bras près de l’épaule (14) ; « il ne parut nullement affecté », écrit Lucas de La Championnière, mais cette blessure qui fit tomber Charette découragea ses hommes.

Joly prit aussitôt le commandement pour contenir le repli des Vendéens. Il leur cria de repartir au combat, les menaça avec la dureté qu’on lui connaît. Lorsqu’un officier nommé Boisseau lui objecta que l’affaire était perdue, il lui tira un coup de pistolet dans la tête. Mais rien n’y fit, seuls lui restèrent quelques braves pour couvrir la retraite.
      

Carte bataille du MortaisPlan de la bataille des Brouzils et du Mortais
(cliquez sur l'image pour l'agrandir)

   

Le combat du Mortais

Comme ils ne pouvaient revenir se cacher dans la forêt de Grasla, les Vendéens se dirigèrent vers les landes de Corbejeau qui formaient un plateau où s’élevaient trois moulins. Ils empruntèrent le chemin creux de la Tête-Verdière et de la Bedoutière qui mène à la Sauvetrière.

Arrivés sur les hauteurs de Corbejeau, ils firent volte-face et repartirent à l’attaque contre la troupe de Joba qui les talonnait. Mais ils furent repoussés par les Bleus près du Mortais (le Mortier) et de la lande de la Herse. Après quatre heures d’échanges de tirs, les Vendéens cédèrent et se débandèrent, poursuivis par les cavaliers républicains qui sabraient les fuyards. Charette, blessé, quitta le champ de bataille par le chemin de la Pierre-Plate (15).

Les paysans des villages, hameaux et métairies avaient abandonné leurs foyers pour se réfugier dans les landes de l’Alizier. Un détachement de Bleus qui marchaient dans leur direction incendia la Bonninière et l’Atrie, mais n’alla pas plus loin par crainte d’être pris pour cible par quelques tireurs embusqués dans les épais fourrés. Le village de la Sauvetrière fut aussi livré aux flammes. En revanche celui de Malville fut épargné à la demande d’un de ses habitants qui servait comme guide dans les armées républicaines.
   

Mortais 3La plaque du Souvenir Vendéen sur la Croix du Mortais
   

Au lendemain de la défaite

Les réfugiés de la lande attendirent le lendemain, quand le bruit de la fusillade se fut éloigné, pour sortir de leur repaire. Revenant vers les ruines fumantes de leurs villages, ils ramassèrent les corps des victimes des combats pour les inhumer. Une cinquantaine de Blancs et de Bleus avait péri dans la lande de la Herse. On les étendit sur du bois en velaïe (16) en attendant de les enterrer dans le champ de la Pointe, à une centaine de mètres plus loin. Le sang qui coulait de leurs blessures s’étant mélangé à l’eau stagnante du sentier formait une grande flaque rougie dont le souvenir, cinquante ans plus tard, faisait frémir d’horreur les témoins oculaires de cette scène : « Ils avaient du sang jusqu’aux chevilles » (17). Une stèle marque aujourd’hui le lieu de cette inhumation (ci-dessous).
   

Mortais 9Le stèle élevée en souvenir des 50 Blancs et Bleus inhumés en ce lieu
   

Le 13 janvier, le général Bard rendit compte de cette victoire à la Société populaire de Fontenay-le-Peuple : « Joba m’a fait l’éloge de toute la troupe, en général. La cavalerie s’est bien montrée. Il a fait marcher au pas de charge, la baïonnette en avant, et la victoire a été bientôt décidée. Il me dit que lorsque de Charette fera l’appel, il lui manquera beaucoup de monde. Nous n’en avons pas perdu beaucoup, à l’exception de quelques pillards qui se sont fait égorger dans les maisons. Je vais faire partir demain 5 à 600 hommes pour ramasser les fuyards qui se sont éparpillés dans les bois. L’adjudant général Dufour qui était aux Essarts se met en marche pour les chercher. Ça va bien, vive la République. » (18).

Les restes de l’armée de Charette prirent la fuite vers Saint-Christophe-la-Chartreuse. Ils ne s’y attardèrent pas car les hommes de Joba suivaient leurs traces. Les deux partis s’accrochèrent à nouveau à la Chambaudière, près de la forêt de Grand’Landes où les Vendéens se replièrent. Joba voulut les surprendre non loin de là, en forêt de Touvois, mais son embuscade échoua. Charette réussit à filer pour trouver refuge au couvent du Val de Morière où il passa plusieurs jours pour se remettre de sa blessure.

Après ses échecs multiples au cours du mois de janvier 1794, la chance va enfin sourire au chef vendéen pour sa prochaine grande bataille. Elle aura lieu le 2 février à Chauché.
   


