Une lettre datée des Herbiers le 6 frimaire an II (26 novembre 1793) mentionne une expédition menée par des soldats républicains au Boupère (Vendée) dans le but de rechercher le trésor de M. de La Douespe, ci-devant seigneur de la Biffardière.
La Biffardière du Boupère au début du XXe siècle
Je suis tombé sur ce document aux Archives de la Vendée en épluchant la liasse L 191, qui rassemble des lettres de commissaires cantonaux, d’agents municipaux et de juges de paix sur la situation du pays de l’an IV à l’an VIII, c’est-à-dire de 1794 à 1800 (1). Vous comprendrez prochainement pourquoi je me suis aventuré dans l’histoire de la Vendée sous le Directoire.
Pour une raison inexpliquée, une lettre très lisiblement datée du « 6 frimaire l’an 2 », soit le 26 novembre 1793, s’est retrouvée dans cette liasse directoriale. Rédigée aux Herbiers par le citoyen Martineau (2), administrateur du département de la Vendée, à l’attention de ses collègues du Conseil général, elle fait état de plusieurs événements locaux : les difficultés de Charette, dont les soldats se débandent face à l’offensive des Bleus en vue de reprendre l’île de Noirmoutier ; la saisie d’une jument appartenant à « Beaurepaire, chef de bandits » (3) et la recherche d’une somme de 35.000 livres que cet officier vendéen aurait cachées dans les environs de sa terre ; ou encore une plainte contre l’enlèvement de nombreux effets, fourrages et bestiaux au château de la Traverserie, commune de Saint-Mars-la-Réorthe, par un détachement de la garnison de Cholet.
Extrait de la lettre mentionnant la découverte du « trésor de la Douespe-Biffardière » (A.D. 85, L 191)
Le trésor de la Douespe-Biffardière
Le sujet le plus intéressant dans cette lettre concerne un autre trésor que celui de Girard de Beaurepaire. Voici ce qu’en dit le citoyen Martineau : « Le trésor de la Douespe-Biffardière est trouvé par les soldats républicains du Boupère qui ont été chez lui en expédition… »
Il s’agit là de Jacques-Auguste de La Douespe, ci-devant seigneur de la Biffardière, né au Boupère en 1724. Il avait d’abord accueilli la Révolution favorablement, mais les excès du nouveau régime ne tardèrent pas à changer ses dispositions. Homme paisible, « il passait pour avoir une grande fortune et beaucoup d’écus » (4). Il fut arrêté comme prévenu d’être un des chefs des révoltés, conduit en prison d’où il s’échappa le 22 novembre 1793, soit trois jours avant la découverte de son trésor. Des gens du pays le surprirent caché près de la Grignonnière (5) et, malgré les offres considérables qu'il leur fit, le conduisirent le 29 à Fontenay. Jacques-Auguste de La Douespe fut condamné à mort par le tribunal criminel le 1er décembre, et guillotiné peu après, à l'âge de 69 ans.
Reprenons le compte rendu du citoyen Martineau :
« Après avoir long-temps cherché dans un caveau, (les soldats) ont déterré 100.000 livres en argent blanc ; l’aveu de cette bonne trouvaille a été faite à plusieurs personnes du lieu, notamment au citoyen Guesdon ».
On s’attend alors à ce que le trésor soit dûment versé dans les caisses de la République. Que nenni ! Les soldats se sont en effet servis à pleines mains. Ils ont même trouvé une solution pour s’en mettre davantage dans les poches : « Les volontaires offrent pour alléger leur sac, en échange 40 à 48 livres en numéraire contre des assignats de 50 livres » !
Un tel comportement choque évidemment notre administrateur : « Le commandant de cette expédition est dans mon opinion bien coupable de n’avoir pas empêché la distribution de cet argent, et de n’avoir pas du tout retenu au profit de la république. Je vois bien encore la possibilité de faire rendre cet argent, ce serait d’en rendre comptable sur la tête du commandant. Je répons que ce moyen là sera efficace ».
La suite ne dit pas si le trésor de la Biffardière a pu être récupéré au profit de la République, comme l’impliquait pareille condamnation à mort. Il aura peut-être fallu se contenter de la saisie des sommes en or et en argenterie que M. de La Douespe avait avoué avoir caché à la Rocardière juste avant son exécution (6).
Localisation des communes citées (sur une carte de 1790)
Notes :
- Pour la situation de la Vendée sous le Directoire, les communes sont divisées en trois cotes : L 190 d’Aizenay au Gué-de-Velluire, L 191 de L’Hermenault à Moutiers-les-Mauxfaits, et L 192 de Noirmoutier à Tiffauges.
- Ambroise-Jean-Baptiste Martineau (Chassenon 1762 – Nueil-sur-l'Autise 1846).
- Charles-Eusèbe-Gabriel Girard de Beaurepaire (1749-1793). Madame de La Rochejaquelein rapporte qu’il fut blessé au 2e combat du Moulin-aux-Chèvres (9 octobre 1793) de « douze coups de sabre sur la tête, dont il mourut deux mois après » à Fougères, au cours de la Virée de Galerne.
- Article « Le Tallud-Sainte-Gemme », Annuaire départemental de la Société d’Émulation de la Vendée, 1856, p. 222.
- Commune de Tallud-Sainte-Gemme, au sud du Boupère.
- Peu avant d’être appelé par le bourreau, M. de La Douespe écrivit ceci : « Aujourd'hui, premier jour du mois de décembre 1793, après avoir été condamné fort injustement et par le faux témoignage de mes ennemis du Boupère, pour être guillotiné dans deux heures d'ici, je saisis ce dernier moment pour déclarer que j'ai aux environs de 70.000 livres en or en dépôt chez les nommés Perotin et Bonnet, bordiers au village de la Rocardière, paroisse de Sainte-Gemme-des-Bruyères, avec trente et quelques couverts d'argent, huit cuillers potagères, trois sablières d'argent, une écuelle, un porte-huilier, aussi en argent, et deux petits sacs d'argent de la valeur de 600 à 700 livres, ainsi que quelques titres et papiers, les autres étant déposés et cachés chez Aumont, métayer à Sainte-Gemme-des-Bruyères, avec mes registres » (Ch.-L. Chassin, La Vendée patriote, 1793-1795, t. IV, p. 40). La commune de Sainte-Gemme-des-Bruyères a fusionné en 1827 avec celle du Tallud, sous le nom de Tallud-Sainte-Gemme.