Notes :

  1. Le Bouvier-Desmortiers, Vie du général Charette, 1823, pp. 169-171. Louis Ripault de La Cathelinière (1768-1794) était l’un des principaux chefs insurgés du Pays de Retz.
  2. Lucas de La Championnière, Mémoires sur la guerre de Vendée, 1904 (rééd. Pays et Terroirs, 1994), p. 68.
  3. René Bittard des Portes, Charette et la guerre de Vendée, 1902 (rééd. Pays et Terroirs, 1996, p. 285.
  4. SHD B 5/8-14, lettre du général Bard au ministre de la Guerre, 22 nivôse an II (11 janvier 1794).
  5. Lucas de La Championnière, op. cit., pp. 68-69.
  6. Par exemple, Bittard des Portes situe la prise de Saint-Fulgent au 9 janvier (ce qui est exact), mais poursuit son récit en parlant du « lendemain matin, 9 janvier » (pp. 285-286) ; il écrit aussi que l’attaque de Joba eut lieu à six heures du matin, alors que le rapport de Bard indique clairement six heures du soir. À cela s’ajoute parfois la confusion entre calendriers grégorien et républicain : le même auteur place le lendemain du combat du Mortais au 24 janvier, emmêlant le 24 nivôse et le 13 janvier !
  7. « Il fait un froid horrible » (Lucas de La Championnière, op. cit., p. 69) ; « La neige couvrait la terre ; il ne faisait pas beau coucher dehors » (Marie Lourdais, Femmes oubliées de la guerre de Vendée, C.V.R.H., 2005, p. 99).
  8. Dominique Joba (1759-1809), ancien militaire au service de l’Autriche, intégra les armées de la Révolution. Nommé capitaine dans la Légion du Nord en 1792, il fut envoyé en Vendée l’année suivante. Il sera promu général de brigade à l’armée des Côtes de Brest en 1794. Affecté à l’armée du Rhin en 1799, puis à celle des Pyrénées-Orientales en 1808, il sera tué au siège de Gérone pendant la guerre d’Espagne.
  9. Il dura « deux heures », d’après la lettre du général Bard (voir note 4) ; « un quart d’heure » d’après Lucas de La Championnière (op. cit., p. 69).
  10. Qui précise bien que cet affrontement eut lieu « le 21 (nivôse, soit le 10 janvier) à 6 heures du soir ».
  11. « Chacun prit sa déroute au milieu des ténèbres (…) Le Général erra toute la nuit et ce ne fut que le lendemain (11 janvier) qu’il réunit une partie de ses soldats dans la forêt de Grasla » (Lucas de La Championnière, op. cit., pp. 69-70).
  12. SHD B 5/8-17, lettre de Duval, général de division, le 25 nivôse an II (14 janvier 1794).
  13. Armand Dabreteau, La bataille de Mortais, Les Brouzils, le 25 nivôse an II (en réalité le 23 nivôse) – 12 janvier 1794, Revue du Souvenir Vendéen n°153 (décembre 1985), p. 44. Marie Lourdais précise que, malgré cette blessure, Charette resta jusqu’à la fin du combat (Femmes oubliées de la guerre de Vendée, op. cit., p. 100).
  14. Le Bouvier-Desmortiers, op. cit., p. 175. Jean-Victor Goupilleau (le frère du conventionnel) se trouvait réfugié à Nantes lorsqu’il fut informé de cette bataille. « On m’a assuré que, sans la veuve Jagueneau des Brouzils, on tenait ce gueux de Charette le dernier jour à la Coussaie, mais elle le prévint (…) Il est vrai que Charette a été blessé à l’épaule. Il ne bat plus que d’une aile » (Bibliothèque municipale de Nantes, fonds Dugast-Matifeux, B 48/71 n°48).
  15. Aussi appelé le chemin breton. La Pierre-Plate formait un petit pont au-dessus d’un ruisseau que les historiens appellent le Tail, mais qui n’apparaît jamais sous ce nom sur les cartes. On peut voir aujourd’hui cette pierre plantée debout au bord de la route.
  16. Branches de têtard alignées pour être mises en fagots. La taille en têtard consistait à couper le tronc d’un arbre à une hauteur accessible à l’homme. La repousse des branches sur cette tête renflée fournissait du petit bois utile à une exploitation agricole. 
  17. A. Dabreteau, op. cit., p. 47.
  18. Bibliothèque municipale de Nantes, fonds Dugast-Matifeux, B 48/8 n°21 (cité par A. Dabreteau, Montaigu, tache bleue sur la Vendée blanche, 1790-1796, 2018, p. 64).